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drame"Transmania" : le duo Moutot-Stern livre les racines de son obsession anti-trans

Par Thomas Vampouille le 18/04/2024
"Transmania", le livre de Dora Moutot et Marguerite Stern

Contrairement à ceux qui défendent bec et ongles sans l'avoir lu le livre de Dora Moutot et Marguerite Stern, Transmania, têtu· s'est infligé la lecture de ce pavé de 350 pages consacré aux "théories queers frappadingues" et aux "fous furieux du transgenrisme". Une épreuve, mais qui éclaire sur ses autrices…

Transmaniaques. En faisant paraître un livre qu'elles voudraient choc, Dora Moutot et Marguerite Stern tombent le masque du "femellisme" anti-trans qu'elles professent, à qui veut l'entendre, jusqu'à l'apoplexie : Transmania les révèle transmaniaques, obsédées notamment par la sexualité des femmes trans, qu'elles fantasment abondamment. Alerte gênance.

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Pour tirer un fil rouge, qui se veut agréable à lire, entre les mailles lourdingues de leur démonstration sur "l'idéologie transgenre introduite par les ABCD de l'égalité" et le "transgenrisme précurseur d'une ère de post-vérité transhumaniste", nos M&M’s de l'essai nous infligent l'histoire de Robert. Elles l'ont inventé, Robert, elles ne s'en cachent pas, le présentant comme un "cliché des clichés""ravagé du cerveau""un archétype" de leur vision d'une personne trans : "À travers les aventures de Robert, ou plutôt, Catherine, nous allons t'embarquer avec nous"… Oui parce qu'elles te tutoient, Dodo et Margue, on est bien, on est entre nous. 

Attention, puisque les lecteurs visés tiennent (comme nous) à protéger les enfants, on doit vous prévenir : éloignez-les pour lire la suite, ça dégouline un peu.

Robert, cliché transphobe

Chapitre 1, "Meet Robert" : "Robert a 65 ans et il est sexuellement excité par l'idée d'être une femme. (…) Robert passait quelques heures à se masturber à quatre pattes, s'enfonçant parfois un godemiché dans l'anus en l'imaginant en vagin, et s'insultant lui-même de petite 'chienne'." Un samedi après-midi bien rempli, en somme, on ne voit pas le problème.

Chapitre 2 : "Robert, tu fais chier." Le ton est donné.

"Roro" ne sert pas qu'à tisser cette jolie fable entre les chapitres argumentatifs. Sa figure est aussi utilisée dans ces derniers, par exemple au moment du nœud central du raisonnement : "Tu n'es pas un poisson, Robert. Si tu portes une jupe, c'est que tu es un mammifère de l'espèce Homo Sapiens. Et si tu as un pénis, c'est que tu es un spécimen mâle." Tout, de la colère marguemoutienne, vient de là, de ce blues chromosomique qu'elles ont encore besoin de répéter à la page 97 : "Chacun d'entre nous possède vingt-trois paires de chromosomes. La vingt-troisième paire est celle qui détermine notre sexuation. Si l'individu est porteur des chromosomes XX, c'est une femelle, s'il est porteur des chromosomes XY, c'est un mâle." En autant de pages, Sartre était parvenu à bouleverser la philosophie occidentale avec L'existentialisme est un humanisme, on salue néanmoins l'effort pour porter ce point à notre attention.

Mais revenons à nos fantasmes. Et donc à Bob avec son "problème", son désir "pathologique", "sorte d'erreur de localisation du désir érotique" : "Le cul nu de Robert colle à la chaise en cuir de son bureau. (…) Robert ferme les yeux et commence à se branler en laissant échapper un râle rauque. La voix féminine reprend : 'Tu es une petite salope. Il n'y a pas de honte à être une petite salope à se faire prendre. (…) Ta bite de femme est un clitoris tout gonflé et ton anus est une bonne petite chatte toute serrée'." Vous avez dit mania ?

On rirait bien de bon cœur à toutes ces histoires de Roro sauf qu'elles sont sérieuses, les deux bigotes, derrière leur plume rabelaisienne et leurs fantasmes homophobes autour d'une sexualité passive qu'elles méprisent ouvertement : "C'est en empruntant cette pente glissante que certains finissent par penser qu'ils sont trans", assènent-elles. Et d'observer : "L'obsession sexuelle finit par prendre tellement d'espace mental qu'elle devient une identité"… On n'écrit jamais que sur soi-même. Ceci se vérifie à nouveau en lisant au travers des "10 commandements du transgenrisme" qui ouvrent le pavé : "À partir de maintenant, tu es un perroquet. Martèle des termes. Le genre est sacré. Pour installer notre dogme… La fin justifie les moyens. Abreuve ton auditoire de paradoxes et de syllogismes. L'inversion crée un brouillard mental. Détourne la force du féminisme. Homophobe tu seras. Les enfants sont notre cible prioritaire. Dans toutes les sphères de la société, tu t'infiltreras."

Pendant ce temps, Robert "découvre tout un monde inclusif, bienveillant, toujours prêt à célébrer ses déviances sexuelles".

