cinémaGang, violence et homosexualité... Rencontre avec le réalisateur du troublant film "Consequences"

Par Romain Burrel le 24/06/2019
Consequences

Dans son premier long-métrage "Consequences", le réalisateur Darko Štante pose sa caméra dans un centre pénitencier pour mineurs. Le cinéaste y décrit une jeunesse slovène tiraillée entre violence et fluidité sexuelle. Interview.

Dans un environnement ultra-machiste, une tendresse entre garçons est-elle possible ? C'est ce que tente de montrer le Slovène Darko Štante avec Consequences. Dans son premier film, le cinéaste montre une adolescence téstostéronée mais pas si prude.

Andrej a 17 ans et c'est un ado difficile. La justice ordonne son placement dans un centre de détention pour jeunes. Là-bas, il rejoint très vite un groupe de jeunes délinquants, mené par Zelko, une petite brute qui fascine Andrej. Cette camaraderie virile faite de violence, de fête et de drogue va permettre à Andrej de mieux cerner sa sexualité.

Rencontre avec le réalisateur d'un film percutant sur une jeunesse bouffée par le machisme mais qui a terriblement besoin d'amour.

Gang, violence et homosexualité... Rencontre avec le réalisateur du troublant film "Consequences"

On a cru comprendre que vous avez vous-même travaillé dans un centre de détention pour mineurs. Vous vous êtes inspiré d'une histoire précise ? 

Darko Štante : J’y travaille encore ! Effectivement, c’est là que j’ai eu l’idée première du film. J’ai vu passer tellement de jeunes, tellement d’histoires différentes dans ce centre...  J'y ai rencontré un jeune condamné pour agression sexuelle. En échangeant avec lui, j’ai très vite compris qu’il était gay et qu'il avait des difficultés à assumer son orientation sexuelle. J’en ai parlé au psychiatre du centre mais il n'a pas voulu m’écouter. Il a balayé ça d'un revers de main: « Non. Il n’est pas gay. » Mais j’ai insisté. Je lui ai mis la pression devant l’encadrement. Et sa réponse a été cinglante : « Ecoute, si ce garçon était gay, il ne pourrait pas être dans cette institution. m'a-t-il répondu. Les autres garçons ne l’accepterait pas. Et nous non plus d’ailleurs. Il devrait partir. » Il ne m’a pas dit « Va te faire foutre », mais c’est ce que ça voulait dire.

"L’homophobie et le machisme sont profondément ancrées en Europe de l’Est. Pas seulement en Slovénie."

Dans le film vos personnages ne parlent pas de leur sexualité. Il y a une incapacité à nommer son désir...

Ces gamins ne connaissent que la confrontation. Ils passent leur temps à se battre pour savoir qui est le meilleur, le plus fort… De leur point de vue, être gay, c’est être faible. Mais statistiquement c’est impossible qu’il n’y ait pas d’homosexuels parmi ces jeunes. Alors il faut scruter les entre-deux. Décoder leurs attitudes. Quand on traine avec eux et qu'on regarde comment ils jouent les uns avec les autres, comment ils se touchent quand ils se battent, on remarque qu'ils cherchent simplement le contact physique entre eux. Ce besoin d'amour et de tendresse est présent même s'ils ne l’admettront jamais. C'est ce qui se passe avec Andrej, le personnage de mon film. Il cherche seulement à être accepté. Pourquoi traine-t-il avec ces mauvais garçons ? Simplement parce qu’ils l’acceptent en un claquement de doigt.

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La société slovène est-elle aussi machiste que le montre le film ? 

