élection présidentielleDéconjugalisation de l'Allocation adulte handicapé (AAH) : Macron retourne sa veste

Par Thomas Vampouille le 15/04/2022
Emmanuel Macron était sur franceinfo ce 15 avril 2022

À moins de dix jours du second tour de l'élection présidentielle 2022, Emmanuel Macron a annoncé sur franceinfo qu'il comptait "bouger" sur la déconjugalisation de l'Allocation adulte handicapé (AAH). Une revendication de longue date des associations concernées, portée en vain par l'opposition durant tout son quinquennat et dont une élue de la majorité disait encore à têtu·, la veille de cette annonce, qu'elle n'aurait pas lieu.

"Choisissez l'amour". Interviewé ce vendredi 15 avril dans la matinale de franceinfo, notamment par trois Françaises invitée sur le plateau, le président candidat à sa réélection s'est vu poser cette question par une jeune femme en situation de handicap qui projette d'épouser bientôt son compagnon, et se trouve donc placée face à un dilemme bien identifié depuis longtemps par les associations concernées : "Demain si je l'épouse, concrètement, je vais devoir faire une croix sur mon allocation adulte handicapée de 900 euros, dont évidemment j'ai besoin : que me conseillez-vous, est-ce que j'écoute mon coeur et je me marie (…) et je deviens dépendante financièrement, ou est-ce que je conserve ma dignité de femme et mon indépendance ?".

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Réponse d'Emmanuel Macron, donc, le choix du coeur, qu'il appuie par cette annonce : "On doit bouger sur ce point, ça crée une situation aberrante pour les personnes en situation de handicap, donc on va le bouger". "Ah, ce n'est pas dans votre programme aujourd'hui, déconjugaliser l'AAH, ça vous l'ajoutez ?", relève le journaliste. Ne souhaitant "pas rentrer dans la technique", le candidat précise qu'il y a "plusieurs réponses, soit faire ça [déconjugaliser l'AAH, ndlr], soit avoir un revenu qui n'est pas conditionné". Quoi qu'il en soit, il confirme vouloir corriger cette situation afin "qu'il n'y ait pas ce couperet aujourd'hui qui est absurde, parce qu'il y a plein de personnes en situation de handicap qui l'ont".

La déconjugalisation de l'AAH refusée 4 fois par la macronie

La situation est en effet tellement absurde qu'elle a été soulevée depuis plusieurs années par les associations, qui poussent pour que cette AAH ne soit plus indexée sur les revenus du couple mais bien uniquement sur ceux de la personne en situation de handicap. Deux pétitions pour changer les choses ont notamment recueilli plus de 100.000 signatures sur le site de l'Assemblée nationale ("Désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l'Allocation aux Adultes Handicapés") et 30.000 sur celui du Sénat ("Pour la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé et l’adoption du projet de loi n°3970"), permettant une proposition de loi portée par l’aile gauche du Parlement qui avait été adoptée par les deux chambres avant de revenir à l’Assemblée nationale. C'est là qu'en juin dernier, elle a été rejetée… par la macronie. Le cabinet de Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, argue alors que la conjugalisation de l'AAH est logique puisque "le couple se doit solidarité". Et d'ajouter carrément : "On ne se marie pas pour l’argent".  

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Ce refus de la macronie de déconjugaliser l'AAH sera répété en octobre dernier, quand un nouveau texte le proposant arrive à l'Assemblée à la faveur d’une niche parlementaire des Républicains. Toute l'opposition soutient alors la déconjugalisation mais se heurte au même refus. Sophie Cluzel fait alors valoir que "comme tout minimum social de droit commun (…), l’AAH est fondée sur la solidarité nationale, plus spécifiquement sur la solidarité entre époux rappelée par le code civil". Selon elle, modifier cet état de choses serait une "impasse" en raison des "effets de bord automatiques qu’elle aurait sur les autres minima sociaux". Même refus le 2 décembre 2021, à une proposition de loi cette fois communiste. En tout depuis l'élection d'Emmanuel Macron, la majorité LREM à l'Assemblée aura donc rejeté l'indivualisation de l'AAH pas moins de quatre fois (une première discussion avait eu lieu en février 2020).

"Déconjugaliser l'AAH est une magnifique mesure parfaitement libérale"

Durant cette campagne pour la présidentielle, têtu· a relancé pas plus tard que ce jeudi 14 avril une élue de la majorité sur ce sujet qui, au-delà des personnes LGBTQI+ en situation de handicap, concerne aussi des personnes vivant avec le VIH, notamment celles l’ayant contracté avant l’arrivée des trithérapies ou celles et ceux qui n’ont pas eu accès à un traitement pendant de longues années. Après avoir fait remarquer qu'après 20 ans au pouvoir, la gauche "n'a jamais trouvé utile d'y toucher", la réponse était à nouveau limpide, niet, avec toujours le même argument : "L'AAH est une aide sociale, et comme toutes les allocations dans notre pays est conjugalisée. La déconjugaliser est une magnifique mesure parfaitement libérale et viendrait en contradiction avec 40 ans de pratique des allocations sociales dans notre pays". Peut-être l'argument libéral a-t-il finalement convaincu Emmanuel Macron, dont la promesse à neuf jours du second tour de l'élection présidentielle –  dont il reste à préciser les modalités, puisque le président candidat ne s'engage pas sur une déconjugalisation en tant que telle – est donc bel et bien un sacré retournement de position.

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Crédit photo : capture d'écran franceinfo