Qualifié au second tour de l'élection présidentielle 2022 pour un nouveau match face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron va devoir jouer la carte progressiste. Sauf que sur le traitement des questions LGBTQI+ à l'école, sa position exprimée dans une interview pour Brut résonne fortement avec celle… de l'extrême droite. Il serait bon de clarifier la différence avant le vote du second tour, le 24 avril…
"Êtes-vous favorable à l'idée que les questions d'orientation sexuelle et d'identité de genre soient traitées au sein de l'école de la République et, si oui, à quel âge ?" La question posée par un internaute à Emmanuel Macron sur Brut le vendredi 8 avril, lors de la dernière interview du président-candidat avant le premier tour de l'élection présidentielle, est importante à plus d'un titre. Sur le fond, d'abord, car le mal-être des jeunes LGBTQI+, particulièrement confrontés au harcèlement scolaire, fait encore des ravages dans notre jeunesse comme l'a encore montré le suicide à l'automne dernier de la jeune Dinah, 14 ans, après deux ans de harcèlement lesbophobe.
Au plan politique, la question est également cruciale car ce sujet est devenu le cheval de bataille des conservateurs homophobes de tout poil à travers le monde : de la Russie de Vladimir Poutine à la Hongrie de Viktor Orban en passant par les conservateurs trumpiens aux États-Unis, tous prétendent "protéger les mineurs" des questions LGBTQI+ en interdisant notamment d'aborder les questions d'orientation sexuelle et d'identité de genre à l'école (voir par exemple la loi "Don't Say Gay" en Floride) ; en France, Marine Le Pen et Éric Zemmour relaient cette rhétorique face à un prétendu "lobby LGBT" (c'est l'objet de la couverture de notre magazine actuellement en kiosques : "Le vrai lobby"). Il était donc important de connaître la position d'Emmanuel Macron, à qui nous n'avons pas pu poser la question car il avait annulé, pour cause de guerre en Ukraine, son interview prévue avec têtu· le 25 février. Or, sa réponse donnée sur Brut (l'interview complète se trouve sur YouTube) est à la fois étonnante et décevante…
Macron entretient l'amalgame LGBT/sexe
"Je ne suis pas favorable à ce que ce soit traité à l'école primaire, je pense que c'est beaucoup trop tôt", assène d'emblée le président, accompagnant sa réponse d'un geste tranchant de la main. Et d'ajouter : "Je suis sceptique sur le collège, mais ma position n'est pas arrêtée…" "Ce n'est pas très très loin de la ligne d'Éric Zemmour", lui fait remarquer Thomas Snégaroff, à juste titre puisque le candidat de l'extrême droite proposait à l'envi d'interdire "la propagande LGBT à l'école". "Pourquoi, reprend le journaliste, vous ne voulez pas qu'on en parle pour les petits, est-ce que ce n'est pas à ce moment-là précisément que les préjugés peuvent se mettre en place ?" Emmanuel Macron persiste : "Une chose est les préjugés, une chose est de savoir si l'école de la République doit vous orienter là-dessus. Dans mon souvenir, peut-être que je me trompe, mais en CE2-CM1, on ne fait pas des cours d'éducation sexuelle…".
Êtes-vous favorable à l'idée que les questions d'orientation sexuelle et d'identité de genre soient traitées à l'école ?
Pour Brut, @RemyBuisine et @ThomasSnegaroff ont confronté @EmmanuelMacron à vos questions. Voici sa réponse. pic.twitter.com/m4ZKyqaBhf
— Brut FR (@brutofficiel) April 8, 2022
Nous y voilà… Comme nous le démontrons dans notre dossier en kiosques sur le vrai lobby homophobe, tout l'argumentaire de la droite conservatrice et de l'extrême droite pour s'opposer au traitement des questions d'orientation sexuelle et d'identité de genre à l'école repose sur l'amalgame avec la sexualité rendant les questions LGBTQI+ obscènes. Ainsi dès 2014, quand la droite de la Manif pour tous s'opposait avec acharnement à la mise en place d'un nouveau programme éducatif luttant contre les stéréotypes de genre et le sexisme à l'école (les ABCD de l'égalité, portés par Najat Vallaud-Belkacem), un message avait tourné en boucle propageant la rumeur de "cours de masturbation" dispensés à l'école maternelle…
"Laissons les mineurs tranquilles", entonnait également Marine Le Pen l'été dernier avant d'aller féliciter à Budapest le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, alors en pleine croisade anti-LGBT, dont elle a fait diffuser ce message de soutien lors de son meeting à Reims : "Nous voulons protéger les familles et nous ne voulons pas laisser entrer les militants LGBTQ dans nos écoles…". Or, faut-il encore le préciser, les programmes conçus pour évoquer ces questions à l'école sont, comme pour toutes les matières d'ailleurs, adaptées à l'âge des enfants. Qui peut imaginer qu'un·e instituteur·rice se mettrait à aborder face à ses élèves des questions sexuelles inadaptées à leur âge ? Pour ce qui concerne l'école primaire, aborder les questions d'orientation sexuelle et d'identité de genre revient donc simplement à des séquences de sensibilisation à la différence et aux préjugés sur le masculin/féminin.
