[Article et dossier spécial à retrouver dans le magazine têtu· en kiosques ou sur abonnement] Pour notre dossier spécial élection présidentielle, l'Ifop a sondé les intentions de vote de la communauté. D'où il ressort que la montée de l'extrême droite n'épargne pas l'électorat LGBT, dispersé en 2022, malgré les positions répétées de Marine Le Pen et Éric Zemmour contre les droits LGBTQI+. Leur victoire inquièterait néanmoins une nette majorité…
La France se lancera-t-elle à son tour sur la pente de l’homophobie d’État ? Le danger que représente l’élection présidentielle de 2022 n’a pas échappé à l’électorat LGBTQI+, qui se montre conscient, dans un sondage réalisé par l’Ifop* pour têtu·, du risque que la montée de l’extrême droite représente pour nos libertés.
Éric Zemmour, Marine Le Pen : l'inquiétude
En effet, sept personnes LGBTQI+ sur dix (72%) se disent “inquiètes” pour leurs droits en cas d’élection d’Éric Zemmour, dont 54% “très inquiètes”. Marine Le Pen arrive juste derrière, six personnes sur dix (59%) se déclarant “inquiètes” pour les droits des personnes LGBTQI+ en cas d’arrivée au pouvoir de la candidate du Rassemblement national (RN). “Ces résultats montrent que les personnes LGBTQI+ perçoivent l’enjeu de cette élection concernant leurs droits”, analyse François Kraus, directeur du pôle politique à l’Ifop.
Le classement des enjeux déterminants du vote pour la présidentielle confirme une moindre influence chez les personnes LGBT des sujets prioritaires de l’extrême droite par rapport à la population générale : la lutte contre le terrorisme (61% contre 74%), contre la délinquance (60% contre 74%) ou contre l’immigration clandestine (49% contre 65%). À l’inverse, l’électorat se montre plus sensible que la moyenne à la lutte contre le dérèglement climatique (58% contre 50%) et, bien sûr, à la lutte contre les LGBTphobies (53% contre 36 %).
Électorat LGBT dispersé
Est-ce à dire que gays, bi, lesbiennes et trans forment un peuple de gauche ? Pas si vite. Depuis la dépénalisation, en 1982, de l’homosexualité, impulsée par la majorité socialiste autour de François Mitterrand, les questions LGBTQI+ restent, de facto, principalement portées par la gauche. Pourtant, si François Hollande était le candidat le plus plébiscité par l’électorat LGBTQI+ lors de l’élection présidentielle de 2012, le paysage politique a changé : le clivage “gauche-droite” n’est plus aussi clair qu’il a pu l’être. C’est l’autre enseignement principal de ce sondage, résumé par François Kraus : “Il n’y a pas de combat structurant, mais un risque de démobilisation.”
À quelques semaines de la présidentielle de 2022, l’électorat LGBTQI+ apparaît ainsi plus éclaté que jamais. Si cette photographie n’a évidemment pas vocation à prédire les votes, elle montre un état des rapports de force. Ainsi, la gauche reste en tête avec 33% des intentions de vote, contre 24,5% dans la population générale. Au centre, ils sont un peu moins nombreux (22%) que le reste des Français (25%) à penser soutenir Emmanuel Macron (LREM) au premier tour.
Écart gays/lesbiennes
Malgré le risque identifié, les intentions de vote cumulées pour Marine Le Pen et Éric Zemmour s’établissent à 28%, quelques points en dessous de la population générale (32,5%). Des scores qui restent élevés, et ce malgré l’opposition constante des deux candidats d’extrême droite aux droits LGBTQI+ – contre le mariage, la PMA pour toutes, la facilitation des parcours de transition, etc. – ou leur sympathie affichée pour la politique LGBTphobe du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán. Enfin, si la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, qui s’était opposée au mariage pour tous mais s’est montrée favorable à l’ouverture de la PMA, recueille le même niveau d’opinions favorables au sein des votants LGBTQI+ que dans la population générale (15%), une différence genrée se fait jour quant à l’inquiétude qu’elle suscite chez 31% des lesbiennes, contre 50% des gays.
Cet écart entre femmes et hommes se creuse également lorsqu’il s’agit de la droite nationaliste. Ainsi, 12% des hommes gays et bi se disent prêts à voter Zemmour, quand seulement 3% des lesbiennes et des femmes bi l’envisagent. “Éric Zemmour est perçu comme misogyne, et la défense des droits des femmes concerne 72% des électrices lesbiennes”, analyse le statisticien. En revanche, cet électorat féminin ne se détourne pas de Marine Le Pen, qui reçoit 21% des intentions de vote chez les lesbiennes, contre 16% chez les gays. Cet écart genré se retrouve aussi sur le plan des préoccupations. En effet, les lesbiennes sont une sur deux à considérer la lutte contre les discriminations déterminante dans leur vote, contre un gay sur trois. Huit lesbiennes sur dix considèrent que la lutte contre les LGBTphobies est importante, contre six gays sur dix. À l’inverse, les électeurs gays sont 56% à considérer qu’il faut lutter contre les replis communautaristes et identitaires, et les lesbiennes 28%.
Mélenchon en tête du bloc de gauche
Cette année, “il n’y a pas de proposition forte des candidats pour les personnes LGBTQI+, ce qui explique en partie la dispersion du vote”, reprend François Kraus. Avec 7% d’opinions favorables et jusqu’à 15% chez les femmes bi, l’égérie du mariage pour tous, Christiane Taubira, bénéficiait avant son retrait de la course chez les électeur·rices LGBTQI+ d’une fidélité nettement supérieure à celle dont elle jouissait dans la population générale (2,5%). Même effet pour Anne Hidalgo, la candidate du Parti socialiste étant également mieux positionnée au sein de l’électorat LGBQI+ (4%) que dans la population générale (2%). Une personne LGBTQI+ sur dix voterait pour le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, soit autant que dans la population générale (10,5%). Sa proposition d’inscrire la liberté de genre et le droit à l’IVG dans la Constitution semble avoir fait mouche, puisqu’il est particulièrement plébiscité chez les lesbiennes (21%). Des données éclairantes mais non prédictives : c’est dans l’isoloir, et seulement là, que tout se joue !
*Enquête réalisée par un questionnaire autoadministré en ligne, du 1er au 18 février 2022, sur un échantillon représentatif de 1 002 personnes LGBT, selon la méthode des quotas. Les effectifs concernant les personnes trans sont trop faibles pour établir une image représentative de leur vote. Résultats détaillés à retrouver sur le site de l'Ifop.
Photo : Christopher Barraja
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