Du haut de ses 25 ans, Alicia* a rejoint pour la première fois un mouvement contestataire d'ampleur. Le samedi 1er décembre dernier, deux semaines après le premier acte du mouvement des gilets jaunes, elle est allée manifester sur un rond-point, le gilet sur le dos. Femme trans', métisse, Alicia se dit queer et gilet jaune. Selon elle, les LGBT ont tout intérêt à se greffer au mouvement. Pour TÊTU, elle a accepté de revenir sur son engagement.
"Je me sens, en tant que femme trans', complètement à la marge de la société. Mise de côté. Inaudible. Je constate que les queer n'ont pas droit à la parole. Alors je me suis dit qu'en tant que personne transgenre, je ne pouvais pas passer à côté du mouvement des gilets jaunes. Parce que les personnes LGBT+ sont, elles aussi, précarisées.
Les revendications sont très disparates, mais le dénominateur commun, c'est quand même les inégalités sociales. Et forcément, ça me parle. Je suis vendeuse, je gagne 1.400 euros net par mois et mon mari 1.900 euros. Je ne me considère pas comme précaire par rapport à d'autres, parce qu'à nous deux on s'en sort. Mais les fins de mois sont quand même difficiles. Entre le loyer, le transport, les charges, il y a toute une partie des dépenses sur lesquelles on ne peut pas grignoter. Alors on se sert la ceinture, on va moins au restaurant et au cinéma. À la fin du mois, on n'a plus rien sur notre compte bancaire.
"On ne doit pas rater le coche"
Je suis une femme trans', d'origine marocaine. On peut dire que je cumule ! En tant que personnes queer, je pense qu'on ne doit pas rater le coche. Il faut se saisir de cette chance, du mouvement des gilets jaunes, pour faire entendre notre voix. Si on se mobilise avec eux, on pourrait peut-être réussir à obtenir des avancées plus rapidement, comme la procréation médicalement assistée (PMA), ou le fait de ne plus subir de discrimination à l'embauche pour les personnes transgenres par exemple.
J'estime que toute une partie de la population française reste inaudible auprès des politiques. Il est évident qu'au sein des gilets jaunes, il y a des personnes d'horizons très variés, qui font partie de cette France qu'on n'entend pas. J'ai pu croiser une femme qui travaille à mi-temps en tant que caissière au Super-U et qui galère pour élever ses enfants. J'y ai aussi rencontré un jeune homme qui enchaîne les missions d'intérim et qui est en situation précaire. Parmi toutes ces personnes, il y a évidemment des personnes queer et précarisées.
J'aimerais qu'en France on ait une vraie égalité. C'est peut être utopique de dire ça, mais j'aimerais que la parole d'un ouvrier ou d'une vendeuse comme moi porte autant que celle d'un chef d'entreprise. Quand je vois qu'Emmanuel Macron annonce ne pas vouloir revenir sur la suppression de l'Impôt sur la fortune (ISF), je trouve ça tout simplement honteux. Il refuse de discuter avec nous. La première des victoires serait donc d'être entendu.e.s.
Bloquer un rond-point
Au départ, je ne me sentais pas impliquée dans le mouvement. La principale revendication portait sur le prix de l'essence et je ne conduis pas beaucoup. Qui plus est, je trouvais ça presque anecdotique, notamment par rapport à d'autres problèmes, et les nombreuses inégalités qui traversent la société française. C'est donc à partir du moment où il y a eu d'autres revendications qui se sont greffées aux gilets jaunes, notamment celles sur le pouvoir d'achat, que ce mouvement m'a intéressée.
Mon mari est dans le mouvement depuis le début. J'ai décidé de l'accompagner, samedi 1er décembre, pour "l'Acte 3". J'étais en quelque sorte la petite nouvelle, et je suis restée un peu dans mon coin. Nous avons bloqué un rond-point de la ville de Monthieu, entre Saint-Étienne et Lyon. L'ambiance y était très bonne. J'ai fini par me sentir à l'aise. Alors, forcément, j'y suis retournée. Au total, j'ai manifesté cinq fois. Et je n'ai pas peur de le dire, je ne m'arrêterai pas de manifester tant qu'il y aura des personnes motivées pour le faire. Et surtout, tant qu'on n'aura pas obtenu de réelles avancées.
"Tout le monde se fout de l'abrogation du mariage pour tou.te.s, y compris les quelques fermés d'esprit avec lesquels j'ai pu parler au sein du mouvement."
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Reflet de la société
Lorsque j'ai entendu que l'une des revendications était l'abrogation de la loi Taubira, je n'y ai pas cru. Tout le monde se fout de l'abrogation du mariage pour tou.te.s, y compris les quelques fermés d'esprit avec lesquels j'ai pu parler au sein du mouvement. Pour eux, c'est un non-sujet. Personne ne se soucie de la vie privée des gens. Ce que l'on veut, c'est la réduction des inégalités, savoir si on va pouvoir manger à la fin du mois. Je pense réellement que ce sont des trolls de la Manif pour tous qui ont sauté sur l'occasion pour cracher leur venin.
Contrairement à ce que l'on peut entendre dans certains médias, il y a bel et bien de la tolérance au sein des gilets jaunes. J'ai remarqué que l'on parle beaucoup d'eux comme des personnes racistes et homophobes. Il y en a, c'est certain, comme partout en France, car c'est forcément le reflet de la société. Mais pour ma part, je n'ai pas côtoyé de personnes LGBTphobes. J'ai fait mon coming-out trans' assez rapidement au sein du mouvement et je me suis sentie complètement à l'aise. Je dirais même que j'ai rarement été aussi bien acceptée. »
Propos recueillis par Marion Chatelin.
* Le prénom a été modifié à sa demande.
Crédit photo : Charly Triballeau / AFP.