LGBTphobie"Vivre caché ou ailleurs, basta !" : en Corse face à l'homophobie, la parole se libère enfin

Par Benjamin Soyer le 25/08/2021
Corse

Un mois après la violente agression dont a été victime un couple gay à Macinaggio, en Haute-Corse, une manifestation anti-LGBTphobies a été organisée dimanche dans les rues de Bastia. Une première du genre, qui s'inscrit dans un réveil des consciences initié par des militant·es lassé·es du climat viriliste toxique encore omniprésent sur l'île, et qui ont décidé de lutter. Témoignages.

"La violence de l’agression nous a tous choqués. On voulait réagir, dire que ce n’est pas tolérable". Pour Mattea, comme pour les dizaines d’autres personnes qui se sont rassemblées ce dimanche 22 août dans les rues de Bastia pour dénoncer les LGBTphobies en Corse, "il fallait manifester". Un mois après la violente attaque qui a visé un couple gay devant un bar à Macinaggio, au Cap Corse, la colère est toujours là, et la volonté de faire évoluer les mentalités plus présente que jamais. Se mobiliser donc, pour "dire basta" à l’homophobie ambiante : un acte essentiel puisqu’il s’agit de la première marche "vraiment revendicative, en soutien direct aux victimes de LGBTphobies" jamais organisée sur l’île de Beauté.

Ne plus se taire

"Il y a une volonté d’être visibles, bruyants, de montrer qu’on est là, qu’on existe et qu’on ne veut pas se taire ni se cacher", poursuit la militante de 24 ans auprès de TÊTU. Une initiative portée par plusieurs collectifs féministes et LGBTQI+, déterminés à "casser l’isolement" sur l'île des personnes concernées. Arcu Corsica en fait partie. Créée en 2019, l’association veut être un repère pour la communauté LGBTQI+ en Corse. Un projet légèrement ébranlé par la crise sanitaire, qui avait jusqu’à présent empêché la tenue de rassemblements, même si l’association a déjà pu apporter son aide à quelques victimes : "On s’est occupé de quatre agressions physiques majeures depuis qu’on existe, déclare Mattea. C’est pas mal, mais ça ne reflète pas la réalité car il y a des gens qui ne parlent pas".

"Les homos que je connais sont quasiment tous partis"

En Corse, "il y a ceux qui seraient très heureux de 'casser du pédé' – et ça arrive assez régulièrement –, mais il y a aussi une homophobie plus passive", constate Nicolas, jeune trentenaire partagé entre son île natale et Paris. C'est cette homophobie latente et quotidienne qui se fait la plus pesante pour les Corses LGBTQI+, jusqu’à nourri l’envie de s’exiler sur le continent. "Les homos que je connais, qui sont Corses ou qui ont grandi en Corse, sont quasiment tous partis, souligne le garçon qui vient lui-même de se décider à rejoindre de nouveau la capitale. Et ceux qui restent ne l'assument pas, ou le vivent de manière cachée". Et la militante féministe qui se fait appeler "Cassio sorcière" de surenchérir : "On est en 2021 mais ils ne peuvent pas vivre leur amour librement ici. (…) La seule solution qu’ils trouvent, c’est l’exil." Pour Mattea, jeune femme de 24 ans également partie vivre sur le continent pour y suivre des études, "il n’y a pas beaucoup d’agressions physiques", du moins probablement "pas plus qu’ailleurs" : elle rejoint ainsi Nicolas sur l’idée d’une "homophobie intériorisée, commune et omniprésente", corollaire d’un "virilisme très poussé" sur l’île.

D’où la difficulté pour les jeunes Corses LGBTQI+ encore dépendants, qui ne peuvent pas fuir leur environnement de vie. "Pour un jeune Corse qui se découvre homo aujourd’hui, c’est l’enfer", rapporte le trentenaire à TÊTU. Une opinion partagée par Cassio sorcière : "À l'adolescence, vivre sa sexualité librement ici, c'est impossible". En cause, pointent-ils : l’esprit "ultra-conservateur, très catholique" encore très présent. La proximité des habitants joue également un rôle, puisqu’il est difficile de cacher sa sexualité : "Tout le monde se connaît, on n’a pas d’anonymat", confie Nicolas. Une communauté restreinte que l’on peut retrouver dans des villages du continent, remarque Mattea, mais à laquelle est ajoutée ici la problématique insulaire : "Il n’y a pas d’échappatoire possible, on ne peut pas prendre le train pour aller dans une grande ville". La jeune femme reste néanmoins optimiste et perçoit dans ces particularités "à la fois un poison et un antidote" : la proximité peut aussi, selon elle, faciliter la compréhension des problématiques rencontrées par les personnes LGBTQI+, et amener à une forme d’introspection collective sur le sujet.