L'origine de la transidentité

Entre deux saillies sur Bob apparaît vite le Graal des deux autrices : la recherche frénétique de l'origine de la transidentité. "Comment en sommes-nous arrivés à affirmer et à valider des fantasmes sexuels masculins qui, il n'y pas si longtemps encore, étaient considérés comme des déviances ? regrettent-elles. Nous pensons [qui s'en fout ?] qu'il est nécessaire de trouver les marqueurs génétiques ou biologiques pour expliquer la transidentité." Anomalie chromosomique, erreur divine, lecture de yaoi, autisme, dérèglements hormonaux, troubles psychiatriques, désir inconscient de répondre à celui de ses parents, perturbateurs endocriniens qui rendraient queers (coucou Ségolène Royal), projet de stérilisation des masses pour réduire la population mondiale… tout y passe. Conclusion : "Nous pensons [qui s'en fout ?] qu'un traitement médical digne de ce nom doit solutionner le problème de fond." Après les thérapies de conversion pour homos, les asiles pour trans !

Sans réponse scientifique, nos deux Pieds Nickelés de l'enquête journalistique ont tout de même des explications à nous soumettre. Pour les hommes trans, deux pistes principales sont explorées. "Devenir un homme semble plus facile" pour les lesbiennes, dont "certaines n'arrivent pas à accepter leur homosexualité", en particulier "les butchs, souvent perçues comme des femmes ratées". Il n'est par ailleurs "pas si surprenant que certaines lesbiennes 'top' fantasment sur la possibilité de remplacer le gode ceinture par un membre masculin authentique", membre issu d'une phalloplastie et qualifié de "Frankenstein génital".

Concernant les femmes trans, ce sont soit "des gros pervers" comme Robert (mais pas tous, "évidemment"), ou "des incels, c'est-à-dire des hommes incapables de plaire aux filles et qui vivent un célibat involontaire" ; "d'autres encore transitionnent car leur micropénis ne leur permet pas d'avoir une vie sexuelle satisfaisante" ; "pour d'autres encore, ce sont les pulsions sexuelles à base de désirs de soumission qui les font transitionner". Retour à Bobby, qui "se rend régulièrement dans des toilettes publiques féminines pour se masturber. Entre les murs de la cabine, affalé sur le siège des WC, il imagine être pénétré dans son anusgina (son anus qu'il imagine en vagin)." Mais nos érotomanes de jurer leurs grands dieux : "Nous savons bien que toutes les personnes trans ne sont pas des Robert obsédés du cul. (…) Dès le début de nos recherches, nous avions cela dans un coin de nos têtes." Un tout petit coin, alors.

Fantasmes sexuels homophobes

Dans leur fantasmagorie goguenarde de la sexualité passive, nos "nouvelles égéries du féminisme français" (autodiag) ne confondent pas seulement identité de genre et sexualité, elles reproduisent aussi l'erreur de la culture machiste qu’elles prétendent combattre : assimiler la personne pénétrée au féminin. Comme si aimer se faire mettre, y compris comme une chienne, n'était pas aussi un désir masculin, dont la réalisation ne nécessite aucune transition de genre. Pour le comprendre, encore faudrait-il s'interroger sur les préjugés homophobes qui sous-tendent tous ces raisonnements, et se dévoilent au moment de parler du drag : "Actuellement, le grand public perçoit le travestissement et le drag comme une forme d'art et de divertissement, à tel point que Drag Race passe désormais sur France 2, et le fait que cela constitue une source d'excitation sexuelle pour certains hommes est totalement occulté."

Vous le sentez venir, la pédophilie n'est jamais bien loin dans ces univers mentaux… "L'idéologie transgenre et ses dérives ouvrent une brèche intéressante pour l'avancée des revendications pédophiles", échafaudent-elles au chapitre sobrement intitulé "TOUCHER AUX ENFANTS". "Désormais, ils n'ont plus besoin de se cacher dans un buisson en attendant l'heure de la sortie de l'école. Il leur suffit de se rendre à la Gay Pride. (…) Ils pourront montrer leurs quéquettes à des mineurs, sous l'œil complice des parents. Les Gay Pride avec leurs drag-queens ont toujours ressemblé à des antichambres de clubs échangistes à ciel ouvert." Las, constatent-elles, "les associations transgenristes essayent à tout prix de se débarrasser de l'image du psychopathe transféminin qui leur colle aux pattes." D'où la nécessité – adressée ici aux "parents à la ramasse" – de "protéger nos enfants", brandie abondamment par le lobby réac depuis les fameux, et bien inoffensifs, ABCD de l'égalité (annulés en 2014).

Page 354, alléluia, on aperçoit le bout du tunnel. "Peut-être sommes-nous un brin conservatrices", admettent enfin les deux plumes. Allons bon ! "Ce livre ne constitue en aucun cas une attaque envers les personnes trans", pensent-elles encore à préciser en début de conclusion, comme si l'idée avait pu nous effleurer à la lecture de ce manifeste transphobe, une usine à gaz, qui prétend démonter "l'un des plus gros casses conceptuels du siècle", mais dont chaque page crie "psychanalyse". Un éclair surgit tout de même page 86 : "Pour certains, le plus important, ça n'est pas d'avoir des rapports sexuels en tant que femme, mais de vive socialement comme une femme, d'être considéré comme tel (sic)", notent-elles, sans explorer plus avant cette piste.

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Crédit illustration : Maurine Charrier pour têtu·

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