interview"J'ai envie d'amener le regard ailleurs" : Alexis Langlois pour "Les Reines du drame"

Par Florian Ques le 05/12/2024
"Les Reines du drame", d'Alexis Langlois.

[Rencontre à retrouver dans le magazine têtu· de l'hiver] Dans Les Reines du drame, son premier long-métrage aux allures de rêve fiévreux, Alexis Langlois renouvelle avec énergie le cinéma queer français. Ce qui lui a valu le prix du film queer à la Cérémonie des têtu· 2024.

"Pour moi, c'est queer de présenter des personnages que la plupart des gens vont trouver ridicules et de leur donner leurs lettres de noblesse.” Ainsi a été pensé le narrateur des Reines du drame, premier long-métrage d'Alexis Langlois. Dès la scène d'ouverture, le chanteur Bilal Hassani apparaît en effet en caricature de youtubeur botoxé pour nous conter l'histoire passionnelle et destructrice de deux icônes lesbiennes…

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Dans la France des années 2000, après sa victoire dans un télé-crochet, la discrète Mimi Madamour devient l'idole des jeunes – pensez Lorie, ou Priscilla. Dans l'ombre rage sa petite amie, Billie Kohler, une artiste punk en mal de reconnaissance qui veut assumer leur idylle au grand jour. Or sa dulcinée refuse, craignant qu'un coming out ne mette en péril sa carrière. Ces drama gouines certifiées se déchirent alors sur plusieurs décennies, entre coups bas et coups d'éclat, leur amour adolescent se muant en rancœur d'adulte.

Un ovni queer

"J'ai conscience que c'est un film qui peut déranger sur plein d'aspects, mais j'aimerais que tout le monde l'adore, avoue Alexis Langlois. Je déteste quand les gens disent ne pas l'avoir aimé, et chaque fois que ça arrive, ça me fend le cœur. Enfin… c'est un problème dont je devrais plutôt parler à mon psy !" À bien des égards, son film passe pour un ovni queer dans le paysage cinématographique français : à l'écran, le casting majoritairement LGBTQI+ offre un écrin parfait à cette romance passionnelle entre deux femmes. Sans tabou, les héroïnes confessent leur amour via une sérénade parlant de fist-fucking. Et pour renforcer la fierté queer, la folle bande-son est composée entre autres par Rebeka Warrior.

"Les Reines du drame" d'Alexis Langlois

Mais ce qui frappe avant toute chose, c'est l'esthétique globale du film. Ses décors de studio, réduits à des couleurs très vives, lui apportent une atmosphère onirique forte à la James Bidgood. "Produire du merveilleux avec pas grand-chose, c'est une belle idée du queer aussi, reprend Alexis Langlois. On peut proposer sans en avoir les moyens des récits très romanesques inspirés des grands mélodrames hollywoodiens. Depuis mes 15 ans, je fais des films autoproduits avec mes amis. J'aime cette idée de faire les choses coûte que coûte en dépit du manque d'argent, de filmer les gens autour de nous, de montrer des éléments décalés de la réalité… Même si je devais faire un jour un projet avec plus de financement, on retrouverait forcément ce goût pour l'artifice."

La cinéaste, qui se genre désormais au féminin, revendique l'héritage de Gregg Araki, de John Waters et de Douglas Sirk, mais aussi des réalisateurs queers français comme Jean Cocteau, Yann Gonzalez ou Bertrand Mandico. "Ils ont contribué à l'idée que le cinéma n'a pas à être réaliste, admire-t-elle. J'ai l'impression qu'une majeure partie de ce qui est tourné aujourd'hui est dénuée de tout drame. Peut-être que les gens aiment moins l'onirisme qu'autrefois…" Et de revendiquer, face à "une sorte de dictature du réalisme en ce moment" : "J'ai envie d'amener le regard ailleurs."

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Crédit photos : Les films du poisson

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