Les élus de Corse interpellés

La remise en question serait également la bienvenue au niveau politique. Si Mattea souligne que "davantage d’échanges" sont entrepris "avec les collectivités territoriales à ce sujet" depuis la création de l’Arcu Corsica, les activistes LGBTQI+ corses ont globalement été déçus du manque de réactions politiques après l’agression à Macinaggio. La jeune femme regrette notamment le silence de Gilles Simeoni, figure populaire locale, président du conseil exécutif de Corse et "chef de clan nationaliste" : "C’est énervant de ne pas profiter de cette aura-là pour condamner ces violences, s’agace-t-elle. Ça aurait beaucoup de poids".

"Le déni des politiques nous insupporte"

Plus qu’un silence, Sylvie Fondacci dénonce l’inaction des élus corses sur le sujet. Cette militante de longue date, qui croit beaucoup à l’interpellation des politiques, est en lien avec Lauda Guidicelli, conseillère exécutive en charge de la jeunesse, des sports et de l’égalité hommes-femmes. "Les politiques ont un rôle indispensable à jouer en Corse, déclare-t-elle à TÊTU. Je me rappelle que Monsieur Simeoni m’avait dit un jour ‘je suis pour une Corse ouverte et généreuse’. La Corse ouverte et généreuse, c’est pour tout le monde !" La militante a récemment proposé à l’Arcu Corsica de réaliser un état des lieux des LGBTphobies sur l'île, afin de débattre du sujet "avec les politiques et syndicats". Parce que "ce qui nous insupporte, c’est le déni des politiques", ajoute Cassio sorcière. "Le mur d'omerta, d'indifférence et de déni ici est vraiment très problématique pour nous".

Le virage militant a débuté l’année dernière, avec l’émergence d’un mouvement féministe en Corse et de hashtags dénonçant les agressions sexuelles, puis un rassemblement pour la journée contre les LGBTphobies. Un "abcès enfin crevé", souffle Mattea, qui constate sur l’île "une volonté globale d’évoluer, de nommer les problèmes, d’y faire face et de lutter contre."

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Témoignage de ce sursaut, la manifestation de Bastia est intervenue quelques jours après une action symbolique, organisée par plusieurs collectifs féministes et LGBTQI+ dans la nuit du lundi au mardi 17 août. Des militants s'étaient rendus sur le lieu de l'agression homophobe de Macinaggio, survenue le 14 juillet, pour "redécorer" l'établissement "en bar LGBT, alors qu'il est homophobe". Une initiative saluée par des personnes LGBTQI+ de l'île, puisqu'il s'agissait du premier événement activiste coordonné contre le climat homophobe en Corse. "Des garçons qui sont obligés de vivre leur sexualité cachée nous remercient et nous soutiennent beaucoup, parce qu'ils disent que c'est la première fois qu'ils voient une réaction sur le territoire, et surtout à l'endroit même où ont lieu les agressions", développe Cassio sorcière.

Lâcher de paillettes, exposition de drapeaux arc-en-ciel et déploiement d'une banderole ornée d'un malicieux "Happy Gayhour" sur la devanture du bar en ont fait un acte indéniablement "festif" et provocateur, visant à tourner en ridicule les LGBTphobies, mais également à "montrer qu'il y a aussi une riposte en Corse" selon la militante : "Ils ont le pouvoir à cause de leur violence. Nous, on ne veut pas que notre riposte soit violente. Notre moyen, c'est l'humour." Avec un message sous-jacent : "Ça voulait dire : 'on est allés sur votre territoire, et on n'a pas eu peur'".

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Crédits photos : montage CC/affiches appelant à la manifestation de Bastia