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élection présidentiellePhilippe Poutou : "Macron a permis une montée des discours réactionnaires"

Par Olga Volfson le 21/03/2022
Philippe Poutou, candidat à l'élection présidentielle 2022

Candidat en 2022 pour la troisième fois à l'élection présidentielle, Philippe Poutou assume de ne pas viser la victoire mais la visibilité de ses sujets sur la scène politique. Comment son parti, le NPA, se place-t-il sur les dossiers LGBTQI+ ? Nous l'avons rencontré.

Propos recueillis par Olga Volfson et Nicolas Scheffer

"Julien, tu sais où sont rangés les filtres à café ?", lance le candidat à son chargé de presse, du haut d'un escalier qui mène aux bureaux du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), au troisième étage d'une imprimerie, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Troisième fois candidat cette année à l'élection présidentielle, Philippe Poutou ne ressemble à aucun autre. Non seulement, alors que les nuits sont courtes pendant la campagne, l'ancien ouvrier de chez Ford boit du jus de chaussette plutôt que du café en dosettes, mais contrairement aux autres prétendants à l'Élysée, il sait bien qu'1,5% d'intentions de vote ne le mèneront pas au second tour. Comme Nathalie Arthaud, de Lutte ouvrière, il assume que sa candidature vise principalement à ce que la voix des travailleurs et travailleuses soit entendue.

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Mais le programme de Philippe Poutou peut-il faire avancer les sujets LGBTQI+ ? Oui, assure-t-il, contrairement à Nathalie Arthaud qui a décliné la demande d'interview de têtu·. D'ailleurs, le candidat dit s'inscrire dans les pas d'Alain Krivine, figure de la gauche radicale disparue le 12 mars, dont il nous fait visiter le bureau voisin du sien. Le leader de la Ligue communiste révolutionnaire d'alors foulait les pavés de Paris à la Gay Pride dans les années 1980. À cette époque le jeune Philippe Poutou, adolescent, écoutait Jimmy Somerville et découvrait sur son vinyle The Age of Consent la signification du triangle rose. Rencontre.

Au sein de la gauche anticapitaliste, toustes les candidat·es ne se saisissent pas des enjeux LGBTQI+ dans cette présidentielle. Qu'est-ce qui explique que le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) le fasse ?

Philippe Poutou : Lorsqu'on est syndicaliste, on est souvent pris par la lutte des travailleurs mais au NPA, on voulait sortir de l'organisation purement trotskiste et incorporer à nos revendications les luttes contre toutes les discriminations. On a la prétention d'être utiles aux autres et de donner de la visibilité à ces sujets dans cette présidentielle. Pendant les meetings, les gens me posent systématiquement la question de nos positions sur les luttes LGBTI. Je suis touché par ces jeunes qui me parlent de leurs parcours de transition, alors qu'en tant que vieux, cis, hétérosexuel et blanc, je n'ai pas l'image de celui à qui on peut en parler, donc ça me touche que ce soit le cas ! Il y a une continuité politique : Alain Krivine, disparu il y a quelques jours, a été l'un des premiers personnages politiques français à participer à une Pride, à dénoncer les violences contre les gays et à vouloir la dépénalisation de l'homosexualité au début des années 1980.

Nathalie Arthaud, de Lutte ouvrière (LO), n'a pas voulu répondre aux questions de têtu·, arguant que son message, c'est juste la lutte des classes… Vous vous êtes posé la même question avant notre interview ?

C'est sa manière de faire, de penser que dès qu'on est dans une lutte spécifique, on s'éloigne de la lutte révolutionnaire fondamentale. Mais nous, nous pensons que les oppressions patriarcales, racistes, LGBTIphobes existent avant le capitalisme et qu'il faut s'impliquer pour les combattre, même si elles s'articulent avec l'anticapitalisme. Mais ce n'est pas parce qu'on a une approche intersectionnelle que l'on ne voit pas les spécificités liées à ces luttes. Par exemple, en tant qu'anticapitalistes, c'est logique d'être antifascistes, mais l'antifascisme reste un combat en soit.

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J'ai découvert la journée du souvenir trans grâce aux camarades du NPA LGBTI, et c'est ainsi que j'ai pu rencontrer Giovanna Rincon, d'Acceptess-T, et me rendre compte de la violence transphobe. Notre petit parti est vu comme faible au niveau du rapport de force, mais on arrive à faire des choses incroyables en interne, où plein de camarades sont sensibilisé·e·s à ces combats.

"Jimmy Sommerville m'a ouvert les yeux sur l'homophobie."

Comment avez-vous été personnellement sensibilisé aux sujets LGBTQI+ ?

Au début des années 1980, quand j'étais ado, je traînais avec des potes anarchistes, sans trop de conscience politique. On était contre Pinochet, contre l'apartheid, le racisme, le nucléaire, en soutien aux révoltes Kanaks... J'adorais Bronski Beat et j'ai acheté le vinyle The Age of Consent. Je me souviendrai toujours du moment où je l'ai ouvert, à un arrêt de bus, et qu'à côté du triangle rose sur la pochette, en plus des paroles, il y avait un texte politique qui racontait dans quels pays les relations homosexuelles sont pénalisées.

