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élection présidentielleEmmanuel Macron, 2017-2022 : un bilan au finish sur les questions LGBTQI+

Par Nicolas Scheffer le 11/04/2022
Emmanuel Macron, 2017-2022, le bilan

Élu en 2017 sur un programme progressiste, Emmanuel Macron a durant son quinquennat fait avancer plusieurs dossiers LGBTQI+, respectant notamment sa promesse d'ouvrir la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes seules. Mais à l'heure du bilan, avant le vote au second tour de l'élection présidentielle 2022, reste un goût de "en même temps" qui sied mal à ces dossiers…

On peut jauger l’importance d’un texte de loi au nombre de parlementaires qui en immortalisent le vote en photographiant les écrans de l’Assemblée nationale qui affichent le résultat. Le 29 juin 2021, à 18h40, alors qu’une atmosphère d’été plane sur Paris, ils sont particulièrement nombreux à dégainer leur téléphone. Depuis son prétoire, le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, annonce qu’avec 326 voix pour et 115 contre, l’actualisation de la loi bioéthique, ouvrant la possibilité aux couples de lesbiennes et aux femmes seules d’accéder à la procréation médicalement assistée (PMA), est approuvée en dernière lecture.

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En ce jour historique pour les droits des personnes LGBTQI+ en France, le Premier ministre, Jean Castex, ne s’est pas déplacé. Adrien Taquet, simple secrétaire d’État chargé de l’enfance et de la famille, est le seul représentant du gouvernement face à l’Assemblée. On note l’absence des ministres de la Santé, de l’Égalité et de la Justice, respectivement Olivier Véran, Élisabeth Moreno et Éric Dupond-Moretti, qui avaient pourtant défendu le texte. Il y a dans cette image un concentré du rapport de l’exécutif macroniste aux sujets LGBTQI+ durant ce quinquennat : une bienveillance plus qu’un combat. Et, surtout, l’obsession de ne pas braquer les réactionnaires en affichant trop de parti pris.

La PMA, c'est fait

Il faut donner le point à Emmanuel Macron (dont l'entretien avec têtu·, prévu le 25 février, a été annulé pour cause de guerre en Ukraine) : cinq ans après son arrivée au pouvoir, les personnes LGTBQI+ disposent comme promis de plus de droits qu’avant 2017. PMA pour toutes, interdiction des “thérapies de conversion”, ouverture du don du sang aux hommes gays, adoption simplifiée… La République en marche (LREM) a également fait avancer quelques dossiers sans passer par la loi, parmi lesquels l’amélioration de l’accueil dans les commissariats avec la création d’officiers de liaison formés pour recevoir les plaintes des personnes LGBTQI+, et la mise en place sur tout le territoire de campagnes de prévention des LGBTphobies. Certes, les principales avancées n’ont eu lieu qu’en fin de quinquennat, mais l’exécutif a bel et bien mis en œuvre plusieurs réformes piochées dans la liste des revendications des associations concernées.

Seulement, entre la réforme légale et la réalité des droits, le diable se niche dans les détails. Ainsi, en ouvrant la PMA à toutes les femmes, le gouvernement anticipait 1.000 parcours supplémentaires, mais ce sont 3.500 femmes qui se sont présentées entre octobre et décembre 2021. Outre la difficulté d’obtenir un rendez-vous, ces femmes, qui ont déjà dû attendre plusieurs années la concrétisation de cette promesse, sont aujourd’hui confrontées à une pénurie de gamètes. Il faut ainsi compter entre six et dix-huit mois pour avoir accès à un don, sachant qu’une insémination sur deux échoue lors de la première tentative.

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Concessions de Macron aux conservateurs

Au-delà des difficultés matérielles mal anticipées, la réforme, votée avec des années de retard, l’a été dans une version limitée. La technique de la Ropa, qui désigne le don d’embryon au sein d’un couple de femmes (l’une donne l’embryon tandis que l’autre porte l’enfant), a ainsi été exclue du texte de loi, alors qu’elle avait été approuvée en commission parlementaire. Sans véritable justification, la PMA reste aussi interdite aux hommes trans dotés d’un utérus. La réforme revient par ailleurs sur la transcription automatique de l’état civil des enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger mise en place par la garde des Sceaux Christiane Taubira en 2014. Résultat : les parents doivent désormais passer par une procédure d’adoption.

