La réalisatrice Caroline Benarrosh nous raconte l'envers du décor de son documentaire, où se croisent les parcours de trois hommes rescapés des "thérapies" qui veulent "guérir" l'homosexualité. Il sera diffusé sur France 5 mardi 5 septembre.
Ils s'appellent Mathew Shurka, Jordan Kramer et Lucas Greenfield. S'ils sont issus d'horizons différents, ces trois hommes âgés de 20 à 32 ans ont pour point commun d'avoir survécu à une thérapie de conversion. La documentariste et journaliste Caroline Benarrosh s'est envolée jusqu'aux États-Unis pour aller à leur rencontre et revenir sur leur histoire et les faire raconter leur traumatisme. C'est ainsi qu'est né Tu deviendras hétéro, mon fils, son tout dernier long-métrage, qui passe au crible ces pseudo-thérapies censées "guérir" l'homosexualité.
En mêlant questionnements politique, juridique et humain, Tu deviendras hétéro, mon fils s'impose comme un film fort sur le fléau des "thérapies de conversion". À l'occasion de sa diffusion sur France 5 ce mardi 8 septembre à 20h50, TÊTU a rencontré sa réalisatrice.
Vous avez déjà signé plusieurs documentaires mais c'est le premier consacré aux thérapies de conversion. Qu'est-ce qui vous a poussée à vous pencher sur ce sujet-là ?
Caroline Benarrosh : Tout a commencé avec un film de cinéma qui s'appelle Come as You Are [The Miseducation of Cameron Post en VO, ndlr]. En sortant de la salle, je me suis dit que ce n'était pas possible, que ça ne pouvait pas vraiment exister. Je suis ensuite allée me renseigner sur Internet où je suis tombée sur des dizaines de témoignages, de garçons comme de filles, qui racontaient ce qui leur était arrivé durant ces thérapies. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose.
En tant que maman d'adolescentes, je me suis demandée comme on faisait lorsqu'on grandit dans la haine de soi pour bien grandir. Et je me suis demandée comment des parents pouvaient faire subir ça à leurs enfants. Je voulais faire un film assez intime puisque l'idée, c'était de comprendre ce que ces jeunes gens avaient traversé.
Quel travail de documentation avez-vous accompli en amont ?
Ce qui a pris le plus de temps, c'était de choisir ceux qui allaient témoigner. Je voulais montrer que ça pouvait toucher tous les milieux sociaux, des États du sud de la Bible Belt qui sont les moins progressistes en un sens jusqu'à l'État de New York dans lequel Mathew a grandi. Il n'y a pas de fille dans le casting parce que j'avais l'impression que le chemin était souvent plus difficile pour les garçons que pour les filles, qui parvenaient sans doute mieux à cacher leur homosexualité si elles le souhaitaient. L'idée ensuite, c'était de sélectionner trois profils qui venaient de différents milieux sociaux et religieux.
Comment êtes-vous rentrée en contact avec Lucas, Mathew et Jordan, les trois sujets principaux du documentaire ?
Mathew est activiste donc ça a été le plus facile à contacter, d'autant plus que son histoire était vraiment très intéressante. Lucas, je l'ai trouvé parce qu'il y a eu un procès contre le camp qui l'a torturé pendant plusieurs années. C'est en tombant sur cette histoire que je suis remontée jusqu'à lui. Il n'avait jamais vraiment raconté tout ce qui lui est arrivé en dehors d'une salle d'audience, donc c'était un peu une première pour lui. Et Jordan, je l'ai trouvé en passant par sa fac à Auburn. J'avais envie de trouver quelqu'un en Alabama, réputé pour être l'un des États les plus conservateurs des États-Unis, et c'est comme ça que je suis tombée sur lui.
Combien de temps avez-vous consacré à la réalisation de ce documentaire ?
Il y a eu un mois de tournage et, avant ça, peut-être quatre mois d'échanges avec eux. Parce que je leur demandais beaucoup, il fallait qu'on apprenne à se connaître. On a passé beaucoup de temps à discuter au téléphone, parce qu'évidemment on est un peu loin les uns des autres. Je voulais qu'ils sachent que j'allais leur poser des questions très intimes et il fallait qu'ils soient d'accord. Qu'ils aient envie de le faire.
Au fil du documentaire, vous vous rendez sur les lieux où se déroulaient les thérapies de conversion. C'est glaçant à voir. Comment était-ce d'y être, en compagnie de vos témoins qui étaient passés par là ?
Je n'ai pas dormi la veille. Avec Lucas, on s'est rencontrés à New York, où on a passé deux jours tous les deux avant de prendre un vol pour aller en Alabama. J'avais très peur qu'il ne tienne pas le coup et j'avoue que c'est une responsabilité de ramener quelqu'un sur des lieux aussi chargés. Mais dès qu'on est arrivés, il m'a dit "c'est marrant parce qu'il y a quelques années, j'étais là en jogging avec le crâne rasé et aujourd'hui je reviens en costume et l'endroit est déglingué". C'est l'une des premières phrases qu'il m'ait dites quand on est arrivés, et je l'ai conservée dans le film. À ce moment-là, j'ai compris que ça irait, qu'il avait fait du chemin.
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Qu'avez vous découvert grâce à ces trois témoins ?
Oui, j'ai découvert plein de choses. Par exemple, Lucas ne m'avait pas tout raconté au téléphone. Quand on s'est rencontré, l'entretien a duré plus de deux heure, et j'ai dû poser cinq questions, maximum ! Même chose pour Mathew. Ce n'était pas prévu que j'interviewe sa mère. Elle m'a révélé des choses que Mathew ne m'avait pas dites, comme l'usage du viagra par exemple. Son "thérapeute" lui avait demandé de prendre du viagra afin qu'il puisse avoir des relations sexuelles avec des filles. Parfois, les interviews font ça : elles déclenchent, elles ouvrent des portes. Et ça a été le cas ici.
Votre documentaire nous emmène jusqu'aux États-Unis où vous nous racontez le parcours délicat de ces trois hommes ayant subi des "thérapies de conversion". Aviez-vous songé à réaliser un documentaire similaire en France, où ce type de "thérapie" existe sous d'autres formes et de façon bien plus secrète ?
Non, j'avoue que je n'y ai pas pensé. Pour moi, l'idée, c'était de circonscrire cette histoire aux États-Unis parce que je trouvais que ça voulait dire beaucoup de choses sur l'Amérique contemporaine. À travers des histoires très singulières et très intimes, on raconte aussi ce retour du puritanisme aux US, qui est un vrai mouvement avec Mike Pence, Betsy DeVos... Il y a aujourd'hui beaucoup plus d'actes homophobes aux Etats-Unis qu'il n'y en avait à l'époque de Barack Obama. C'était important pour moi de situer cette histoire dans ce contexte.
Pensez-vous que votre documentaire pourra résonner avec un public non américain ?
Je le pense, parce que c'est un film intime malgré tout. Ce sont avant tout des jeunes hommes qui se confient sur leur parcours. Et des gamins rejetés par leurs parents à cause de leur homosexualité, hélas, je pense qu'on en trouve en France aussi.
Crédit photo : Tohubohu Films / France 5