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politiqueAnne Hidalgo et les LGBTQI+ : la passion s'affaiblit

Par Nicolas Scheffer le 14/03/2022
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Maire de Paris depuis 2014, Anne Hidalgo a longtemps bénéficié du soutien des associations LGBTQI+. Mais depuis sa réélection en 2020, les critiques sont de plus en plus sévères à l'endroit de sa majorité municipale. Alors têtu· fait le point (article paru dans notre numéro 229).

Rive droite, dans le centre de Paris, devant les bars arborant fièrement le rainbow flag, des amoureux se bécotent sans regards obliques tandis que vous traversez la rue sur des passages piétons aux couleurs de l’arc-en-ciel. Vous êtes dans le Marais, fameux quartier gay de la capitale, l’un des visages de la ville que sa maire socialiste, Anne Hidalgo, aujourd’hui candidate à la présidentielle, aime le mieux mettre en avant. D’ailleurs, le 17 mai, pour la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, l’Hôtel de ville se pavoisait en rainbow, et Jean-Luc Romero-Michel, ad- joint en charge des discriminations, déclarait la capitale “zone de liberté LGBTQI+”, en réaction à l’homophobie d’État sévissant en Pologne.

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Durant nos luttes, Anne Hidalgo s’est souvent trouvée à nos côtés. Il faut dire qu’elle a été à bonne école, puisqu’elle fut première adjointe à la mairie de Paris de Bertrand Delanoë – dès l’élection de ce dernier, en 2001, et jusqu’à ce qu’elle lui succède, en 2014 – , premier maire ouvertement gay. En décembre 2012, alors que le gouvernement socialiste s’englue dans la réforme mal préparée du mariage pour tous, elle ferraille pour défendre nos droits. Puis, quand François Hollande abandonne la PMA, elle dénonce sa décision. “Sans la PMA, qui permettrait à de nombreuses femmes lesbiennes d’accéder à la maternité, l’égalité n’est pas encore réalisée”, affirme-t-elle alors à TÊTU, en 2014, lors de la campagne pour son premier mandat. Après sa victoire, la dauphine de Delanoë, qui compte alors quatre maires d’arrondissement ouvertement gays dans sa majorité, semble plébiscitée par la communauté. Durant la Pride qui suit son élection, elle porte la banderole dans le carré de tête, accompagnée de son premier adjoint d’alors, Bruno Julliard, ouvertement gay, ou encore de Caroline Mécary, avocate ayant obtenu plusieurs jurisprudences en faveur des droits des homosexuels et à qui l’édile a remis l’ordre national du Mérite quelques mois plus tôt.

Le Marais asséché

Conseillée sur ce sujet par le fidèle Jean-Luc Romero-Michel, militant historique de la cause et élu dans le 12e arrondissement, Anne Hidalgo affirme alors vouloir un Paris sans sida. “Nous allons, car nous le pouvons, en finir avec la transmission du VIH à Paris dans les quinze ans qui viennent”, déclare-t-elle en 2016, date à partir de laquelle elle va consacrer, chaque année, 1,7 million d’euros de subventions aux associations de lutte contre le virus. En 2020, deux mois après avoir été réélue haut la main, Anne Hidalgo reprend son flambeau rainbow et fait voter le doublement du budget alloué à 25 associations LGBTQI+, qui passe alors de 204.000 euros à quelque 382.650 euros par an. Puis, toujours sous l’impulsion de Jean-Luc Romero-Michel, qui a témoigné dans un livre de la mort tragique de son mari lors d’une soirée chemsex, l’exécutif parisien annonce un “plan d’information et de réduction des risques” lié à l’usage des drogues de synthèse.

“On ne pourra jamais la critiquer ouvertement, car on sait ce qu’on perd, mais on ne sait jamais ce qu’on gagne.”

