Daniel Cordier, qui fût secrétaire de Jean Moulin, est entré en résistance en juin 1940. Il est décédé vendredi 20 novembre.
Article mis à jour le 20/11/2020 à 17h09
Daniel Cordier, alias Caracalla, est décédé ce vendredi 20 novembre. Il avait fêté ses 100 ans en août dernier. Né à Bordeaux en 1920, il était l'un des quatre derniers compagnons de la Libération, ces résistants qui ont rejoint de Gaulle pour entrer en clandestinité.
C'était aussi et surtout un résistant ouvertement homosexuel. Il avait raconté sa jeunesse dans ses mémoires Alias Caracalla, parues en 2009. Le résistant y dévoilait notamment sa passion pour Jean Moulin, dont il fut le secrétaire particulier à 22 ans.
C'est Jean Moulin qui le fait passer de l'extrême droite au sein de l'Action Française, à la gauche. Le jeune homme se sent trahi quand Pétain demande l'armistice le 17 juin 1940. Il s'engage alors auprès de de Gaulle pour poursuivre le combat. Parachuté en métropole, il entre au service de Jean Moulin en juillet 1942.
"De vieilles querelles internes"
L'histoire a longtemps associé l'homosexualité avec la collaboration. Dans un texte particulièrement infâme intitulé "La Collaboration" et publié en 1945, Jean-Paul Sartre le premier décrit l'homosexualité comme un terreau social pour la collaboration. Le philosophe associe les collabos à des "éléments mal assimilés par la communauté nationale et attirés par la force", note la revue Historia.
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Dans les années 90, l'homosexualité supposée de Jean Moulin fait l'objet de controverses et de scandales. "Henri Fresnay disait à tout le monde, que puisqu’ayant été le secrétaire de Jean Moulin, j’étais la preuve que celui-ci était homosexuel. En vérité, il s’agissait de vieilles querelles remontant à la guerre interne à laquelle, pendant toute l’Occupation, se sont livrés les résistants de France et ceux basés à Londres avec le général de Gaulle", explique Daniel Cordier à Libération.
"Un soleil dans la solitude"
Pendant la guerre, il tait son orientation sexuelle, "la haine à l’égard de l’homosexualité était terrible", raconte-t-il des décennies plus tard. En 1936, le sexe, "c'était un soleil dans la solitude. Il avait un coût, c'était un péché mortel", raconte-t-il lors de la parution de "Les Feux de Saint-Elme", sur ses amours homosexuels lorsqu'il était adolescent. "On voulait être libre et s'affirmer. Et puis, quand on avait pris son plaisir, c'était l'écroulement parce qu'il y avait Dieu qui nous jugeait. On se rendait compte qu'on faisait quelque chose qui n'était pas bien".
Mais la légende de "l'homo collabo" à la vie dure. Daniel Cordier n'est pourtant pas le seul gay à être entré dans la résistance. Dans ses rangs on retrouve Pierre Herbart, Roger Stéphane, Jean Desbordes...
Dans un texte publié par TÊTU, l'écrivain Charles Dantzig regrette que l'histoire des résistants homosexuels soit occultée, notamment dans les rues. L'historien s'est battu pour que Pierre Herbart puisse avoir une plaque à son nom. "J’étais bien étonné qu’il y eût tant de rues Pierre Brossolette en France et pas de rue Pierre Herbart. Brossolette a été un héros et il mérite bien entendu ses rues, mais il me semblait trouver quelque chose de douteux dans cette absence. Comme s’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Et en effet quelque chose n’allait pas. Herbart était gay", écrit-il.
Partisan du mariage pour tous, Daniel Cordier faisait un lien direct entre son entrée en résistance et la lutte pour les droits des personnages LGBT : "Cela va avec l’idée de liberté. Je me suis battu pour la liberté. Et la liberté, c’est aussi celle de faire ce qu’on veut avec son corps et avec son sexe. C’est très important", notait-il plus de 70 ans plus tard, dans un entretien au Monde.
Crédit photo : Capture d'écran YouTube, université Panthéon-Sorbonne