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politiqueAnne Hidalgo : "Mon combat est pour l'égalité, pas pour la différence"

Par Nicolas Scheffer le 25/03/2022
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[Interview] À deux semaines du premier tour de l'élection présidentielle 2022, le dimanche 10 mars, la candidate du Parti socialiste (PS) Anne Hidalgo a reçu têtu· pour dresser un premier bilan de cette campagne difficile et expliquer ses positions sur les questions LGBTQI+ et sociétales.

Propos recueillis par Nicolas Scheffer et Thomas Vampouille

C'est une candidate préoccupée qui nous accueille. Si Anne Hidalgo arbore une mine souriante, en s’installant de l’autre côté de la longue table de réunion de son QG de campagne dans le 12e arrondissement de Paris, le propos s'engage dès avant le début de l'interview sur la situation de notre démocratie. Sur "la suite", surtout, dont se soucie particulièrement celle qui, il faut bien le dire, n'a pas réussi en six mois de campagne à imprimer sa marque dans cette présidentielle. Elle l'admet, et l'explique. Mais il reste deux semaines, et rien n'est jamais joué dans une élection avant le vote. Après plusieurs rendez-vous manqués ou annulés avec têtu·, la maire de Paris et candidate du Parti socialiste (PS) nous rencontre enfin.

"Une campagne massacrée, un débat complètement atone et atrophié dans un pays qui ne va pas bien."

Maintenant qu'elle arrive dans sa dernière ligne droite, quel regard portez-vous sur cette campagne, à la fois particulière en général et difficile pour vous ?

Anne Hidalgo : C'est une campagne extrêmement difficile, qui inquiète surtout sur l'état du pays, de notre démocratie, et pour la suite. D'un côté, on a un candidat président qui refuse le débat et veut enjamber le scrutin. De l'autre, des chaînes d'info en continu et des sondages qui ont fait monter dès le mois de septembre la candidature d'Éric Zemmour en expliquant que c'étaient ses sujets qui intéressent les Français. À l'époque, je parlais déjà de pouvoir d'achat, de justice sociale, d'écologie et de démocratie. On m’expliquait que ça ne prenait pas dans l’opinion parce que ce ne sont pas de vrais sujets. Cela a duré six mois, avec pour résultat une campagne massacrée, un débat complètement atone et atrophié dans un pays qui ne va pas bien.

Une campagne inquiétante sur l'état de la gauche, aussi ?

Il y a aussi eu, en effet, une impossibilité pour la gauche de s'entendre. Avec un rôle très particulier de Jean-Luc Mélenchon, dès le mois d'avril, pour qui on ne s'entend que si tout le monde est derrière lui. Voyant que la division de la gauche était un sujet majeur, j'ai proposé en décembre d'organiser une primaire, c'est-à-dire que les candidat·es qui veulent gouverner ensemble viennent devant la population : les médias étaient prêts à accueillir plusieurs débats mais là, refus catégorique, essentiellement de Yannick Jadot, puis refus même d'accepter des débats ! 

Donc on a continué à ne parler que de l'extrême droite, des thématiques de l'immigration et de la sécurité, avec en plus une primaire de la droite qui a couru après l'extrême droite. Enfin, la Primaire populaire est arrivée, avec sans doute une bonne volonté mais une impréparation qui l'a fait exploser en vol. Au bout du compte, tous les thèmes qui sont les nôtres, les questions sociales, sociétales, environnementales, ont été complètement écartés.

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En observant votre campagne, on a aussi pensé à celle de 2007, quand Ségolène Royal était soutenue du bout des lèvres par les "ténors" du PS : est-ce que le parti ne vous a pas fait le même coup ?