Mais, à l’aube de sa campagne présidentielle, Anne Hidalgo ne semble pas soulever l’optimisme des associations concernées, même si les critiques se logent souvent entre les lignes. “Sur la maire de Paris, il y aurait beaucoup à dire...” commence ainsi le président d’une association membre de l’Inter-LGBT, avant de s’arrêter et de demander à garder l’anonymat. “On ne pourra jamais la critiquer ouvertement, car on sait ce qu’on perd, mais on ne sait jamais ce qu’on gagne”, confie-t-il, prudent. Il semble en effet que, au fil de ses deux mandats, la lune de miel entre Hidalgo et les personnes LGBTQI+ se soit effilochée. “Le Marais n’a pas vocation à se transformer en galerie commerciale à ciel ouvert”, déclarait-elle ainsi à TÊTU au printemps 2020. Pourtant, il suffit de lever les yeux des passages piétons colorés pour s’apercevoir que les boutiques de luxe ont envahi l’espace, Dr. Martens remplaçant désormais l’iconique librairie Les Mots à la bouche, chassée par la hausse des loyers. Dans l’une des rues principales, celle des Archives, la gangrène du luxe, encore plus visible, signe d’ailleurs l’échec de la politique municipale.

Opposition militante à Anne Hidalgo

Pendant ce temps, l’un des autres gros dossiers, celui de la création d’un centre d’archives LGBTQI+, n’a toujours pas abouti. L’idée, vieille de vingt ans, avait sacrément repris du poil de la bête après la sortie, en 2017, de 120 Battements par minute. À l’époque, et dans la foulée du film, les militants interpellent la mairie, rappelant avec véhémence qu’à Berlin, Amsterdam, San Francisco, de tels centres existent depuis longtemps et bénéficient de budgets à six chiffres. Pour que Paris rattrape son retard, une pétition est alors lancée par Didier Lestrade, cofondateur d’Act Up-Paris et de TÊTU. La droite, elle, appuie là où ça fait mal, et le porte-parole de Rachida Dati, qui soutient le projet, fait adopter un vœu au conseil municipal afin de faire pression sur Anne Hidalgo. Las, après quatre ans d’atermoiements, ce n’est qu’en février 2021 que l’exécutif s’engage à trouver un lieu adapté, et ce avant la fin de l’année. Pourtant, selon Sam Bourcier, sociologue et membre du Collectif archives LGBTQI+ : “Depuis le vote, nous n’avons eu aucune réunion de travail sur la préfiguration du lieu, laquelle doit se faire en amont, bien avant l’ouverture.” Pointant les divisions entre les mi- litants, Jean-Luc Romero-Michel botte en touche : “Le collectif est très remuant mais ne représente pas toutes les associations impliquées dans le projet.”

Aussi la maire de Paris a-t-elle rapidement découvert, après sa réélection, qu’elle n’était déjà plus si consensuelle dans les milieux militants LGBTQI+. La première flèche est d’ailleurs décochée trois semaines à peine après sa victoire, quand Alice Coffin, l’autrice du Génie lesbien, qui vient d’être élue parmi ses allié·es écologistes, manifeste avec sa collègue Raphaëlle Rémy-Leleu devant l’Hôtel de ville contre un compagnon de route historique d’Anne Hidalgo, son adjoint à la culture, Christophe Girard, accusé de proximité avec l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff. “Bienvenue à pédoland”, crie-t-on sous les fenêtres de son bureau. Anne Hidalgo tente malgré tout de soutenir son adjoint, mais doit finalement se résoudre à accepter sa démission. Et le décalage continue de se creuser. Quand la mairie décide d’inaugurer une plaque en l’honneur et à la mémoire de Guy Hocquenghem, militant du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), des militantes y jettent du faux sang. Cet hommage était “une erreur commise par inculture, décrypte le sociologue Frédéric Martel, auteur d’une histoire du mouvement LGBTQI+ en France, Le Rose et le noir. Tous ceux qui ont un peu de culture historique savent que Guy Hocquenghem a défendu la pédophilie. La municipalité aurait pu choisir de commémorer le Fhar sans personnaliser le mouvement sur lui.”

