À l’aube du grand débat national, plusieurs personnalités politiques ont fait savoir qu’elles ne seraient pas opposées au retour d’un débat sur le mariage pour tous. Mais la loi Taubira, votée en 2013, pourrait-elle seulement être remise en cause ? On a posé la question à une avocate et à deux professeurs de droit constitutionnel.
"Certains veulent à nouveau en débattre ? On pourrait relégitimer [le mariage pour tous] dans un référendum." Ces propos sont ceux de l'Insoumis Alexis Corbière dans une interview à la chaîne parlementaire le 18 décembre. Ils ont été suivis, quelques jours plus tard, de ceux du patron du Parti communiste français (PCF) Fabien Roussel et de la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, provoquant naturellement un tollé. "On ne débat pas des droits humains consacrés", avait déploré le président de SOS homophobie Joël Deumier, pointant "le risque de libérer la parole homophobe".
Toutes ces personnalités politiques étaient interrogées sur le grand débat national à venir et le référendum d’initiative citoyenne (RIC), l'une des principales revendications des gilets jaunes. Un système qui permettrait, s’il est accepté par le gouvernement, d’abroger une loi, de révoquer un élu ou de convoquer une assemblée constituante. "À partir du moment où l’on dit initiative citoyenne, la logique voudrait qu’on ne limite pas les sujets sur lesquels les citoyens veulent s’exprimer", estime le professeur de droit constitutionnel à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne Dominique Rousseau.
"Le mariage pour tous est inscrit dans la loi"
Dans une interview à TÊTU, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux assure pourtant qu'il sera hors de question de revenir sur des droits fondamentaux. "Le mariage pour tous est inscrit dans la loi, c’est un acquis, nous en sommes les garants", a-t-il affirmé. Une incohérence pour Dominique Rousseau. "Limiter l’initiative citoyenne en disant 'pas touche à la peine de mort ou au mariage pour tous', c’est suspecter le référendum de pouvoir porter atteinte aux droits fondamentaux et ça montre qu'on se méfie des citoyens, estime-t-il. Mais le principe même du RIC est de dire : 'Nous sommes citoyens et nous avons le droit de toucher à tout'". Il ajoute qu'il faudrait d'abord une révision de la Constitution avant d'imaginer mettre en place un éventuel RIC.
Mais si le gouvernement s’engage sur son quinquennat à ne pas toucher à loi Taubira, que se passera-t-il si un·e président·e hostile au mariage pour tous accède au pouvoir en 2022 ou plus tard ? Les avis sont divisés parmi les spécialistes de la question. Si elles et ils s’accordent (presque) tous à dire que le Parlement pourrait, si assez de députés y sont favorables, abroger la loi, ils ne sont pas tous d’accord sur la suite des événements.
Le Conseil constitutionnel, un barrage ?
Première question, le Conseil constitutionnel pourrait-il casser cette loi ? Difficile de répondre précisément, mais, pour l’avocate au barreau de Paris Caroline Mécary, c’est évident. "L’abrogation de la loi Taubira serait contraire à la Constitution, estime-t-elle. Le Conseil constitutionnel considère que lorsqu’un droit est acquis, on ne peut pas revenir dessus. C’est ce qu’on appelle la 'jurisprudence cliquet'. Une fois atteint un certain niveau de garanties de droits, on ne peut plus y toucher." Elle ajoute : "Le Conseil constitutionnel a admis que le mariage était un droit fondamental. C'est une protection supplémentaire."
C’est aussi l’avis de Dominique Rousseau, pour qui "le Conseil constitutionnel est très attentif à la sauvegarde des situations légalement acquises". Et d'ajouter : "De plus, une telle abrogation serait préjudiciable à l'ordre juridique". Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, ne croit pas à cette théorie. "Dans le cadre de la peine de mort, une révision de la Constitution serait nécessaire et il existe des engagements internationaux pour protéger ce droit, explique-t-il. Malheureusement, il n'existe pas de telles protections pour le mariage pour tous."
Mieux protéger la loi Taubira
Outre le danger de se confronter à l'opposition du Conseil constitutionnel, abroger la loi Taubira serait surtout un risque politique majeur. "Ce n'est politiquement pas envisageable et ça ne fait pas du tout partie des revendications des gilets jaunes, constate Me Caroline Mécary. Cela me semble totalement improbable." Mais, dans le cas où un gouvernement ultra-conservateur arriverait un jour au pouvoir, comment protéger cette loi au mieux ? Pour l'avocate, pas de doute, il faut faire entrer le mariage pour tous dans la Constitution. Un acte également symbolique, qui enverrait un message fort à ses opposants. Elle estime également que la signature d'un protocole dans la Convention européenne des droits de l'Homme permettrait de protéger ces droits.
Sur cet aspect, Dominique Rousseau est plus méfiant. Selon lui, la constitutionnalisation du mariage pour tous aurait "un effet limité" : "Ce qui est inscrit dans la Constitution n'est pas inscrit dans le marbre". En clair, tout ce que le législateur a fait, le législateur peut le défaire. Mais, à l'image de ce qui s'est passé en Espagne en 2013, lorsque le gouvernement de Mariano Rajoy avait voulu limiter considérablement l'accès à l'IVG, difficile d'imaginer une abrogation du mariage pour tous sans une vindicte populaire et de fortes oppositions politiques.
Encadrer le grand débat national
Dans une lettre aux Français rendue publique le 13 janvier, Emmanuel Macron a fixé les contours du grand débat national, qui n'est "ni une élection, ni un référendum". Il devrait donc s'organiser autour d'une trentaine de questions sur des thèmes variés : fiscalité, modèle social, démocratie, institutions, transition écologique et diversité, immigration ou laïcité. Mais, le président l'affirme : il n'y aura "pas de questions interdites".
Interrogés avant la révélation de cette lettre, nos interlocuteurs se questionnaient sur les gardes-fous qui seront mis en place pour éviter que les débats ne partent dans tous les sens. "Dans l'état actuel des choses, on pourrait débattre de tous les sujets, sauf s'il s'agit de propos homophobes ou incitant à la haine raciale par exemple", nous indique Jean-Philippe Derosier. Attention, donc, à ce que tout ça ne vire pas au grand déballage.
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