Abo

justiceProcès d'un guet-apens homophobe à Paris : six mois ferme et une relaxe "incompréhensible"

Par Youen Tanguy le 17/04/2023
guet-apens homophobe,justice,procès,paris,homophobie,guet-apens,guet apens gay,homophobe,circonstance aggravante homophobie

Deux hommes étaient jugés à Paris vendredi pour le vol en réunion commis, en février, au domicile d'un homme gay en raison de son orientation sexuelle. Si le premier a écopé de six mois de prison ferme, le second a bénéficié d'une relaxe que dénonce l’avocat de la victime et dont le parquet a fait appel.

"Je demande au tribunal de faire preuve d’une très grande sévérité." Quelques heures avant le jugement, le ton du procureur de la République est solennel devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris, ce vendredi 14 avril. Deux hommes âgés de 18 ans, Sofiane* et Abdel*, sont jugés en comparution immédiate pour un guet-apens homophobe. On leur reproche un vol en réunion, dans la nuit du 12 au 13 février, commis en raison de l'orientation sexuelle de la victime, Corentin*, 29 ans, dans son appartement. "Ces circonstances aggravantes constituent le nœud de cette audience et caractérisent la gravité des faits", souligne le procureur.

À lire aussi : Chaque semaine, un homme gay est victime d'un guet-apens homophobe en France

Rencontre sur une appli

L’histoire débute fin janvier dernier par une banale rencontre, sur une application, entre Corentin et Sofiane. Les deux hommes se voient à plusieurs reprises, ont des relations sexuelles et entretiennent, selon la définition du président du tribunal, une "relation amoureuse". Une version contestée par Sofiane – absent à cette audience car ayant refusé de comparaître – qui maintient que Corentin était seulement un "client" à qui il vendait de la drogue.

Corentin commence véritablement à se méfier quatre jours avant les faits. C’est là qu’il remarque la disparition, après un rendez-vous avec Sofiane, de deux de ses cartes bancaires. Il l’interroge alors par message à ce sujet, mais l’intéressé dément. Peu de temps après, Sofiane lui "réclame par message la somme de 20 euros", fait remarquer le président lors de l’audience. "C’est parce qu’il lui a vendu des stupéfiants", rétorque son avocat Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod. "C’est aussi ce que pense la police", répond le président, qui se tourne vers la victime, murée dans le silence. "- Vous ne souhaitez pas vous exprimer, monsieur ? - Non, je ne préfère pas."

Tout au long de l’audience, Corentin, crispé, les mains et pieds serrés, le regard tourné vers le sol, restera quasi silencieux. "C’est très dur pour lui de s’exprimer sur les faits", explique son conseil, car le jeune homme reste traumatisé par la tournure qu'ont pris les événements la nuit des faits. Sofiane et Corentin s’échangent alors plusieurs messages, le premier insistant pour récupérer ses 20 euros, le deuxième finissant par accepter qu’il vienne chez lui. Sofiane arrive chez la victime un peu avant 1h du matin, accompagné d'un certain Abdel qu’il présente comme son cousin. Selon le résumé des faits lu par le président, Abdel "regarde un peu partout : dans le pot à pourboires (la victime est serveur, ndlr) ou sur la table où se trouve un couteau Opinel (…). Un peu plus tard, la victime fait remarquer que son Opinel a disparu. Abdel se serait alors énervé, aurait sorti le couteau et menacé la victime."

Insultes homophobes

À en croire le récit de Corentin aux enquêteurs, retranscrit en partie lors de l’audience, "c’est à ce moment que 'les insultes homophobes et les menaces de mort commencent' et qu’Abdel se 'met à fouiller l’appartement'". Le président demande : "Vous confirmez les propos homophobes, comme ‘erreur de la nature’ ou ‘vous ne devriez pas exister’, tenus par Abdel ?”. "Oui", souffle Corentin.

Les deux hommes seront interpellés peu de temps après les faits par une patrouille de police, d’abord alertée par leur comportement, puis par la carte d’identité de la victime dépassant de la poche d’Abdel. En plus de ce document, on retrouvera sur lui une montre, un portefeuille, des bijoux fantaisie et le fameux couteau Opinel. Ils étaient également tous les deux en possession de stupéfiants.

