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Nos vies"Notre différence d'âge est une force" : l'amour avec 20 ou 30 ans d'écart

Par Laure Dasinieres le 04/10/2024

[Un article à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] Parlez-moi de ceux qui osent, qui incarnent la différence : ils ont 10, 20 ou 30 ans d’écart et ils s’aiment. Et alors ? Qu’est-ce que ça te fait ?

Photographie : Blandine Vives pour têtu·

Willy avait 20 ans quand il a rencontré Christian. “On travaillait ensemble, retrace-t-il sept ans plus tard. On a commencé à discuter et à prendre des pauses ensemble. Un jour, je lui ai proposé de boire un verre sur LinkedIn – il est trop vieux pour Instagram.” Car Christian, à l’époque, a 50 ans. Et s’il reste une différence que même notre commu a encore bien du mal à accepter, c’est celle de l’âge dans le couple. Alors, sommes-nous incapables de penser “love is love” dès lors qu’une décennie ou plus sépare les amoureux ?

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De fait, ceux qui se lancent dans une histoire avec un “vieux” ou un “jeune” se posent souvent bien des questions. “L’idée de sortir avec quelqu’un qui a littéralement l’âge de ma mère me semblait un rien étrange, reconnaît ainsi Willy. Christian, qui était en couple à ce moment-là, m’a aussi confié qu’il avait peur de chambouler toute sa vie pour quelqu’un d’aussi jeune. Nous nous sommes dit que s’il se passait quelque chose entre nous, ce serait une histoire avec une date de péremption.” Mais leur couple tient bel et bien !

L’écart d’âge sème parfois le trouble au début : on est séduit, mais on n’ose pas. “Quand on s’est mis ensemble il y a dix ans, Vincent avait 22 ans et moi 42, raconte Jérôme. Il était moins gêné par nos vingt ans d’écart que par ses dix ans de différence avec mon fils. C’est sans doute la raison pour laquelle nous avons mis six mois à sortir ensemble.” Johan et Ludovic, aujourd’hui respectivement âgés de 27 et 45 ans, ont patienté plusieurs années avant de se mettre en couple. “Nous nous sommes rencontrés via un groupe Facebook. Nous avons énormément discuté et flirté à distance – il habitait en Normandie, et moi à Toulouse. Au fil du temps, notre relation est devenue amicale, relate Johan. Je pense qu’à ce moment-là notre différence d’âge a beaucoup compté : elle semblait en effet plus importante quand nous avions 18 et 35 ans qu’aujourd’hui, avec dix de plus… À 18 ans, on croit tout savoir, on est plein de certitudes alors qu’on n’est encore qu’un jeune adulte. Donc nous nous disputions sur plein de sujets.”

Frictions entre générations

Sortir avec quelqu’un qui n’est pas dans la même classe d’âge, c’est potentiellement un conflit de générations permanent. “Je n’ai jamais réussi à lui faire aimer Marie Laforêt”, s’amuse Jérôme. “Mes références au film Rasta Rocket tombent complètement à plat”, soupire Alexandre, 40 ans, en couple avec Julien, 30 ans.

Reste que la plupart du temps, notons-le bien, l’écart d’âge apparaît avant tout comme une particularité positive qui fait que le couple s’enrichit mutuellement. “Avec Vincent, on se complète, précise Jérôme. Il me donne la volonté d’avancer, et moi je lui apporte une certaine forme de stabilité et de sécurité.” Comme en écho, Christophe, 61 ans, en couple avec Fabien, 49 ans, complète : “Nous échangeons beaucoup et nous nous enrichissons l’un l’autre. Et puis être avec quelqu’un de plus jeune donne de l’énergie, une moindre propension à s’apitoyer sur son sort.” De son côté, Christian voit la différence d’âge avec Willy comme “une force” : “Nous n’avons pas forcément les mêmes objectifs ou les mêmes opinions. C’est très complémentaire et Willy me fait régulièrement sortir de ma zone de confort.”

C’est finalement à des âges clés que la différence est la plus perceptible, par exemple sur la “limite” pour avoir un enfant. “Julien a envie d’en avoir, mais moi je ne veux pas être un vieux jeune papa, illustre Alexandre. On n’a plus la même énergie après 40 ans. Et j’ai davantage que lui pris l’habitude de profiter d’une vie sans contraintes.” Le même décalage peut se ressentir dans la vie professionnelle : quand l’un commence sa carrière, l’autre commence déjà à peaufiner son plan d’épargne retraite. “Quand Christian me parle de ça, c’est totalement abstrait pour moi”, confie Willy. “Je pense que cette étape sera un tournant dans notre relation”, confirme son compagnon.

Ce tournant marque un grand sujet de préoccupation, souvent objet d’un non-dit, celui du déclin physique. “On sait que cela arrivera. Nous n’en avons jamais vraiment discuté, mais tout ce que je sais, c’est que je ne veux pas être un boulet pour Willy”, explique Christian. “Nous n’en parlons pas ou alors sur le ton de l’humour. Il faut bien admettre que c’est dans l’ordre des choses que le plus vieux décline et disparaisse avant l’autre, observe Fabien. C’est difficile d’imaginer ce qu’il va se passer quand celui qu’on aime ne sera plus là.”

