Malgré un discours ouvertement anti-LGBT, Éric Zemmour séduit une poignée d'électeurs concernés. Mais pourquoi ?
“Je ne comprends même pas que ça puisse être une question.” Quand on lui demande si on peut être gay et soutenir Éric Zemmour, Miguel écarquille les yeux. “Je ne vote pas avec mon entrejambe, et je ne suis pas communautariste”, balaie ce Parisien de 37 ans qui a voté pour Nicolas Sarkozy, François Fillon et Marine Le Pen aux précédentes élections présidentielles. Sur les réseaux sociaux, il distille désormais sa détestation de la maire de Paris, Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste. D’ailleurs, insiste ce fils de Portugais, “je suis Français avant d’être homo”. Un leitmotiv récurrent chez les sympathisants gays du candidat d’extrême droite.
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Si l’opposition aux droits des personnes LGBTQI+ est une constante du polémiste, lequel tient aussi régulièrement des propos LGBTphobes, il n’est pas besoin de chercher bien longtemps pour trouver dans la communauté des électeurs d’Éric Zemmour. Le mariage pour tous ? “Pourquoi ne pas également demander le mariage entre un père et sa fille ?” ironisait-il en 2012. L’homoparentalité ? “On détruit ce qu’il y a de plus fondamental chez l’être humain”, dénonçait-il en 2019. Les interventions contre les LGBTphobies dans les collèges et les lycées ? “Les militants LGBT n’ont rien à faire à l’école”, répète-t-il aujourd’hui à l’envi dès qu’on lui parle d’école.
D'autres priorités
C’est pourtant en entendant sur CNews de semblables attaques, mais contre l’immigration cette fois, que Nicolas dit s’être “réveillé”. Malgré les charges à répétition de Zemmour contre “l’idéologie LGBT”, le voilà désormais convaincu. “La priorité absolue, c’est d’arrêter les délinquants, et c’est lui qui nous protégera des agressions homophobes, pas Emmanuel Macron ou Valérie Pécresse”, assène le célibataire stéphanois de 28 ans. Et peu lui importe qu’en Vendée ou en Corse des faits de violence démontrent le contraire, le jeune homme est catégorique : “Ce sont les immigrés qui foutent le bordel.” Un avis partagé par Miguel, qui assume totalement l’islamophobie de son propos : “Ce ne sont pas les soutiens de Zemmour qui nous emmerdent. L’homophobie violente, elle vient de musulmans. Avec Zemmour, on cessera enfin d’avoir honte de voter pour quelqu’un de droite.”
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Lorsqu’il était âgé de 14 ans, Patrick, qui en a aujourd’hui 40 et vit en couple libre, criait déjà “Chirac président”. Seulement depuis qu’il considère qu’il y a un “choc des civilisations”, le quadra a remisé le gaullisme social au placard. S’il adhère aux idées de Marine Le Pen, il la trouve trop mauvaise candidate depuis son échec de 2017. Tous ont voté à droite ou à l’extrême droite aux dernières élections. Didier, 56 ans, regrette d’ailleurs certaines promesses non tenues : “Sarkozy avait dit qu’il sortirait le Kärcher mais ne s’en n’est jamais servi. Maintenant, les problèmes se sont aggravés”, jure-t-il.
Second coming out
Il y a quelque chose de l’ordre d’un second coming out dans la rhétorique des soutiens gays de Zemmour que nous avons interrogés. Quand Didier en a parlé avec ses amis, “certains se sont éloignés, souffle cet ouvrier intérimaire. De toute façon, ces personnes-là, ça ne sert à rien de les garder près de soi.” Patrick, commercial dans l’est de la France, demande même à conserver l’anonymat, craignant que ses idées politiques ne lui causent du tort sur le plan professionnel. Mais lui aussi a entendu une rhétorique de résistance digne des émeutes de Stonewall quand Éric Zemmour a déclaré, dans son annonce de candidature : “Longtemps, vous avez eu peur de le dire, vous avez eu honte de vos impressions. Longtemps, vous n’avez pas osé dire ce que vous voyiez et, surtout, vous n’avez pas osé voir ce que vous voyiez. Et puis, vous l’avez dit à votre femme, à vos enfants, à votre mari, à votre père…”
Depuis qu’il a fait son premier coming out sur son lieu de travail, Didier semble avoir besoin de retrouver cette fierté. “Dans cette usine, avec mes collègues musulmans, on prenait souvent nos pauses clopes ensemble. Après avoir dit publiquement que j’étais avec un homme, ils m’ont totalement ignoré. C’était comme si je n’existais plus. Quand j’arrivais, ils partaient”, se souvient-il, mettant le rejet dont il a été victime sur le compte de la religion. Dans l’usine où il travaille aujourd’hui, seuls deux collègues proches savent qu’il est homo.
"Je suis prêt à me sacrifier pour la France"
Chez les électeurs de Zemmour, Didier a trouvé un ersatz de communauté. “Au moins, ils ne m’emmerdent pas. Avec eux, chacun vit sa vie comme il l’entend”, soutient-il. Sur les réseaux sociaux, Twitter en tête, on observe d’ailleurs une forme de solidarité entre “patriotes”, qui ravit Miguel : “Il y a un enthousiasme à nous soutenir, à nous retweeter quand on est attaqués.”
Comme la plupart des personnes interrogées, Nicolas est bien conscient que l’élection de Zemmour signerait l’arrivée au pouvoir des thèses de La Manif pour tous. Le candidat ne s’en cache pas, et vante même le bilan du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán – lequel a fait voter l’interdiction de toute représentation de l’homosexualité auprès des mineurs –, dont il a salué la lutte contre “la propagande totalitaire menée par le lobby LGBT”. “Évidemment, ça m’ennuie, concède Didier. Mais ce n’est pas dans notre pays. De toute manière, en France, Zemmour ne pourrait pas faire ça ; il y a beaucoup plus de résistance.” Mais tous n’en sont pas si sûrs. “Peut-être qu’en votant pour lui ce sera plus difficile de tenir la main de son copain dans la rue”, reconnaît Nicolas, électeur déçu de Marine Le Pen. S’il se dit prêt à retourner dans la rue pour défendre le mariage pour tous, il y a, selon lui, une question de priorité : “Je suis prêt à me sacrifier pour la France. On est en train de vivre un mouvement démographique qui peut nous faire changer de civilisation. C’est plus fort que mes droits en tant qu’homo.”
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Crédit illustration : Cécile Alvarez pour têtu·