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famillesRéforme de l'adoption : "Ne pas donner un enfant à des parents mais une famille à un enfant"

Par Nicolas Scheffer le 09/02/2022
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Une proposition de loi sur l'adoption vient d'être votée à l'Assemblée nationale. Elle doit ouvrir le processus aux couples non mariés et réformer les Conseils de famille, souvent trop hostiles à l'adoption d'enfants par des couples homos.

L'Assemblée nationale a voté définitivement ce mardi 8 février 2022 la proposition de loi de Monique Limon (LREM) visant à faciliter l'adoption en France. Très attendue, cette réforme ouvre notamment l'adoption aux couples non mariés. "Un texte de progrès", selon les mots de la députée Coralie Dubost (LREM), qui doit mettre fin aux "discriminations relatives aux règles d’union ou à l’homoparentalité".

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Depuis l'ouverture en 2013 de l'adoption aux couples homos, force est de constater que ce droit n'est pas entré dans les faits. Au bout de six ans, à Paris, seuls deux couples homos avaient accédé à l'adoption. En Seine-Maritime, c'est encore pire, où l'inspection générale des affaires sociales avait reconnu dans un rapport qu'une règle explicite donnait la priorité aux parents hétéros. Ce rapport a été commandé après que la responsable de l'adoption du département eut lâché publiquement que les couples homos "sont un peu atypiques par rapport à la norme sociale mais aussi la norme biologique. [Il faut donc] que leur projet supporte des profils d'enfants atypiques." En d'autres termes, on ne propose aux couples homos que des enfants en situation de handicap ou en mauvaise santé.

Le texte voté à l'Assemblée était issu d'un rapport publié fin 2019. Parmi ses mesures phares pour "faciliter et sécuriser l'adoption", la fin de l'obligation de mariage, donc. Au-delà, le texte prévoit un abaissement de l'âge minimum pour adopter (qui passe de 28 à 26 ans), mais aussi de la durée minimale de concubinage des couples (de deux ans à un an). L'écart d'âge entre l'adoptant le plus jeune et l'enfant ne pourra pas excéder 50 ans. Surtout, la nouvelle loi vise à dépoussiérer le fonctionnement des Conseils de famille.

Pour tout comprendre de cette réforme, la rapporteure du texte Monique Limon, députée LREM de l'Isère, a répondu aux questions de TÊTU [interview initialement parue le 2 décembre 2020, au début du parcours législatif du texte].

L'un des points principaux de cette proposition de loi est d'ouvrir l'adoption aux couples non mariés. En quoi est-ce que cela change la donne ?

L'adoption est aujourd'hui ouverte aux couples mariés et aux personnes seules. Lorsque le mariage pour tous a été adopté, il a permis par ricochet l'adoption. On veut ouvrir l'adoption à tous les statuts matrimoniaux. Ce texte vise à mieux coller à l'évolution de notre société. Car le mariage n'est plus nécessairement une garantie de stabilité de la vie d'un couple, d'autant que les divorces sont en augmentation. Beaucoup de personnes sont pacsées ou vivent en concubinage. Et puis, la stabilité du couple est déjà évaluée par la procédure d'adoption, pas par le mariage. Ce serait dommage de les priver de la possibilité d'adopter, d'autant qu'il y a beaucoup d'enfants qui cherchent une famille. Pour les enfants, c'est un plus. Ils se fichent que ses parents soient mariés, pacsés ou concubins, cela ne change absolument rien pour eux.

Quels sont les autres points qui vous tiennent à cœur dans ce texte ?

La proposition vise à valoriser l'adoption simple. Avec elle, l'enfant garde une filiation avec ses parents biologiques et rajoute une filiation avec ses parents adoptifs. Beaucoup d'enfants sont placés à l'Aide sociale à l'enfance, mais ne peuvent pas être adopté de façon plénière [où l'acte de naissance ne comporte plus les parents antécédents, ndlr]. Ils pourront être accueillis dans une famille plutôt que de rester en famille d'accueil ou en établissement jusqu'à leur majorité. Quand le projet de vie permet de pouvoir être adopté, il faut l'encourager. C'est important de rappeler qu'une fois adopté, l'enfant ne peut pas être récupéré par ses parents biologiques : l'autorité parentale est actée.

On constate de fortes disparités territoriales selon les départements. Comment comptez-vous rendre l'adoption plus homogène sur le territoire ?

Le constat de notre rapport, c'était de voir que des départements mettaient en œuvre de façon disparate la loi. On renforce les outils en demandant que les commissions puissent étudier la situation des enfants jusqu'à trois ans. Ils pourront l'étudier de manière régulière pour que l'enfant puisse être adopté le plus rapidement possible et partout.

"C'est un changement de société, il se fera, mais pas du jour au lendemain."

Les homoparents ont le droit d'adopter, mais ce droit se traduit difficilement dans les faits. Comment rendre cette possibilité concrète ? 

Nous voulons faciliter l'adoption des homoparents. On souhaite que les Conseils de famille soient composés d'une personne dont l'expertise est liée à l'éthique et la lutte contre les discriminations. Cela permettra d'avoir toutes les qualités autour de la table. On demande aux membres des Conseils de famille d'avoir une formation obligatoire pour que chacun ait une culture des discriminations. Mais c'est un changement de société, il se fera, mais pas du jour au lendemain.

"Nous ne voulons pas donner un enfant à des parents, mais une famille à un enfant."

Comment répondez-vous à La Manif pour Tous qui dénonce un pseudo "droit à l'enfant" ?

Toute ma réflexion s'est construite dans l'intérêt supérieur des enfants. Nous ne voulons pas donner un enfant à des parents, mais une famille à un enfant. Je ne dis pas que les parents ne m'intéressent pas, mais entre les deux, c'est l'intérêt de l'enfant qui prime.

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Crédit photo : Danielle MacInnes / Unsplash