[Article à lire dans le magazine têtu· de l'hiver] La pratique du chemsex, association de la drogue et du sexe, présente un risque évident de développer une dépendance. Face à l'addiction, rien ne sert de juger, il faut aider à point.
Jamais un alcoolique n'a arrêté de boire parce qu'on lui a dit que ce n'était pas bien ; jamais un drogué n'a arrêté de consommer parce que c'est interdit. "Dire à un toxico que ce qu'il fait est mal, c'est tout à fait inutile, ça ne l'empêchera pas d'avoir une envie irrépressible de consommer des produits", martèle Fred Bladou, chargé de mission auprès de l'association Aides. Une démarche de réduction des risques exige non pas des postures morales et autoritaires, mais d'aller vers les personnes visées pour qu'elles s'approprient les messages de prévention, selon une méthode qui a déjà fait ses preuves dans la lutte contre le VIH. Depuis des années, les associations qui s'adressent aux usagers de drogue s'en inspirent, malheureusement le phénomène chemsex échappe à leurs zones d'intervention habituelles.
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"Lorsqu'on sensibilise à la prévention du VIH, on ne s'adresse évidemment pas de la même manière à une femme d'Afrique subsaharienne qu'à un homme gay", illustre Fred Bladou. Début novembre, Aides et la Fédération addiction, réseau d'associations et de professionnels de l'addictologie, ont ainsi publié un guide à l'usage des professionnels qui souhaitent s'approprier la démarche pour s'adresser aux chemsexeurs. Et ce, au terme du projet Arpa-chemsex (pour "accompagnement en réseau pluridisciplinaire amélioré") qui a permis pendant trois ans de financer des projets innovants pour repérer les méthodes qui fonctionnent.
Sans inhibition, je fais de la prévention
La démarche d'aller-vers suppose d'abord d'instaurer une relation de bienveillance, d'ouverture et de non-jugement sur les pratiques. "On cherche à engager un dialogue avec les personnes afin qu'elles entrent dans un parcours de soin si elles en ressentent le besoin. Et si tel n'est pas le cas, on aura au moins l'occasion de les informer pour réduire les risques liés aux dangers des produits qu'elles consomment", développe Jonathan Rayneau, chargé de projet à la Fédération addiction.
Pousser la porte d'une association ou d'un médecin peut être un pas difficile à franchir. Afin de réduire les inhibitions, Aides propose des permanences en ligne où les utilisateurs peuvent poser les questions de façon anonyme : pas besoin d'allumer sa caméra ni même son micro, il est possible de correspondre par écrit. Plusieurs canaux d'information sont disponibles : une ligne ouverte en permanence pour les urgences (01 77 93 97 77) ; une autre par SMS via WhatsApp (07 62 93 22 29) ; et un groupe Facebook doté également d'un canal sur Telegram (Info Chemsex by Aides) où les utilisateurs et l'asso échangent autour d'actualités sur le chemsex et des informations pratiques concernant la santé sexuelle.
Les acteurs de terrain savent que toutes les occasions sont bonnes pour faire de la prévention, et mettent donc le pied dans la porte dès que possible. "À Lyon, on peut livrer du matériel stérile pour que les usagers de drogue puissent consommer en prenant moins de risques, et en profiter pour ouvrir la discussion et proposer un rendez-vous", explique Jonathan Rayneau. "Aller vers, ça signifie se rendre disponible quand les gens ont besoin de nous, insiste Fred Bladou. Pour répondre à des questions usuelles ou donner un coup de main, on ne peut pas attendre qu'un centre de santé spécialisé soit ouvert, aux heures de bureau, alors que les usagers consomment du vendredi au dimanche !" L'idée est de délivrer aux utilisateurs des informations très concrètes : les dosages, les associations à éviter absolument (l'alcool et le GHB/GBL, par exemple), les modes de consommation pour éviter les accidents, etc. L'association permet également de tester ses produits avant de les consommer, un réflexe nécessaire.
Mais que faire une fois qu'on a réussi à établir le contact avec les personnes éloignées des discours de prévention ? "Avoir une approche de santé sexuelle, c'est se poser la question des causes : pourquoi autant de gays se tournent vers les produits de synthèse pour le sexe ? Pas systématiquement, mais très souvent, les produits viennent pallier un trauma, combler un manque. La drogue a une fonction", souligne Fred Bladou.
Quand on veut en sortir, il est conseillé d'entreprendre une approche pluridisciplinaire de soins, qui allie addictologie, sexologie, psychiatrie… Une coordination poussée qui nécessite des ressources importantes. Or, pointe Jonathan Rayneau, "il faut parfois compter plusieurs mois d'attente avant d'obtenir un rendez-vous chez un addictologue, et plusieurs années pour avoir accès à un appartement thérapeutique. C'est du temps perdu pendant lequel les symptômes de la personne s'aggravent." Cet automne, têtu· a publié sur son site une nouvelle tribune appelant le gouvernement à prendre des mesures urgentes face au chemsex, notamment par un meilleur accompagnement des associations et structures de terrain qui pratiquent le "aller-vers". En attendant, ces dernières font ce qu'elles peuvent.
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Crédit illustration : Paris et Seine-Saint-Denis sans sida, guide de ressources sur le chemsex