Alors que le ministre de l'Éducation est en guerre ouverte contre le "wokisme" et l'entrée du pronom "iel" dans le dictionnaire, c'est le harcèlement scolaire qui fait des ravages dans les écoles, comme le confirme un nouveau rapport de la Défenseure des droits, Claire Hédon.
Un certain sens du timing… Ce lundi le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a tenu la première réunion de son think tank placé sous le signe de la lutte contre le "wokisme", avant le lendemain de se porter à la tête du combat contre l'introduction du pronom "iel" dans le dictionnaire. Sauf que les élèves souffrent d'un mal autrement plus important, comme la Défenseure des droits l'a encore rappelé ce mercredi 17 novembre : à la veille de la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, l’autorité administrative publie un rapport alarmant sur le sujet, évaluant à 700.000 le nombre d'enfants victimes. "C’est beaucoup plus fréquent que ce que j’imaginais", admet Claire Hédon dans la matinale de France Inter. Fin septembre, déjà, un rapport sénatorial estimait entre 800.000 et un million le nombre d’élèves victimes de harcèlement scolaire chaque année.
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"Nous avons consulté des centaines d'enfants et de jeunes, qui ont réfléchi à ce qui peut affecter leur santé mentale. Ils ont en particulier évoqué l'impact durable que peuvent avoir les souffrances vécues à l'école, qu'elles soient causées par du harcèlement, des difficultés ou des pressions scolaires", développe le rapport. Un phénomène face auquel les élèves attendent encore de la part de l'institution scolaire une prise en compte à la hauteur de l'enjeu. "Au collège, ils parlent du harcèlement, mais juste pour la bonne conscience, pointe un jeune cité. Ils ne font pas assez d'efforts par rapport à ça, alors que c'est un sujet très important et que ça peut détruire des vies."
Harcèlement scolaire et signaux faibles
La Défenseure des droits alerte sur l'importance de traiter le harcèlement dès ses premiers signes. "Faute d'être repérées ou traitées à temps, ces situations de mal-être tendent à se dégrader, avec toujours des conséquences lourdes, et parfois dramatiques", poursuit le document détaillé de 80 pages. En cause notamment, un manque de considération de la parole des enfants. Pour lutter efficacement contre le fléau, Claire Hédon recommande de former les parents et les encadrants "pour apprendre à repérer les signaux faibles".
Même lorsqu'ils sont explicites, ces signaux sont trop souvent ignorés par l'école. Ainsi dans un témoignage déchirant, Yanis, victime d'une agression homophobe à Montgeron, avait raconté en octobre ce que beaucoup d'élèves subissent. Agressé régulièrement par ses camarades qui lui demandent "de bien marcher, pas comme un pédé", il alerte l'établissement, en vain selon son témoignage.
Après lui, c'est la mère de Dinah, l'adolescente de 14 ans qui s'est suicidée début octobre en Alsace après avoir été harcelée à l'école, qui a pointé du doigt l'institution scolaire. Elle assure pourtant avoir alerté l'établissement de sa fille après une première tentative de suicide. "J'ai appelé le collège pour leur expliquer ce qu'il s'était passé. Ils m'ont répondu que c'était très grave et qu'il fallait que je porte plainte. Je leur ai répondu que j'allais effectivement porter plainte, contre les parents de ces filles qui harcelaient ma fille et contre le collège. Et en fait, dès que j'ai dit le mot 'collège', ça s'est retourné contre moi. Après son hospitalisation, ma fille a repris les cours et c'était encore pire qu'avant. Elle me racontait que, même la CPE, elle n'osait plus passer à côté d'elle car elle la regardait de travers ou qu'elle rigolait avec les autres filles qui la harcelaient. Ma fille me disait : 'mais si la CPE et le collège ne font rien, qui peut faire quelque chose pour moi ?'", a témoigné Samira Gonthier sur C8.
Lutte insuffisante de l'école
Bien qu'un "droit à une scolarité sans harcèlement" soit inscrit dans la loi depuis 2019, la Défenseure des droits constate que les saisines "révèlent l'insuffisance des mesures prises afin de protéger les enfants" et "démontrent la persistance du phénomène". Le rapport constate "la réticente des professionnels à intervenir parallèlement à une procédure pénale en cours et leur refus de prendre des mesures lorsque les faits dont l'élève est victime se poursuivent en dehors du cadre scolaire". C'est pourtant ce dont la plupart des victimes témoignent : le harcèlement ne s'arrête pas aux grilles de l'école, du collège ou du lycée, mais se poursuit ensuite, via les réseaux sociaux.
Le 17 mai dernier, le ministère de l'Éducation nationale avait annoncé le déploiement à partir de la rentrée 2021 du programme Phare, visant à doter chaque établissement d'une équipe pluridisciplinaire formée à la prise en charge du harcèlement. Au-delà, la Défenseure des droits insiste : "La sensibilisation aux droits inscrite dans les programmes scolaires doit être rendue plus effective".
Mal-être des enfants trans
L'autorité administrative alerte en particulier sur la situation des élèves transgenres, observant "une augmentation du nombre de saisines concernant des enfants transgenres qui peinent à faire accepter, avec bienveillance, leur identité de genre dans le contexte scolaire. Ces difficultés se rencontrent aussi bien à l’égard des autres élèves que de l’institution elle-même, qui ne parvient pas toujours à les accompagner dans leur nouvelle identité. Elles peuvent être sources de décrochage et de troubles ou de détresse psychologiques".
Alerté de longue date par les associations concernées, le ministère de l'Éducation a enfin publié cette année une circulaire, diffusée dans les établissements, pour définir un cadre dans l'accueil des enfants transgenres et harmoniser les règles d'accueil. En décembre 2020, le suicide d'une lycéenne a Lille, avait éclairé le désarroi des professionnels sur l'identité de genre. Quelques jours avant de se donner la mort, l'ado de 17 ans avait été tancée par sa CPE car elle souhaitait porter une jupe au lycée. La circulaire enjoint aux établissements de "créer des environnements scolaires qui garantissent à ces élèves le droit à l’intégrité, au bien-être, à la santé et à la sécurité".
Si des critiques ont été émises sur plusieurs points, la circulaire a été globalement saluée comme une avancée par les associations, qui attendent néanmoins de voir son application sur le terrain. Car les messages envoyés par la tête du ministère sont contradictoires sur les sujets LGBTQI+. On se demande en effet où sont les priorités de Jean-Michel Blanquer quand, n'ayant rien dit sur la dernière édition du Figaro magazine et son dossier caricatural intitulé "antiracisme, idéologie LGBT+, décolonialisme... Comment on endoctrine nos enfants", le ministre a jugé utile de faire savoir ce mardi sur Twitter son soutien à "la protestation du député François Jolivet", lequel a écrit à l'Académie française pour dénoncer l'entrée dans Le Petit Robert du pronom neutre "iel", "sans doute précurseur de l'avénement de l'idéologie 'woke', destructrice des valeurs qui sont les nôtres". Quelles valeurs, exactement ?
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