Peu de temps après, une nouvelle polémique survient du côté de la mairie du conservateur 16e arrondissement, laquelle entreprend de donner à une place le nom de Claude Goasguen, élu historique de la droite parisienne, disparu en 2020. Problème : il fut un détracteur du pacs, puis un farouche opposant au mariage pour tous et, pire, refusait toutes les formes de reconnaissance des couples de même sexe quand la communauté devait faire face aux pires années de l’épidémie de VIH. Anne Hidalgo soutient, puis vote le projet. Alice Coffin reprend alors son mégaphone au conseil de Paris de mars 2021 et s’insurge : “Cette place enverrait le message que, ceux qui, de leur vivant, ont tant méprisé les vies de certaines et certains d’entre nous auront toute la place de les toiser jusque dans leur mort, et pour l’éternité, parisienne du moins. Ce serait clairement situer le conseil de Paris du côté de ceux qui trouvent que les trans, les lesbiennes, les gays et les musulmans, les pauvres, les femmes sont quantité négligeable.”

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Bilan et programme socialiste

En à peine une année, Anne Hidalgo se sera ainsi vue régulièrement cornérisée, voire ringardisée par la jeune génération politique LGBTQI+. Sans parler de sa majorité, accusée d’user des mêmes méthodes que la droite. Ainsi, en décembre 2020, quand l’ancien président d’Act Up Marc-Antoine Bartoli doit se rendre au tribunal où Valérie Pécresse le poursuit pour diffamation, après qu’il l’a qualifiée sur des affiches de “délinquante”, le militant fait également l’objet d’une autre plainte... déposée par l’adjointe communiste à l’égalité femmes-hommes à la mairie de Paris, Hélène Bidard. En effet, le lendemain de la mort de Jessyca Sarmiento, travailleuse du sexe assassinée au bois de Boulogne en février 2020, le militant avait reproché à l’élue de soutenir la loi de pénalisation des clients de la prostitution, l’accusant de “marcher sur les cadavres des TDS” (travailleur·euses du sexe). “Dans la lignée des méthodes historiques d’Act Up, j’ai voulu mettre ces élues parisiennes face à leurs responsabilités. Que des élues de gauche portent plainte contre Act Up, c’est du jamais vu !” s’emporte-t-il. Si la candidate à la présidence a elle-même évolué sur la question du travail du sexe, elle s’est toutefois bien gardée de définir une ligne au sein de sa majorité municipale, et une réunion à ce sujet a d’ail- leurs été annulée. Soupesant chacun de ses mots, Giovana Rincon, directrice d’Acceptess-T, association de lutte pour les droits des personnes transgenres, avance que la maire “a compris qu’il y a plusieurs formes de travail du sexe et qu’il faut articuler différentes réponses”. “Anne Hidalgo, ajoute-t-elle, nous a soutenu·es dans des projets d’accès aux soins.”

“Il n’y a pas une grande mesure qui mobilise la communauté LGBTQI+”

Alors la maire de Paris pourra-t-elle renouer, d’ici à l’élection présidentielle en avril 2022, avec la communauté LGBTQI+ ? Encore faudrait-il qu’elle en ait envie. Récemment, elle a tout de même envoyé un signal positif en réussissant à faire aboutir le sauvetage du Tango, lieu incontournable des nuits gays, menacé par la crise liée au Covid-19. Selon nos informations, la mairie aurait déboursé quelque 6,5 millions d’euros pour racheter l’immeuble de “la boîte à frissons”. Mais si le symbole est, certes, bienvenu, le dossier reste très parisien. Or, dans le programme à venir d’Anne Hidalgo, “il n’y a pas une grande mesure qui mobilise la communauté LGBTQI+”, avance l’un de ses proches. Les droits des personnes trans ? “Ça ne mobilise pas assez de gens.” La GPA ? “Trop diviseur auprès des féministes”, avance- t-il. La candidate pâtit également du bilan de la dernière présidence socialiste, dont l’incapacité à protéger la communauté d’un long et nauséabond débat sur le mariage pour tous, puis l’abandon en rase campagne de la PMA ont sacrément érodé la confiance envers la gauche “de gouvernement”. Le compromis est quelque peu passé de mode, et pas sûr qu’en 2022 le soutien des militants LGBTQI+ à la candidature socialiste soit aussi évident à obtenir qu’il l’a été depuis vingt ans.

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