LGBTphobieMaroc : la police ouvre une enquête après la campagne d'outing homophobe

Par Timothée de Rauglaudre le 27/04/2020
maroc

Depuis mi-avril, des jeunes homosexuels au Maroc sont victimes d'une campagne d'outing, qui en a poussé au moins un au suicide. La police vient d'ouvrir une enquête.

On attendait une première réaction des autorités marocaines. Elle est arrivée, une semaine après les premières mentions de l'affaire dans la presse. La police marocaine a ouvert une enquête préliminaire pour "incitation à la haine et à la discrimination" après des fuites de données privées visant la communauté LGBT+, a appris l'AFP vendredi 24 avril auprès de la directeur générale de la sûreté nationale (DGSN).

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C'est une phénomène inédit, inquiétant par sa rapidité et son ampleur, difficile toutefois à mesurer. Vendredi 17 avril, nous révélions dans une enquête l'horrible campagne d'outing menée contre de jeunes homosexuels au Maroc depuis quelques jours. Incités par un influenceur sur Instagram aux motivations troubles, de nombreuses personnes ont en effet diffusé sur les réseaux sociaux photos et informations privées issues d'applications de rencontres gays comme Grindr, dans un contexte de forte homophobie légale et sociétale. Nous avions alors recueilli les témoignages de six victimes, et une association nous avait indiqué qu'au moins une centaine de cas avaient été recensés.

Un suicide confirmé

Depuis, un collectif d'une vingtaine d'associations marocaines a dénoncé une "chasse aux sorcières" et une "campagne de diffamation" et "d'intimidation". Cet instagrameur, souvent décrit comme une femme transgenre mais se décrivant comme un homme gay, "tente de faire subir la même rupture familiale [qu'il a subie] à son groupe en adoptant le discours et les codes de ses propres détracteurs, a estimé le sociologue marocain Khalid Mouna dans Libération. Cet individu, manifestement instable psychiquement, souhaite isoler les jeunes homosexuels marocains en faisant éclater leur cellule familiale." On trouve aussi dans certaines de ses vidéos des références à la charia.

Les conséquences de ces outings en masse sont parfois dramatiques. Dans notre enquête, nous faisions déjà état d'une tentative de suicide racontée par un de nos témoins. De plus, une des victimes interrogées par TÊTU nous a fait part de sa volonté de quitter le Maroc pour se mettre en sécurité. D'après le journaliste marocain Hicham Tahir, un jeune homme de 21 ans, étudiant en France mais confiné dans sa famille à Rabat, s'est donné la mort vendredi 17 avril. Une affirmation confirmée par Le Desk, média marocain.

"Droit à la vie privée"

Sur le site de TÊTU, l'écrivain marocain ouvertement homosexuel Abdellah Taïa a dénoncé dans un texte puissant la "chasse aux gays" qui se joue actuellement dans son pays, appelant le pouvoir à réagir : "Mais l’Etat n’est pas là. Aux abonnés absents. Et sans une réponse politique, rien ne va bouger. On continuera de sacrifier les gays, les lesbiennes, les personnes transgenres et leurs ami-e-s. Et on continuera de dire que le Maroc se modernise et la jet-set internationale continuera d’y trouver le décor Mille et Une Nuits dont elle a tellement besoin pour survivre au rythme tellement infernal de l’Occident." Lundi 27 avril, c'est l'organisation Human Rights Watch qui a réagi à son tour dans un communiqué : "Le gouvernement devrait à la fois faire respecter le droit à la vie privée et dépénaliser les relations entre personnes de même sexe."

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L'enquête de la police marocaine a été déclenchée "par la publication par un individu d'un contenu numérique" portant "atteinte aux systèmes de traitement automatisé des données", a indiqué à l'AFP le porte-parole de la DGSN, sans autre précision. La police est prête à "enregistrer et traiter toutes les plaintes déposées par les plaignants, conformément à la législation en vigueur", a-t-il toutefois ajouté. Pour l'instant, rares sont les victimes qui osent aller porter plainte. En effet, l'article 489 du code pénal criminalise les actes homosexuels, avec une peine pouvant atteindre jusqu'à trois ans de prison.

 

Crédit photo : H Anderson/Wikimedia Commons