L’homophobie et le machisme sont profondément ancrées en Europe de l’Est. Pas seulement en Slovénie. C'est une culture qui traverse tout les Balkans. Et plus on descend vers le sud, pire c’est. Même si dans l’intimité, nous savons qu’il y a autant d’homosexuels qu’ailleurs en Serbie ou en Arabie Saoudite… D’une certaine façon, cette idée de penser que l'homosexualité n’existe pas dans nos sociétés m’amuse tellement elle est ridicule. Mais pour répondre à votre question, oui la Slovénie est un pays machiste. C’est difficile d’y être ouvertement gay. Pourtant d'un point de vue formel, c’est un pays libéral (la Slovénie a autorisé l'union civile entre personnes de même sexe. Mais une loi sur le mariage pour tous a été retoqué par référendum en 2015, ndr).

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Ljubljana, la capitale, est une ville ouverte d’esprit. Si vous voyez deux garçons se donner la main, ça passe. Personne ne dira quoi que ce soit. Mais au delà de Ljubljana, c’est une toute autre histoire. Ils risqueraient de se faire arrêter. Surtout si c’est deux hommes. Deux femmes, ça peut passer encore. Elles essuieraient des commentaires. Combien de fois ai-je entendu des mères dire : « Si mon fils est gay, je le mets à la porte ! » Ou les pères dire : « Si mon fils était gay, je l’enfermerais dans une chambre avec une prostituée jusqu’à ce qu’il la baise. » Ils préfèreraient voir leur fils mort qu’homosexuel. La société slovène véhicule encore très fortement les stéréotypes de genres. Surtout en ce moment car les populistes émergent fortement à l’est. Ça devient un véritable problème.

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Avec ce film votre intention était-elle de dire à vos compatriotes : « Regardez, c’est votre jeunesse. Voilà ce qui se passe aujourd’hui » ?

Exactement. En Slovénie, ce que je déteste le plus, c’est cette classe moyenne qui, si elle voit des scènes de sexe gay comme celles que je montre dans mon film, se met à pousser des cris d'orfraie. Elle ne voit pas la réalité de sa jeunesse. Prendre des drogues, baiser, vivre comme des dingues... C'est ainsi que la jeunesse slovène vit. Parce qu’elle n’a pas le sens du futur.

"Je voulais aussi montrer que dans la société actuelle, beaucoup de gens ressentent une forte pression à devoir choisir entre une sexualité hétérosexuelle ou homosexuelle."

Il y a une jolie scène dans le film où le personnage principal danse en embrassant une fille tout en ayant la main sur les fesses de son ami. Vous pensez que la jeunesse d'aujourd'hui est plus fluide  sexuellement que les générations précédentes ?

Bien sûr ! Mais je voulais aussi montrer que dans la société actuelle, beaucoup de gens ressentent une forte pression à devoir choisir entre une sexualité hétérosexuelle ou homosexuelle. Mais on peut être attiré par les deux. Peut-être que le personnage de Zelko aime-t-il  Zvetlana et faire du sexe avec Andrej ? Ou le contraire, d'ailleurs ! Qu’importe ! 

Gang, violence et homosexualité... Rencontre avec le réalisateur du troublant film "Consequences"

Il y a beaucoup de scènes de sexe gay dans le film. Ça été difficile de convaincre les acteurs de tourner ces scènes  ?

Le défi ça n’a pas tant été le casting que les répétitions. (rires) Le sujet aurait pu rebuter certains jeunes acteurs mais d’un autre coté, les jeunes slovènes ont des points communs avec ceux d'Europe de l’Est : ils veulent tous être chanteurs et acteurs ! (rires) Alors quand tu organises une audition, tout le monde vient ! J’ai pris soin de bien les prévenir de la nature de film. Au départ, je voulais faire appel à des acteurs non-professionnels. Je leur disais: « Avez-vous quelque chose contre l’idée d’embrasser un autre garçon ? Le toucher ? » Tous me disaient : « Aucun problème ! » Mais au moment des auditions, ils approchaient souvent le rôle comme une blague. Ça ne marchait pas. Je ne voulais pas me moquer des personnes LGBT+. J’ai décidé de faire le tour des cours de comédie pour choisir de jeunes acteurs.