Cette prudence a paru certaines fois se transformer en démission.

C’est “une concession faite aux conservateurs qui y voyaient une porte ouverte à l’ouverture de la GPA”, se justifiait alors auprès de têtu· Coralie Dubost, rapporteuse LREM sur le texte, elle-même favorable à une GPA éthique. Comme elle, plusieurs ministres ont fait savoir qu’ils étaient favorables à la légalisation de la GPA à condition qu’elle soit strictement encadrée et non marchande. Mais, à chacune de leurs prises de parole, tous précisent s’exprimer “à titre personnel”. Et c’est ici une autre limite du bilan macroniste : si le président n’en veut pas, il n’y aura pas de débat.

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De manière générale, l’exécutif aura manqué de courage durant ces cinq ans pour porter dans le débat public des positions audacieuses susceptibles de changer la vie des personnes LGBTQI+. Alors, certes, Emmanuel Macron avait prévenu dès 2017 dans une interview à têtu· : “Les questions de société nécessitent un débat apaisé et ne doivent jamais être instrumentalisées à des fins politiques, ou opposer un camp à un autre.” Et si l’on ne peut que se réjouir que l’adoption de la PMA pour toutes n’ait pas conduit aux mêmes manifestations de haine que celle du mariage pour tous, cette prudence a paru certaines fois se transformer en démission. Laurence Vanceunebrock, députée de la majorité dans l’Allier, a ainsi eu tout le mal du monde à faire inscrire à l’ordre du jour au Parlement sa proposition de loi sur l’interdiction des “thérapies de conversion”. À plusieurs reprises, devant le manque d’allant de ses camarades de LREM, la parlementaire a dû menacer de changer de groupe, ce qui n’a pas empêché dans un premier temps l’exécutif d’enterrer sa loi, la jugeant inutile, avant de se raviser à quelques mois de la présidentielle.

La ligne Blanquer

Sur le sujet de l’Europe, pourtant l’un des chevaux de bataille d’Emmanuel Macron, on a également manqué de positions fortes pour défendre les personnes LGBTQI+. Certes, Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, soutient les mesures de sanction engagées par la Commission européenne contre les législations homophobes de la Pologne et de la Hongrie. Mais, en 2021, il se voit interdire de séjourner dans une zone polonaise “sans LGBT”, et Emmanuel Macron ne dit rien. Et lorsque ce dernier se rend à Budapest pour rencontrer le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, il ne condamne que du bout des lèvres les atteintes à l’État de droit du dirigeant, dépeint comme un “adversaire politique, mais un partenaire européen”.

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Il aura aussi fallu le suicide d’une élève transgenre, à Lille, en décembre 2020, pour que le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, promette d’améliorer l’accueil des enfants trans à l’école. La circulaire, qui a mis près d’un an à arriver, préconise le respect de l’identité de genre et du prénom d’usage des élèves… mais le conditionne à l’accord des parents. D’ailleurs, Jean-Michel Blanquer, qu’on n’entend guère défendre l’autodétermination des élèves dans le débat public, donne au contraire du grain à moudre à la frange réactionnaire. Quand Le Figaro Magazine prétend qu’“on endoctrine nos enfants à l’école”, en citant “antiracisme, idéologie LGBT+, décolonialisme”, le ministre assure que “la lutte contre le racisme et l’homophobie font partie intégrante de la liberté, de l’égalité et de la fraternité”, pour compléter immédiatement : “Il est exact que notre société est traversée par des courants venus de l’extérieur, et ceux-ci ont de l’influence dans certains cercles. Et ce n’est pas sans influence sur ce qui se passe dans l’école. Ce serait une erreur de ne pas le voir.” Décidément, en matière de droits LGBTQI+, le “en même temps” ne fonctionne pas.

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Crédit illustration : capture d'écran France 2