Animée par un sentiment de fin du monde imminent, la chanteuse québécoise Safia Nolin sort un nouvel album, UFO Religion, qui nous invite à reprendre des forces avant les armes pour défendre nos idéaux.
UFO Religion. Le titre du nouvel album de Safia Nolin évoque un culte extra-terrestre, ou un film de science-fiction bourré d'effets spéciaux. Pourtant, bien loin des bruitages futuristes, la chanteuse québécoise renoue avec une musique acoustique des plus épurées. C'est que, pour la composer, l'artiste est allée prendre un bon bol d'air frais en pleine nature, entourée d'animaux. Une pause bienvenue à l'écart d'un monde qui brûle et où monte l'extrême droite un peu partout. Le résultat est minimaliste : la voix de la chanteuse et deux guitares, celles de Safia et de son ami Marc-André Labelle, qui s'accordent parfaitement et délivrent un son cristallin. Du miel pour les oreilles. Fatalement, il s'échappe de cet album un air de fin du monde, le calme avant la tempête. Avec ses textes mélancoliques et sa voix apaisante, Safia Nolin nous offre une bulle où nous reposer avant de repartir au combat.
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Nous la rencontrons dans un coffee shop à deux pas du cimetière du Père-Lachaise, à Paris, et nous mettons très vite à déblatérer sur la fin du monde. Cette idée effraie Safia autant qu'elle la fascine. "J'ai un trouble anxieux généralisé depuis que je suis petite : à 6 ans, j'avais peur que le soleil explose, de la guerre, de 2012…", s'amuse l'artiste. À 33 ans, elle a aujourd'hui l'impression que son cauchemar d'enfance devient réalité. "Chaque génération connaît sa catastrophe, son «ça ne va pas du tout»", relativise-t-elle tout de même. De passage en France en juillet, au moment des élections législatives, elle n'avait cependant jamais vu autant de dépit chez ses potes. "L'extrême droite monte et c'est terrifiant, lâche-t-elle. Ça entraîne une augmentation de crimes racistes, homophobes, transphobes, des queericides, des féminicides…"
"En ce moment, on a besoin de reprendre des forces"
La jeune femme se retrouve donc à faire "le deuil de l'idéalisation du monde" qu'elle a connu. Sa propre vie n'a pas commencé comme un fleuve tranquille. "J'ai eu une enfance difficile, explique-t-elle. J'ai grandi avec des parents super pauvres, puis je suis devenue adulte et j'ai commencé à vivre un conte de fées." Elle a alors 20 ans, fait de la musique, découvre le militantisme, le féminisme, et rêve de changer le monde. "Là, je me dis qu'il faut se préparer à vivre dans la peur et la violence", reprend-elle. Nous voilà, café glacé et cookie en main, à attendre sereinement que le ciel nous tombe sur la tête. Un paradoxe que l'on retrouve dans UFO Religion. De chaque chanson émane ainsi un calme à toute épreuve renforcé par des textes finalement bien plus réconfortants qu'alarmistes. "Même si la fin du monde me terrifie, c'est une expérience que l'on partage avec toute l'humanité", philosophe-t-elle.
Dans "Pizzaghetti", Safia Nolin partage son mal-être, sa solitude. "C'est con, mais j'ai envie que les gens pleurent, admet-elle. On a du mal à embrasser nos sentiments négatifs : la peine, la colère, la honte, ces affaires-là." Et puisqu'on ne nous apprend pas à les vivre, ni à les canaliser, la chanteuse nous prend par la main. "Je veux dire aux gens qu'ils ne sont pas seuls. Moi aussi j'ai peur, moi aussi je me sens une merde, un extra-terrestre. On est ensemble." Tandis que les fachos sont à nos portes et menacent nos existences, plaide-t-elle, "en ce moment, on a besoin de reprendre des forces, de se protéger au lieu de nous battre. Si on est à 100% du temps dans la bagarre, on ne prend pas le temps de panser nos plaies."
"Je suis quelqu'un qui a besoin de dénoncer les injustices"
Bien loin de l'image de militante enragée que cultivent ses détracteurs, la musique de Safia Nolin déborde d'amour pour ses semblables. Queer, racisée, grosse, vocale, la jeune femme dérange et se retrouve depuis de nombreuses années victime de raids haineux sur les réseaux sociaux. "C'est plus facile de penser qu'une personne en fait trop plutôt que d'accepter la réalité de la société, se positionne-t-elle. L'oppresseur préfèrera toujours penser que c'est l'autre qui exagère si ça peut lui éviter de se remettre en question." Hors de question pour autant de se cantonner à la musique : "Je suis quelqu'un qui a besoin de s'exprimer et de dénoncer les injustices quand je les vois et quand je les vis. Je préfère vivre ma vie en combat plutôt que de me taire."
N'empêche, toute militante qu'elle est, la jeune femme n'est pas hermétique. "La haine en ligne m'a beaucoup affectée, confie-t-elle, et de manière très insidieuse, qui s'est ressentie dans la durée." Le pire, c'est quand les trolls s'attaquent à sa musique. "Si tu m'insultes sur mon apparence, ça me dérange moins que si tu me dis que mes textes sont nuls à chier. Tacler sur l'apparence, c'est vide, c'est bête et méchant. L'art en revanche, c'est tellement personnel aussi. Ça me bouffe mon estime de moi", avoue-t-elle, visiblement touchée. Elle a donc dû apprendre à se distancier, à se reposer sur son entourage. Savoir qu'il y a des communautés queers partout dans le monde, même si elles sont en proie à des conflits internes, "ça fait la différence dans [sa] vie". À Montréal, elle s'est toujours sentie soutenue par ses pairs. "J'ai le sentiment qu'on m'accepte pour ce que je suis, sans que j'aie besoin de prouver quoi que ce soit. Tu ne mérites pas ta place, tu l'as d'office."
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Crédit photo : Marie Ouardiya Atcheba