Depuis qu'il a envoyé, lors des élections législatives de 2022, le plus gros contingent de députés gays à l'Assemblée nationale, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella a beau jeu de se défendre de toute homophobie. Alors, peut-on compter de plus en plus d’élus gays tout en soutenant des politiques homophobes ? Le Rassemblement national (RN) le prouve en actes.
La une de têtu· pour la présidentielle 2022, sur le lobby mondial anti-LGBT qui va de Vladimir Poutine à Donald Trump en passant par les extrêmes droites européennes, n’a évidemment pas plu au Rassemblement national (RN). “Faut vraiment être déconnecté de toute réalité pour voir un lobby russe homophobe dans le parti qui a le plus d’homos assumés dans ses élus : un vice-président à l’Assemblée nationale ancien fondateur de GayLib [Sébastien Chenu], un juge à la Cour de justice de la République [Bruno Bilde], et moi-même, qui suis président délégué de notre groupe parlementaire. Un parti homophobe ne leur donnerait pas de responsabilités stratégiques”, nous tance Jean-Philippe Tanguy, député mariniste en vue.
En effet, de tous les partis représentés à l’Assemblée nationale, c'est celui d’extrême droite qui a envoyé le plus gros contingent de députés gays lors des élections législatives de 2022. En croisant les sources, on peut évaluer qu’entre 20 et 25 députés du RN sur 89 seraient homos. Étonnant, pour un parti qui s’est systématiquement opposé à toute avancée des droits LGBTQI+ : pacs, mariage pour tous, ouverture de l'adoption aux couples homos et de la PMA aux lesbiennes… Pas de quoi décontenancer le RN, qui, habitué à masquer ses contradictions et fort de ses députés gays, se défend de toute accusation d’homophobie.
⚠️Contre le pacs, le mariage pour tous, l'ouverture de l'adoption aux couples homos et de la PMA aux lesbiennes… le Rassemblement national et ses alliés ont toujours lutté contre les droits LGBT : pic.twitter.com/cb4HFJe6zD
— têtu· (@TETUmag) June 11, 2024
Jean-Philippe Tanguy et La Manif pour tous
La déclaration d’intention se heurte néanmoins toujours aux actes. Après l’assassinat de deux jeunes hommes par un militant d’extrême droite devant un bar gay à Bratislava, en Slovaquie, le 13 octobre 2022, le Parlement européen a adopté une résolution dénonçant ce crime de haine et appelant à davantage de sécurité pour les personnes LGBTQI+. Que firent alors les douze eurodéputés du RN présents à cette séance, dont le tout nouveau président du parti, Jordan Bardella ? Ils ont voté contre.
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“C’est osé de la part de Jean-Philippe Tanguy de s’autoproclamer héraut des LGBTQI+ alors qu’il est allé draguer La Manif pour tous”, remarque par ailleurs Andy Kerbrat, député – gay – de La France insoumise (LFI). En 2015, Jean-Philippe Tanguy, alors candidat de Debout la France aux élections régionales, participait effectivement à une table ronde organisée par La Manif pour tous. Il y déclarait : “Vous avez réussi ! Pas à interdire le vote de la loi Taubira, mais vous avez empêché la PMA, la GPA et la généralisation de la théorie du genre, soyez fiers”, avant de prôner l’“affirmation de la filiation traditionnelle et l’union civile”. Fin octobre 2022, le vice-président de l’Assemblée nationale Sébastien Chenu a proposé quant à lui de renommer “groupe d’étude sur les discriminations” le groupe d’études sur les LGBTphobies (structure qui permet aux députés de rester informés sur un sujet), tout un symbole.
Marine Le Pen et Viktor Orbán
“Le RN a beaucoup évolué sur ces sujets. On ne sait pas ce qu’ils pensent, ce qui est loin d’être rassurant. Ce que l’on sait, c’est qu’ils sont soumis à des influences étrangères qui s’opposent aux droits des personnes LGBTQI+”, pointe David Valence, député ouvertement gay des Vosges, affilié au groupe Renaissance (macroniste). Au cours de la campagne présidentielle 2022, c’est bien le soutien du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, en croisade contre les droits des personnes LGBTQI+, que Marine Le Pen est allée chercher, obtenant la diffusion dans un de ses meetings d’une vidéo du leader réactionnaire proclamant leur objectif commun : “Nous voulons protéger les familles et nous ne voulons pas laisser entrer les militants LGBTQ dans les écoles.”
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Le RN reprend d’ailleurs allègrement la rhétorique orbánienne sur la pseudo-protection des mineurs, entretenant l’idée d’un prétendu “lobby LGBT”. “Dans ce parti, c’est ok de dire que tu es homo tant que tu n’en fais pas une revendication et que tu ne défends pas des droits jugés catégoriels”, décrypte Marie-Pierre Bourgeois, journaliste et autrice de Rose Marine, une enquête sur l’homosexualité dans le parti. La candidate d’extrême droite à la dernière présidentielle a même trouvé une martingale pour éluder nos sujets dans son dernier programme, promettant purement et simplement “un moratoire de trois ans sur les sujets sociétaux”. On a connu plus LGBT-friendly.
Extrêmes droites alliées en Europe
Loin de critiquer les décisions polonaise et hongroise de limiter fortement le droit à l’avortement, le RN prend d’ailleurs en exemple ces deux États pour prôner une politique nataliste. Une proposition de résolution sur la relance de la natalité française, portée à la rentrée parlementaire par 58 députés du RN, déclare ainsi que “la Hongrie a mis en place une politique de natalité ambitieuse (…) tout comme la Pologne”. Dans les faits, la Hongrie a surtout imposé aux femmes souhaitant avoir recours à l’IVG d’entendre au préalable le cœur du fœtus, quand, en Pologne, l’avortement est interdit, sauf en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la vie de la femme enceinte.
L’extrême droite française s’inscrit donc toujours dans des traces très nettes, mais se montre volontairement de plus en plus insaisissable sur nos questions. “Elle a changé sur l’Europe, la peine de mort, la laïcité, elle s’est démarquée de son histoire avec l’antisémitisme ou l’homophobie… Mais aujourd’hui, si Marine Le Pen dit qu’elle défend les gays, les femmes et les juifs, c’est pour mieux attaquer l’islam radical”, note Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CNRS, qui remarque que l’opposition aux droits des personnes LGBTQI+ est aujourd’hui plutôt assumée par Éric Zemmour et Marion Maréchal (Reconquête). Ce qui permet à la tante de cette dernière et présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée de continuer à lisser son image, mais ne nous y trompons pas : “Ces extrêmes droites sont différentes, mais si elles veulent accéder à des responsabilités, elles ont vocation à travailler ensemble”, rappelle la politologue. Un RN gay-friendly au pouvoir… ben voyons !
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Crédit photo : Frederic Petry / Hans Lucas via AFP