L'élection d'Emmanuel Macron en 2017 a explosé le champ politique, provoquant un très grand affaiblissement à droite et à gauche. Certains ont cru, de toute bonne foi, qu’il pouvait incarner une forme de social. Très vite, je crois, la plupart ont compris que le macronisme c’est de droite… et de droite. D'une droite très dure, d'ailleurs, sur les questions sociales et même sociétales. Il n'y a donc pas eu de reconstruction ces dernières années. Ce que j'ai essayé de faire, avec lucidité, c'est de partir de cette situation très compliquée en m'entourant d'une équipe d'élus locaux, de nouveaux visages qui occuperont, je l'espère, l'espace politique dans les années qui viennent. Et puis j’ai eu, heureusement, des figures à mes côtés : je pense à Martine Aubry, Bernard Cazeneuve, au soutien de François Hollande…

Poussif, le soutien de François Hollande !

Non, c'était très enthousiasmant le meeting de Limoges !  Ne refaisons pas l'exégèse de ce qu'il n'aurait pas dit ou comment il l'aurait dit : tous les gens qui étaient là l'ont très bien entendu, comme moi, et c'est très bien qu'il s'inscrive aussi dans ce soutien, clair et sans ambiguïté.

Votre prédécesseur socialiste à la mairie de Paris, Bertrand Delanoë, roule lui pour Emmanuel Macron alors qu'il avait été votre mentor : comment le prenez-vous ?

Ce soutien n'est pas récent : Bertrand Delanoë avait déjà soutenu Emmanuel Macron en 2017, et en 2020 il ne m'a pas soutenue aux municipales. Donc voilà, moi j'ai beaucoup d'estime et d'affection pour lui, il a pris un autre chemin, je respecte le chemin qu'il prend mais il n'y a aucune surprise à cela. D'ailleurs, il ne dit pas qu'il soutient Emmanuel Macron au nom de ses valeurs de gauche… Je crois qu'aujourd'hui, celles et ceux qui sont de gauche voient lucidement le bilan du quinquennat Macron, qui ne se fera pas d'ailleurs, puisqu'il n'en est pas comptable et que tout le monde parle d'autre chose.

"Un deuxième quinquennat Macron, c’est la destruction pure et simple de notre protection sociale !"

Comment expliquez-vous que la politique sociale menée durant ce quinquennat, et celle présentée dans le programme 2022 d'Emmanuel Macron avec par exemple la retraite à 65 ans, ne mobilise pas plus ? 

Une grande partie du "peuple de gauche" attend qu'il y ait une offre politique renouvelée, une proposition ambitieuse et réaliste, de la part de cette gauche qui transforme, réforme et se coltine le réel. Une partie de la population a également pu se dire que vu le chaos du monde, il faudrait peut-être qu’Emmanuel Macron continue. Mais beaucoup de ces gens-là ont été stoppés net dans cette idée, voyant bien qu’un deuxième quinquennat Macron, c’est la destruction pure et simple de notre protection sociale ! Les classes moyennes ou les catégories modestes le voient, concernant les retraites, l’école, l’hôpital… Ils se rendent compte que nos services publics comptent, que la santé, c’est un patrimoine national et que la retraite, ce n’est pas quand on est mort qu’on en profite. Ils ne voteront pas Macron.

Que leur dites-vous ?

Peut-être que ces gens ont beaucoup de reproches à nous faire, je les comprends. Mais s’il y a encore des choses à dire, c’est à travers le bulletin de vote. Je les appelle à ne pas donner un blanc-seing à Emmanuel Macron, qui se servira de leur bulletin de vote pour détruire ce qui leur est très cher. Vous avez le choix, arrêtez de vous laisser conditionner par des sondages qui veulent vous prendre le cerveau, par les chaînes d’info en continu qui ont fait monter Zemmour et qui le font descendre maintenant qu’ils comprennent que le guignol est vraiment un guignol…

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Sur les sujets LGBT, Emmanuel Macron a dans son bilan la PMA ouverte aux femmes seules et aux couples de lesbiennes, la fin des "thérapies de conversion" et l'accès des hommes gays et bi au don du sang. Comment jugez-vous cette action et comment auriez-vous mieux fait ?

