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InternetCe qui se cache derrière le blocage du porno gratuit pour protéger les mineurs

Par Timothée de Rauglaudre le 19/06/2020
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Le Sénat a adopté la semaine dernière un amendement pour renforcer l'interdiction du porno aux mineurs et s'en prendre aux "tubes". Une partie du milieu du porno s'inquiète des conséquences pour les actrices et acteurs indés, d'autres s'interrogent sur l'efficacité de la mesure.

C'est un texte qui divise, y compris dans l'industrie du porno et parmi les actrices et acteurs qui la composent. Dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 juin, le Sénat a adopté un amendement de l'élue Les Républicains Marie Mercier sur le porno, dans le cadre d'une proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Alors que le code pénal interdit déjà, dans son article 227-24, la diffusion de porno accessible aux mineurs, cette disposition est peu appliquée à l'ère du numérique. C'est pourquoi la sénatrice veut permettre au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de mettre en demeure toute "personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne" qui "permet à des mineurs d’avoir accès à des contenus pornographiques", avec la possibilité d'ouvrir une procédure judiciaire si cette personne ne délivre pas ses "observations" sous quinze jours.

Pour comprendre la genèse de cet amendement, il faut remonter au 20 novembre 2019. Lors d'un discours à l'Unesco sur les violences faites aux plus jeunes, en plein Grenelle des violences conjugales, le président de la République Emmanuel Macron appelle les "opérateurs" à durcir leur contrôle de l'âge des internautes, sous peine de blocage : "On va maintenant préciser dans notre code pénal que le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l'accès à la pornographie des mineurs de moins de 15 ans." Lorsqu'elle voit arriver au Sénat le texte des députés sur les violences conjugales, qui s'attaque dans son article 11 aux violences faites aux mineurs, Marie Mercier saisit l'occasion pour tenter d'inscrire dans la loi la promesse du président. Son amendement, qui ajoute un nouvel article au texte, a été adopté à l'unanimité et soutenu par le gouvernement.

Diabolisation du porno ?

Plusieurs interrogations ont émergé parmi les travailleuses et travailleurs du sexe. En premier lieu, pourquoi mettre sur la table la question du porno dans le cadre d'une proposition de loi sur les violences conjugales ? "On sent que c’est l’influence des féministes prohibitionnistes sur les politiques gouvernementales, estime, remontée, Eva Vocz, actrice porno, camgirl et coordinatrice de la Fédération Parapluie rouge, qui regroupe la plupart des associations de travailleuses et travailleurs du sexe en France. Il n'y a aucune étude d’impact sur le lien entre l'exposition des mineurs au porno et les violences conjugales. On invente un lien de corrélation en jouant d’une panique morale, d’une mauvaise image et d’une méconnaissance de ce qu'est la pornographie."

Déjà, dans son discours à l'Unesco, Emmanuel Macron s'en était pris à l'ensemble de l'industrie du porno, sans distinction, en la qualifiant de "genre qui fait de la sexualité un théâtre d'humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes". Camgirl, directrice de sa propre société de production, Carré Rose Films, qui "essaie de proposer un porno plus inclusif, naturel, moins hétéronormé", et rédactrice en chef depuis l'an dernier du webzine Le Tag parfait, Carmina fustige elle aussi un texte législatif qui "vient de gens qui ne connaissent pas les pornographies, qui en voient une seule et supposent que toutes sont dégradantes, violentes, misogynes". Pourtant, la sénatrice se défend d'avoir voulu établir un lien de cause à effet entre pornographie et violences : "Mettons de côté la diabolisation du porno, ce n'est pas le sujet."

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S'attaquer aux "tubes"

Sur le papier, la volonté de Marie Mercier est avant tout de s'attaquer aux "tubes". Ces géants mondiaux du porno, dénoncés par la réalisatrice et ex-actrice porno Ovidie dans son documentaire Pornocratie, les nouvelles multinationales du sexe (2017, Canal+), sont apparus avec PornHub en 2006, YouPorn et d'autres ayant suivi en 2007. Ils diffusent chaque jour des milliers de vidéos gratuites, souvent issues du piratage, et seraient largement responsable, d'après la sénatrice, de l'accès croissant des mineurs au porno, qui peuvent faire disparaître en un clic l'avertissement qui s'affiche en arrivant sur ces sites : "Il y a de l’argent à la clé. Ce qui est gratuit, c’est pour appâter. Si c’est gratuit et diffusé aussi largement, c'est bien qu’il y a une question d’audience."