spectacle"Escape Act", le spectacle d'Alexandra Bachzetsis et Paul B. Preciado pour "échapper aux normes de genre"

Par Marion Chatelin le 12/02/2019
Escape Act

Dans son nouveau spectacle, "Escape Act", la chorégraphe et performeuse gréco-suisse, Alexandra Bachzetsis interroge sur l'apparence et l'existence. Avec la contribution du philosophe queer Paul B. Preciado, qui a produit un texte pour la pièce, cet objet de théâtre est à mi-chemin entre la danse et la performance. Pour TÊTU, Alexandra Bachzetsis a accepté de revenir sur la génèse de ce spectacle.

Sur scène, plusieurs artistes dansent pour dénoncer l'absurdité les stéréotypes et clichés. L'objectif est d'amener le spectateur à s'interroger sur la construction de l’image et du corps dans la société contemporaine. Un spectacle qui déboulonne toutes les normes de genre, traversé par une question centrale : Est-il possible de percevoir un corps humain sans lui assigner de genre, de race, d’âge, de valeur ?

Le titre de votre pièce est "Escape Act". De quoi voulez-vous vous échapper ? 

Je pense que le nom reflète un phénomène que je ressens personnellement et qui arrive partout dans le monde en ce moment, et qui a trait au corps. Je constate que ce que nous essayons de plus en plus de faire est de nous battre contre ce que nous sommes. Des personnes âgées de 60 ans tentent d'en faire 40. Certain.e.s adolescent.e.s voudraient déjà avoir 25 ans. C'est à la fois fascinant et terrifiant. Toutes et tous essayent d'échapper en quelques sortent à ce qu'ils et elles sont.

J'essaye donc de trouver les moyens de s'échapper des normes et des cases dans lesquelles on est catégorisé. Essayer aussi d'échapper à la binarité ou aux normes de genre.

Comment cela se traduit-il sur scène ? 

Plusieurs interprètes sont sur scène, sur laquelle se trouve une installation vidéo. Les performeurs.ses dansent, en empruntant beaucoup à la scène voguing. Une question que je me suis posée en préparant cette pièce était 'comment peut-on représenter la réalité?'. C'est un peu la même chose dans le voguing, car des personnes viennent courageusement se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre, qu'elles rêveraient souvent d'être. Elles font une danse ou du lip-sync et puis repartent chez elles, et reviennent à la réalité. Cela a été une véritable source d'inspiration. 

Pour autant, je ne m'approprie pas non plus la culture voguing, je l'utilise comme manière de performer, car pour moi c'est la performance ultime, qui demande du courage et de la présence. Alors, j'ai voulu grossir le trait, exagérer. Les corps se contorsionnent. Les tailles des danseurs.ses. sont volontairement affinées par une ceinture. Le but était de faire réfléchir sur la relation qu'il peut y avoir entre l'objet et le corps. Comment on regarde aujourd'hui les corps, afin de montrer de quelle manière les femmes sont objectifiées. 

"Escape Act", le spectacle d'Alexandra Bachzetsis et Paul B. Preciado pour "échapper aux normes de genre"
Escape act. Crédit photo : Bloomers & Schumm.

Le corps est une thématique centrale dans votre oeuvre, pourquoi ? 

Le corps est ce dans quoi vous êtes né. C'est, en quelque sorte, votre tout premier matériau et c'est à mes yeux très intéressant dans la mesure où c'est à la base de tout. De la communication, de la parole, du comportement, du ressenti. Quand j'ai commencé à étudier l'art, je me suis forcément tournée vers la danse, parce que le langage du corps est pour moi le premier langage qui soit. C'est aussi le plus intime à mes yeux.

Comment avez-vous travaillé avec le philosophe queer Paul B. Preciado ? 

Cela fait trois ans que nous travaillons ensemble et nous aimons entretenir cette collaboration car notre travail est clairement connecté. Paul trouve que les êtres humains devraient être 'désidentifiés', c'est-à-dire que les corps soient vus sans aucune mention de genre, de sexe, de race, de classe, etc. Mais comment voir le corps sans idée préconçue ? C'est une grande question que je me suis toujours posée.

C'est à partir de là que l'on peut commencer quelque chose de nouveau. Se défaire de sa propre histoire et reconstruire.

Vous n'avez pas encore utilisé le mot queer dans la description de votre oeuvre qui cherche pourtant à se débarrasser des normes. Pourquoi ? 

Je pense que ce spectacle est là pour faire réfléchir sur les idées préconçues et les stéréotypes, sur le corps, la sexualité. Également pour faire réfléchir sur la construction de la féminité, de la masculinité, et de son pouvoir. Dire que le genre est une construction sociale. En ce sens, il me parait tellement évident et logique de dire que cette oeuvre est queer (rires) !

Mais c'est surtout une performance sur l'humain. Pour le coup, j'aimerais échapper au fait de toujours devoir définir ou qualifier mon travail. C'est tomber dans le piège de l'enfermement, de dire que telle oeuvre appartient à tel champs d'étude, ou à tel courant. Évidemment, ce qui est queer fait partie intégrante de ma vie, c'est la base de la base. Ce spectacle n'est pas seulement queer, il est profondément humaniste.

Escape Act sera au Centre Pompidou du 14 au 16 février 2019. 

Crédit photo : Bloomers & Schumm.