À son procès, Abdel, cheveux bruns courts, chemise blanche boutonnée jusqu’au cou et mains repliées devant lui, reconnaît sans difficulté les faits de vol, mais nie avoir menacé la victime avec un couteau ainsi que les insultes homophobes. "Je n’ai jamais dit ça, je ne savais pas qu’il était homosexuel, se défend-il avec difficulté. L’idée (de voler, ndlr) m’est venue sur le coup. [Sofiane] ne m’a pas demandé de commettre ce vol et on n’en a pas parlé avant".

À lire aussi : Face à la circonstance aggravante d’homophobie, les errements de la justice

Un scénario pourtant évoqué par son avocat, Me Paul Voigt, dans sa plaidoirie. "Il existe une version simple dans ce dossier, estime-t-il. Celle où Sofiane dit à Abdel : 'Viens, on va détrousser un client'. Car il y avait une relation sexuelle entre le plaignant et Sofiane, mais aussi une relation de deal." Et d’ajouter : "On a un jeune homme, Sofiane, qui n’assume pas son homosexualité et qui, ce soir-là, se dit qu’il va détrousser la victime…". C’est aussi ce qu’a affirmé Sofiane devant les enquêteurs lors de sa garde à vue.

Mais quel rôle Sofiane, également mis en examen pour viol dans un autre dossier, a-t-il alors joué dans cette affaire ? "Je soupçonne Sofiane d’avoir été au courant de ce qu’allait faire Abdel et d’avoir organisé ou participé d’une certaine manière à ce vol", déclare lui-même le président. C’est aussi l’avis du procureur de la République, qui avait requis 12 et 20 mois de prison ferme à l’encontre des deux prévenus. Des réquisitions que n’a pas suivies le tribunal, qui a condamné Abdel à 12 mois de prison, dont six mois avec sursis, et à une interdiction d’entrer en contact avec la victime et de paraître dans l’arrondissement où elle réside, mais qui a relaxé Sofiane des faits de vol. Une relaxe "incompréhensible", estime l’avocat de la victime Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, tandis que le parquet a annoncé faire appel.

Justice en demi-teinte

À ce stade, le parquet n’a pas encore fait appel de cette décision, mais "dispose encore de dix jours pour le faire", nous rappelle une source judiciaire. "Il y a beaucoup de non-dits, notamment de la personne absente, plaide de son côté l’avocat d’Abdel, Me Paul Voigt, lors de l’audience. On ne comprend rien dans la garde à vue de Sofiane. Il y a quelque chose de non dit dans ses paroles, sa personnalité et son intimité. C’est le centre de ce dossier." 

Pour Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, c’est donc un jugement en demi-teinte. "D’un côté nous ne comprenons pas la relaxe, estime-t-il. D’abord dans les faits, car Sofiane est à l’initiative du guet-apens. C’est lui qui conduit Abdel dans cet appartement. Juridiquement aussi, car même si les participations étaient différentes, les règles de la coaction ou de la complicité auraient dû s'appliquer et entraîner une condamnation. D’un autre côté on se félicite que la circonstance aggravante d’homophobie ait été retenue.”

C’était d’ailleurs l’un des arguments de sa plaidoirie et de celle d’Anne-Sophie Laguens, l’avocate de Stop Homophobie, également partie civile dans ce procès. "Dans votre délibéré, vous devrez vous demander quel crédit porter à la parole d’un plaignant qui dénonce des injures homophobes afin de caractériser la circonstance aggravante", lançait-il à l’adresse du tribunal dans sa plaidoirie. "C’est parce que Corentin est contacté par la police qu’il vient au commissariat, abondait son conseil. Et il n’en rajoute pas, il donne sa version sans enfoncer ses agresseurs." Et d’ajouter : "Finalement la peine lui importe peu, ce qui lui importe c’est l’après". Un après qui, au vu de son traumatisme, s’annonce difficile.

À lire aussi : Du guet-apens au massacre : pourquoi les crimes homophobes sont-ils si barbares

À lire aussi : Guets-apens : avec Mediapart, alerte sur la chasse aux gays qui continue, invisible

*prénoms modifiés

Crédit photo : Creative Commons