D'abord, c'est un bilan assez conservateur. Parce qu'il est venu sur ces trois sujets-là à la fin de son quinquennat, presque en catimini, histoire de pouvoir cocher la case "LGBT-friendly" sans choquer la masse plus conservatrice de son électorat. Les combats que vous citez sont portés par la gauche depuis longtemps. J’ai fait partie de ceux qui, à gauche, ont porté la PMA pour toutes en 2012 et poussé pour que la mesure soit votée avec le mariage pour tous. Sur les thérapies de conversion, la gauche a porté ce combat depuis longtemps et donc tant mieux s'il le rejoint à la fin, c'est une avancée. Sur le don de sang, je porte ce combat depuis des années avec Jean-Luc Roméro et beaucoup d'autres et donc, là encore, tant mieux. Sur la PMA, l'ouverture arrive à la toute fin du mandat, après moult temporisations pour, comme le fait toujours Emmanuel Macron, flatter le camp conservateur tout en envoyant quelques émissaires dans l'univers LGBTQI+. 

Pour la suite, quels doivent être à vos yeux les axes principaux d'une politique progressiste sur les dossiers LGBTQI+ ?

Il faut d'abord agir sur la réalité de l'exercice des droits, parce qu'ils sont proclamés mais maintenant, il faut qu'ils vivent. Sur la PMA notamment, il faut les moyens pour donner aux femmes un accès réel à ces techniques. Deuxièmement, la lutte contre les discriminations, parce que les LGBTphobies sont encore puissantes dans notre pays. Il faut une politique extrêmement forte d'accompagnement des victimes, avec une police formée – comme l'est la police municipale que je mets en place à Paris – sur les questions de LGBTphobies, d'antisémitisme, de racisme et de sexisme. Il faut pouvoir discerner, détecter et avoir l'attitude qu'il convient d'avoir vis-à-vis des victimes et des agresseurs. Cela veut dire aussi une justice qui réagit dès qu'il y a des agressions, verbales ou physiques. Ne rien laisser passer, en somme, sur le recueil des plaintes, l'accompagnement des victimes et la décision de justice. Et puis il y a tout ce qui a trait à l'éducation. Dès le plus jeune âge, notre système éducatif doit permettre aux enfants de comprendre que la différence fait partie de la vie, et que l'orientation sexuelle n'est pas un choix. Tout ce travail passe par l'école, par un travail sur les représentations sexistes ou discriminatoires.

Justement, à l'école le harcèlement scolaire continue d'être un phénomène massif : comment parvenir enfin à l'éradiquer ?

Je ferai de la question du harcèlement scolaire un grand sujet. Cette violence, qui est exercée sur des enfants par des enfants eux-mêmes, l'est souvent dans le silence, l'invisibilité, parce qu'il ne faut pas faire trop de bruit, qu'il vaut mieux ne pas en parler… Tout cela doit être traité avec les équipes pédagogiques et avec les parents d'élèves pour qu'au moindre signal, même faible, de harcèlement, il puisse y avoir un travail de discussion afin d'arrêter ce harcèlement dont on sait qu'il peut conduire jusqu'au suicide. Je pense notamment à des jeunes qui découvrent leur homosexualité, et qui vont être en difficulté pour en parler y compris dans leur propre famille, et se retrouver totalement seuls face à cette violence. Donc il faut là aussi lutter de façon déterminée, par une politique publique, par une parole forte et récurrente du chef de l'État sur le sujet. Ce n'est pas juste quand il y a un drame qu'on s'exprime : dans des sociétés de communication comme la nôtre, le rôle du politique est de rappeler en permanence ce qu'est une cause, et celle du harcèlement scolaire est pour moi majeure.

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Vous en feriez une grande cause nationale ?

Ma grande cause nationale, ce sera la santé mentale. Mais c'est connexe : sur le harcèlement scolaire, cela signifie mettre aussi les moyens sur les psychologues scolaires, et sur la pédopsychiatrie que je veux renforcer.

Vous êtes hostile à l'autorisation de la gestation pour autrui (GPA) : est-ce que vous considérez qu'une femme qui serait volontaire pour être porteuse serait forcément vénale ou irresponsable ?