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Macron et les LGBT : un progressisme à bascule
"Je suis un peu blessé que vous me compariez à Éric Zemmour qui a des paroles odieuses sur ces sujets", reprend néanmoins Emmanuel Macron, faisant valoir son bilan en matière LGBT : "Moi je suis fier que dans ce mandat, on se soit plutôt battus contre celles et ceux qui justement expliquaient à des personnes qui sont homosexuelles qu'il fallait faire des thérapies de conversion. Nous on l'a interdit dans la loi, donc moi je me bats pour ça, je suis progressiste". Dont acte, ainsi que pour l'ouverture réalisée de la PMA, qu'Éric Zemmour promettait d'abroger et dont Marine Le Pen promettait en 2017 qu'elle ne la permettrait jamais (elle projetait alors aussi d'abroger le mariage pour tous). Mais enfin, quelle légèreté quand Emmanuel Macron, après cinq ans à la tête de la nation, reconnaît mal connaître ce dossier – "peut-être que je me trompe" – et le prouve d'ailleurs en ajoutant : "Mais qu'au lycée, on fasse ce travail et qu'on puisse l'intégrer, avec le périscolaire, la médecine scolaire et les enseignants, et qu'on puisse penser ce qui n'existe pas aujourd'hui, j'y suis favorable."
Or, précisément, cela existe déjà aujourd'hui, puisqu'avec l’éducation contre le racisme, la xénophobie, le sexisme, l’antisémitisme et le harcèlement, l’homophobie est inscrite depuis 2015 dans le programme d’EMC (enseignement moral et civique). Concrètement, une heure hebdomadaire est dédiée à l’EMC en primaire, contre trente minutes au collège et au lycée. Depuis 2001, le Code de l’éducation prévoit par ailleurs qu’une “information et une éducation à la sexualité [soient] dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène”. Ces séances, encore une fois évidemment adaptées à l’âge des élèves, visent à aborder les notions de consentement, de respect du corps et des sentiments, mais aussi à les informer sur les stéréotypes de genre ou les comportements LGBTphobes. Seul problème à l'heure actuelle : elles ne sont guère dispensées. Ce qui n'empêchait pas le propre ministre de l'Éducation d'Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer, d'assurer en 2018 à têtu· : “La lutte contre l’homophobie commence dès l’école élémentaire, dans le cadre des programmes d’enseignement moral et civique (EMC)”.
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Las, tout en montrant sa méconnaissance du sujet, Emmanuel Macron creuse dans son interview à Brut l'amalgame entre questions LGBT et sexuelles, semblant même vouloir revenir sur les programmes actuels : "Je pense que pour les enfants et les ados il faut être très prudent, je ne suis pas sûr que ce soit à l'école, au collège, le travail des enseignants de rentrer sur ces sujets, qui sont aussi des sujets très délicats…". Décidément, à force de "en même temps", le macronisme ressemble de plus en plus à un cheval à bascule : un coup en arrière, un coup en avant.
"Valeurs contre valeurs" face à Le Pen
La surprise est toutefois relative. Depuis 2017, tout en mettant en place dans la dernière année de son quinquennat plusieurs réformes progressistes, Emmanuel Macron a laissé sur ces sujets une place prépondérante à son fidèle Jean-Michel Blanquer, qui ne cache pas son conservatisme et qui, au lieu de porter dans le débat public une parole forte sur les questions d'identité de genre et d'acceptation à l'école, a essentiellement utilisé sa tribune pour donner du grain à moudre aux réactionnaires en dénonçant soit l'utilisation du pronom "iel", soit une "idéologie woke" qui envahirait l'école.
"C’est une nouvelle campagne qui démarre, projet contre projet, valeurs contre valeurs", a déclaré le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, ce lundi 11 avril dans la matinale de France Inter, au lendemain des résultats du premier tour. Considérant que les jeunes qui ont majoritairement voté pour Jean-Luc Mélenchon "ont envoyé un message pour montrer leur attachement à la question de la lutte contre le réchauffement climatique, à la lutte contre les discriminations, à l’égalité entre les femmes et les hommes", il a lancé : "À nous de montrer que ces objectifs se retrouvent dans le programme d’Emmanuel Macron" et ce, par "un travail de conviction, en rappelant quel est notre projet et en dénonçant et en démasquant celui de l'extrême droite". Alors, si le président sortant souhaite marquer sa différence avec Marine Le Pen sur les questions LGBTQI+ d'ici au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril, il va lui falloir trancher : dans quel sens irait un second mandat d'Emmanuel Macron, en avant ou en arrière ?
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Crédit photo : capture d'écran Brut