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histoire"Gisèle Halimi est une figure clef du mouvement LGBT+"

Par Nicolas Scheffer le 08/03/2023
L'avocate Gisèle Halimi, président du mouvement "Choisir", anime un débat, le 6 mars 1978, au Havre.

C'est moins connu que son action d'avocate, dans les procès d'Aix et de Bobigny, pour la pénalisation du viol et pour le droit à l'avortement, mais Gisèle Halimi a porté à l'Assemblée nationale la suppression du délit d'homosexualité. Aux côtés de Robert Badinter, comme députée, elle a défendu la loi du 4 août 1982 face à l'opposition farouche de la droite conservatrice. Retour sur ce pan de l'histoire gay que nous devons à la féministe disparue en 2020.

La mort de Gisèle Halimi, le 28 juillet 2020 à Paris, a endeuillé la cause des femmes mais aussi celle des minorités LGBT+. Si l'avocate de la pénalisation du viol et du droit à l'avortement est devenue une figure historique du féminisme, elle a aussi plaidé, comme parlementaire, pour les droits des homosexuels. Auteur du Rose et le noir, les homosexuels en France depuis 1968, l'historien Frédéric Martel, qui l'a connue personnellement, rappelle que la députée a porté à l'Assemblée nationale la loi du 4 août 1982 achevant la dépénalisation en France de l'homosexualité. À l'occasion, ce mercredi 8 mars 2023, de l'hommage national rendu aux Invalides par le président Macron à Gisèle Halimi, nous republions cet entretien datant du 29 juillet 2020.

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Gisèle Halimi a porté en 1982 le texte de suppression du "délit d'homosexualité" : comment la députée féministe était-elle arrivée à ce sujet ? 

Frédéric Martel : Gisèle Halimi est surtout connue pour avoir été l'avocate du procès d'Aix sur la pénalisation du viol et de celui de Bobigny sur l'avortement. Elle a également signé le manifeste des 343 en 1971 [une pétition de femmes déclarant ayant avoir eu recours à l'IVG]. Elle a toujours été une avocate singulière dans le mouvement féministe partagé entre une tendance identitaire, représentée par Antoinette Fouque, et une tendance plus universaliste portée par Simone de Beauvoir. Mais Gisèle Halimi n'a jamais fait partie d'aucun de ces camps. Politiquement, elle a eu une relation plus facile avec le PS que d'autres féministes, considérées comme trop à gauche.

En 1978, le procès d'Aix la rend célèbre. Elle est assez proche de François Mitterrand et c'est lui qui lui propose de devenir députée de l'Isère. Pendant la campagne, François Mitterrand intervient à un débat dans le cadre de l'association de Gisèle Halimi, Choisir. Interrogé par Josyane Savigneau, il annonce alors son souhait d'abroger l'alinéa 2 de l'article 331 du Code pénal, qui prévoyait une majorité sexuelle différente selon une pratique homosexuelle (18 ans) ou hétérosexuelle (15 ans). Quand la gauche arrive au pouvoir, Gisèle Halimi n'est qu'une simple députée et personne ne veut porter le texte à l'Assemblée. Elle en devient alors rapporteuse aux côtés de Robert Badinter, alors ministre de la Justice et déjà auréolé de l'abrogation de la peine de mort.

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Comment se déroulent les débats à l'Assemblée ?

Le débat est relativement long, entre l'hiver 1981 et l'été 1982. Il fera l'objet de quatre lectures au Parlement ! C'est un débat beaucoup plus compliqué que celui sur la peine de mort, qui a été plus rapide. Pourtant, le texte ne comporte qu'un seul article, qui vise à abroger l'alinéa en question. Mais le député gaulliste du Maine-et-Loire Jean Foyer mène un combat extrêmement violent. Le débat dure des heures, l'extrême droite accuse tout le monde d'être pédophile. À l'Assemblée, Gisèle Halimi est qualifiée de "bête de plaisir". Elle m'a dit qu'à l'époque, tout le monde pensait qu'elle voulait transformer la France en un vaste bordel. Mais elle avait le soutien de Badinter, de Mitterrand et de la majorité. La loi est votée à une très large majorité (327 voix contre 155) à une date symbolique, le 4 août 1982 [date de l'abolition des privilèges en 1789]. À ce titre, Gisèle Halimi est une figure clef du mouvement LGBT+.

Quel était le style de Gisèle Halimi dans la défense de ce texte ?

Gisèle Halimi est avant tout une grande avocate, comme Robert Badinter. Elle fonctionne avec une grande connaissance des dossiers et une plaidoirie très écrite. Elle a l'habitude de parler en public. Comme toute avocate de ce niveau, quand elle s'exprime, tout est extrêmement préparé, ce qui, techniquement, laisse moins de prises à ces adversaires. Mais elle sait aussi avoir des fulgurances. Un jour, un adversaire lui objecte que l'article 331-2 permet de récupérer des recettes fiscales grâce aux amendes pénales et qu'en abrogeant le délit, l'État se couperait d'une ressource financière. Elle rétorque : "Ce n'est pas du droit, c'est de l'humour".

Gisèle Halimi n'était pas une activiste comme pouvait l'être Yvette Roudy, la ministre des Droits des femmes à ce moment. Malgré une majorité confortable, elle avait besoin d'emporter l'adhésion. Ce qui lui donne une manière plus policée de débattre qu'un militantisme activiste, mais ne l'empêche pas d'être provocatrice dans ses positions, et d'être conspuée. Elle offre une autre approche du droit des femmes que la violence, le sectarisme ou l'identitarisme.

Gisèle Halimi a toujours défendu les droits LGBT+ ?

Même si elle-même était hétéro, Gisèle Halimi a toujours été du côté des homosexuels, contrairement à de nombreuses féministes, notamment du MLF. Elle a eu un rapport compliqué avec le gauchisme. Militante, elle a toujours signé les pétitions pour l'avancée des droits LGBT+, par exemple elle sera aussi très active sur le Pacs.

1982 est-elle définitivement l'année de la dépénalisation de l'homosexualité ?

Le texte que Gisèle Halimi a porté en 1982 fait partie d'un ensemble défendu par la gauche et qui est rapidement mis en oeuvre. À côté de l'abrogation de l'article 331-2 porté par la Justice, les fichiers de police sont supprimés par l'Intérieur et Gaston Defferre, et Jack Lang à la Culture œuvre pour limiter la censure des films. Enfin, Roger Quillot, ministre du Logement, supprime une disposition qui voulait que les locataires s'occupent de leur logement "en bons pères de famille". Ces quatre positions ont une importance relative, lorsqu'on les prend individuellement, mais elles composent un bouquet qui devient conséquent dans son ensemble. C'est en cela qu'on peut parler de dépénalisation.

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Crédit Photo : Gisèle Halimi le 6 mars 1978 au Havre, par Mychele Daviau / AFP