Je suis extrêmement hostile à la GPA, au nom effectivement de cet argument de la marchandisation du corps des femmes. Cette marchandisation existe dans des pays où la GPA est institutionnalisée : c'est une façon de gagner sa vie, de survivre que de vendre ou ses organes ou la capacité à faire naître un enfant pour autrui. Je pense qu'il y a beaucoup trop de risques. Je préfère prendre le risque d'empêcher des femmes qui pourraient être tentées de faire don d'un enfant à quelqu'un d'autre que d'ouvrir la possibilité de la marchandisation des corps. En revanche, je suis bien sûr pour la reconnaissance des enfants nés d'une GPA à l'étranger. 

"Il nous faut reconnaître et accompagner tout ces parcours de transition."

Seriez-vous comme Jean-Luc Mélenchon pour l'inscription dans la Constitution de la liberté de changer de genre ?

Je me sens très proche des personnes transgenres, et je pense que c'est vraiment un sujet sur lequel on doit aussi progresser et conquérir de nouveaux droits. Pour en avoir discuté avec beaucoup de personnes concernées, je sais à la fois la difficulté, la souffrance, le chemin que cela signifie d'aller jusqu'à un changement de sexe parce qu'on ne se reconnaît pas dans celui défini à la naissance. Il faut donc accompagner ce chemin, à tous points de vue, sur le plan médical, psychologique, sur le plan aussi du remboursement du processus, et évidemment pour le changement d'état civil. Il nous faut reconnaître et accompagner tout ces parcours de transition. Il ne s'agit pas, comme diraient les ultra-conservateurs, d'une mode, il faut arrêter avec ce discours et se préoccuper de la situation des personnes concernées. Il faut aussi faire comprendre aux autres ce que cela signifie, et de ce point de vue, je me réjouis que la représentation progresse dans la littérature et le cinéma, cela participe d'une vision plus ouverte et de la compréhension de ce qu'il se passe chez ces personnes.

Pouvez-vous éclaircir votre position sur la question du travail du sexe ?

Je ne veux pas revenir sur la loi de pénalisation des clients votée en 2016, sous le quinquennat de François Hollande. Je considère d'une façon générale, même s'il y a des exceptions, que la question de la prostitution relève de la marchandisation du corps. Et je suis cohérente : je considère que les êtres humains n'ont pas à être réduits à l’état de marchandise. Est-ce qu'il y a des femmes et des hommes qui sont dans une activité qu'ils considèrent comme professionnelle et qui le font volontairement ? Sûrement, je ne mets pas ça en doute mais en même temps, comme sur la GPA, je considère que tant pis pour celles et ceux qui, marginalement, sont dans le libre exercice de leur volonté, je préfère protéger celles qui sont prises dans les réseaux. Je suis donc philosophiquement sur une position dite abolitionniste. Ce qui ne m'empêche évidemment pas d’être aux côtés d’associations se revendiquant réglementaristes lorsqu’il s’agit d’accompagner, de protéger, notamment par l’attribution de subventions. On n'a pas à écarter les associations réglementaristes pour n'aider que les abolitionnistes.

"Je suis de cette gauche dite universaliste, ma quête, c'est l'égalité réelle des droits."

On a l'impression qu'un schisme, peut-être générationnel, est en train de se former au sein de la gauche sur ces questions…

Je ne critiquerai pas le militantisme et une forme de radicalité plus grande. Je pense que c'est important qu'il y ait des mouvements associatifs qui poussent, agitent le débat dans la société, et il est important d'entendre toutes ces voix. Chacun peut exprimer et développer ses argumentaires mais cela doit s'exercer sans violence, injures, invectives ni caricature des positions. Moi, mon combat est pour l'égalité, pas pour la différence. Même si dans la conquête de l'égalité des droits, il est important de faire valoir sa différence parce que sinon, on ne nomme pas les discriminations et on ne peut pas les traiter. Mais je ne vise pas à établir tellement de différences qu'à la fin, il n'y a plus de communauté humaine. Je suis de cette gauche dite universaliste, ma quête, c'est l'égalité réelle des droits. Je ne crois pas qu'il y ait des gauches irréconciliables, je pense que tout le monde peut se reconnaître dans cette idée que le but final, c'est bien l'égalité.

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Crédit photo : JB.Gurliat