Gang, violence et homosexualité... Rencontre avec le réalisateur du troublant film "Consequences"

J’avais déjà dirigé Matej Zemljic, l’acteur qui joue le rôle d’Andrej, dans des petits projets où il n’était pas payé donc j’ai pensé à lui. Je voulais lui donner sa chance. Puis j’ai choisi une dizaine d’acteurs avec qui j’ai répété pendant 2 mois. Je ne savais pas qui jouerait quoi. Ils ont essayé tous les rôles. Certains on renoncé, d’autres non. Le plus grand challenge dans ce casting, c'était la violence, pas l’intimité. Ils n’avaient aucun problème à l'idée de s’embrasser, de se toucher ou de tourner des scènes de sexe. La scène où les garçons font l’amour avec une fille a été plus délicate à tourner. Ils m'ont simplement dit « Ok, essayons simplement de ne pas faire 100 prises pour cette scène, s’il te plait ». Je ne suis pas ce genre On a fait que 2 prises.

Ces acteurs sont très doués. Ils ont l'air très durs à l’écran mais à la ville, il sont très doux. Matej par exemple est l’opposé de son personnage. Il a pris énormément de muscle pour le rôle. Maintenant il est revenu à son poids. 

Gang, violence et homosexualité... Rencontre avec le réalisateur du troublant film "Consequences"

 

Aviez-vous d’autres réalisateurs en tête avant de signer ce film ?

Pas vraiment. Je voulais filmer à la manière des frères Dardenne, avec une démarche naturaliste. Pour la photographie, je voulais avoir des lumières qui rappelleraient le film Pusher de Nicolas Winding Refn. J’ai vu également le film Kids de Larry Clark... Mais c’était une influence diffuse. Mon inspiration venait plutôt des années 50 avec James Dean ou Marlon Brando. Dans certain plans, j’essayais de montrer Andrej comme Montgomery Clift.

Le film a-t-il été difficile à financer ? 

Non. Tout le monde aimait le script. Je n’ai pas eu de problèmes à trouver les fonds. Le gouvernement soutient les films d’auteurs. Les salaires des comédiens n’étaient pas très élevés et moi j'ai accepté de ne pas être payé. Mais grâce à ce film, certains de ces acteurs sont devenus des stars en Slovénie. 

"Un jour, un mec s’est levé en pleine séance et a hurlé : 'Personne dans ce monde peut me forcer à regarder ce film jusqu’à la fin. Salut les pédales !'"

Comment le film a-t-il été reçu en Slovénie ? 

Il a été très bien reçu àLjubljana. Il a eu une belle vie dans les salles d’art et essai. Mais dans le reste du pays, ça a été beaucoup plus... difficile. Lorsque je me rendais dans les projections en province je prenais beaucoup de plaisir a attendre la première scène où les deux garçons s’embrassent pour découvrir les réactions du public. Les spectateurs étaient souvent très mal à l’aise. Certains soupiraient, d’autre se mettaient à tousser très fort, d'autres ne tenaient plus en place sur leur siège ou riaient…

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La plupart restaient dans la salle. Mais on a eu quelques mauvaises expériences. Un jour, un mec s’est levé en pleine séance et a hurlé « Personne dans ce monde peut me forcer à regarder ce film jusqu’à la fin. Salut les pédales ! » Puis il est parti avec ses deux amis. Lors d’une projection dans un lycée, un gamin a pété les plombs et m’a incendié pendant les questions/réponses. « Pourquoi avez vous fait ce film ? Pourquoi avez-vous fait du personne d’Andrej un pédé ? Pourquoi ne pouvait-il pas être simplement avec une fille ? » J’avais très envie de lui répondre « Tu sais ce qu’on dit des gens qui sont aussi mal à l’aise avec l’homosexualité ? » Mais je pense qu’il aurait fallu appeler la sécurité… (rires)

"Consequences" de Darko Štante avec Matej Zemljic, Timon Sturbej, Gasper Markun. En salles ce mercredi 26 juin 2019. (1h 33min)

Crédits images : Epicentre