Un grand écart d’âge, ce n’est pas que des différences de références culturelles (Quoi ? Tu ne connais pas le Club Dorothée ?) ou de périodes de vie (Acheter un appart ?! Mais… je suis encore étudiant !). C’est aussi le rapprochement de deux vécus gays dont la confrontation permet d’apprécier le chemin parcouru. “Je suis né dans les années 1980, réfléchit ainsi Alexandre. J’ai grandi avec l’idée que je n’aurais pas de famille, que je serais toujours pointé du doigt. Julien n’a pas vécu la même chose, il a assumé plus tôt et plus facilement son homosexualité.”

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Une idée reçue populaire veut que plus l’on vieillisse, plus on se droitise ; forcément, au sein d’un couple, ça peut faire des étincelles. “Avec Ludovic, nous ne portons pas le même regard sur les luttes LGBTQI+, témoigne Johan. Pour lui, le plus gros a été fait, alors que selon moi, il reste beaucoup à faire. Je trouve qu’il a tendance à minimiser les combats actuels.” À l’inverse, d’anciens militants auront tendance à trouver leur jeune compagnon un peu léger en termes d’engagement. “J’ai connu l'époque où l’homosexualité était encore réprimée. Et, bien sûr, j’ai vécu la pandémie de sida dans les années 1980-1990. C’est une expérience très marquante qui a beaucoup influencé mon militantisme, même si je me suis aujourd’hui assagi”, note Christophe, alors que, de son côté, Fabien n’est pas investi politiquement.

L’amour, c’est pas rien

Et puis la société a bien changé en quarante ans : en principe, on peut désormais présenter son boyfriend à ses parents sans problème, mais y en aura-t-il un si celui-ci a dix ou vingt ans de plus ? “Nous n’avons jamais eu de remarques dans nos familles. D’ailleurs, je suis comme un fils pour la mère de Christophe”, se réjouit Fabien. Quand il s’est mis avec Vincent, Jérôme avait déjà deux enfants, un fils et une fille d’aujourd’hui 25 et 23 ans : “Nous les appelons 'nos enfants', et ils seront nos témoins à notre mariage. Pour la fête des Pères, ils ont offert à Vincent un tee-shirt avec l’inscription 'pas un beau-père mais un papa bonus', sourit Jérôme.

Face à des inconnus, ce n’est pas toujours aussi simple : “Il faut bien l’admettre, sortir avec un mec de 18 ans quand on en a 35, c’est prendre le risque d’être vu comme un pervers”, grince Johan. Néanmoins, les incidents à déplorer sont plus souvent ceux où le plus vieux des partenaires est pris pour le père du plus jeune. “Nous en rions”, affirme Willy. “D’ailleurs, les gens qui sont en premier lieu interpellés par notre différence d’âge sont vite forcés de constater qu’elle ne nous empêche pas de nous aimer, ajoute Christian avec une certaine fierté. Cela coupe court aux critiques.”

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Quand ils ont décidé de se mettre ensemble, ces deux-là étaient déjà en couple – Willy était même marié. “J’avais eu un vrai coup de cœur pour Willy, explique Christian. Je voulais tenter cette aventure. Et je me suis rapidement rendu compte que la différence d’âge n’était pas si importante.” Shakespeare ne dit-il pas que “l’amour ne voit pas avec les yeux” ? Tenez, Jérôme et Vincent : tous leurs potes les croyaient en couple quand il n’était qu’amis. “C’était une évidence, je commençais une phrase, il la terminait”, rapporte le premier. C’est donc tout naturellement que la relation amicale est devenue amoureuse, et même si Vincent a un peu trop traîné au goût de Jérôme à lâcher son appartement, il a fini un an et demi plus tard par emménager avec lui et ses deux ados.

On vous l’a dit cent fois : l’amour triomphe de tout et ne connaît pas de frontières. Après ses premiers échanges passionnés avec Ludovic, Johan a voyagé et s’est posé avec un homme de son âge, jusqu’à ce que l’élu de son cœur soit muté non loin de là (merci, Cupidon). “Nous avons enfin décidé de nous voir, et tous mes sentiments sont revenus, les siens aussi”, se souvient-il. Et c’est le jour de la Saint-Valentin 2023, à la faveur de regards qui se croisent et de mains qui se frôlent, que Johan et Ludovic débutent dans la vie réelle l’histoire commencée virtuellement dix ans plus tôt.

Lorsque les relations s’installent et se pérennisent, la différence d’âge s’efface, et n’est plus un sujet quotidien. Fabien est en couple depuis quatorze ans avec Christophe : “Pour moi, il n’a pas d’âge. C’est la personne qui compte, pas le nombre d’années au compteur.”

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