D'ailleurs, Jimmy Somerville a fait partie de ceux qui, pendant l'époque Thatcher, a pris des amendes. Il a fait partie de ce qu'on appelait le red coin, en lutte contre Thatcher pour le droit des homos et en solidarité avec la lutte des mineurs, c'est l'histoire montrée dans le film Pride. Quand j'avais 17 ans, on ne discutait pas de sexualité, encore moins de genre comme on le fait aujourd'hui. Jimmy Somerville m'a ouvert les yeux sur l'homophobie, ce qui n'allait pas arriver chez Lutte ouvrière, qui voyait encore à l'époque l'homosexualité comme une maladie. Je me rappellerai toujours de cette pochette...

Quel bilan faites-vous du quinquennat d'Emmanuel Macron sur les droits LGBTQI+ ?

Il y a du progrès, mais toujours à l'arrachée, grâce à la mobilisation des concerné·es et non grâce aux politiques. On le voit notamment pour l'ouverture de la PMA qui exclut encore les personnes trans. Même si c'est une marche franchie qui permet d'en gravir d'autres, la politique d'Emmanuel Macron a permis une montée des discours réactionnaires en parallèle de ces avancées. Ce n'est pas simplement Zemmour qui parle à la télé : quelque chose s'installe vraiment dans la société !

"Le droit à l'avortement et à un parcours de transition libre et gratuit, c'est le même raisonnement, à savoir la liberté de disposer de son corps."

En 1982, Robert Badinter obtenait la dépénalisation de l'homosexualité. En 2021, on a obtenu l'interdiction des "thérapies de conversion", la PMA pour les couples de lesbiennes et les femmes seules... Quels sont à vos yeux les chantiers pour les prochaines années ?

Il faut obtenir l'égalité des droits pour toutes et tous. D'abord, il faut étendre la PMA aux personnes trans. À l'école comme chez les adultes, il y a beaucoup d'éducation à faire sur les thématiques LGBTQI+. Enfin, nous devons faire en sorte que les parcours de transition soient de simple formalités administratives. Il faut interdire les mutilations des personnes intersexes. Le droit à l'avortement et à un parcours de transition libre et gratuit, c'est le même raisonnement, à savoir la liberté de disposer de son corps. Là-dessus, il reste bien des combats à mener au sein même du milieu médical.

À propos de corps et de choix, quelle est votre position sur la GPA ?

C'est un sujet de débat en interne. Sur le principe, on est contre car dans une société capitaliste, tout se marchandise. Il peut tout de même y avoir des situations où la GPA se défend. Nos positions ne sont pas figées, elles changent car on est à l'écoute des débats de société, des associations qui sont beaucoup plus avancées que nous sur la réflexion. La plupart des mesures de notre programme, ce n'est pas nous qui les inventons, on écoute les propositions militantes et on se laisse la possibilité d'évoluer.

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C’est aussi bientôt le sixième anniversaire de la loi de pénalisation des clients, dite loi Prostitution, dont les travailleuses·eurs du sexe (TDS) réclament l’abrogation. Quelle est votre position ?

Nous sommes contre la pénalisation des clients de la prostitution. Nous savons que ça complique la vie des TDS, qu'au lieu de les protéger la loi les met en danger. On doit discuter avec le STRASS (le syndicat du travail du sexe, ndlr). À côté de ça, je suis plutôt abolitionniste, de base, car le travail du sexe est lié à des questions de misère et de souffrance, donc le projet à long terme est surtout de créer des conditions sociales pour que la prostitution ne soit plus nécessaire. Mais la vraie urgence, c’est la précarité et l’isolement des travailleuses·eurs du sexe, donc le premier réflexe est de les protéger, car ces lois les mettent en danger.

Quid de la reconnaissance des personnes condamnées pour homosexualité, avant la dépénalisation ?

Bien sûr que je suis pour ! C’est une histoire de justice et elle doit être rendue.

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Et en matière de santé sexuelle, notamment de prévention VIH qui a été reléguée au second plan avec la crise sanitaire du Covid-19, qu’avez-vous de prévu ?

On est pour une véritable sécurité sociale généralisée pour tous·tes, une accessibilité des soins à 100%, aussi bien pour les parcours de transition que tous les autres enjeux de santé, y compris la santé sexuelle. Après, je ne me rends pas compte avec exactitude des problématiques en cours sur le VIH. Quelles sont les revendications des assos ?

Elles dénoncent un manque de volonté politique pour créer des campagnes nationales de prévention alors qu’il y a encore plus de 6.000 contaminations par an en France, et 25.000 personnes qui ne savent pas encore qu’elles vivent avec le virus, de personnes séropositives qui subissent des refus de soins…

Le milieu médical, par définition, n’est pas exempt de préjugés sociaux... Mais c’est une prise de conscience d’entendre parler de ces discriminations.

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Crédit photo : Martin Noda