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magazinePMA pour toutes : pourquoi les lesbiennes continuent d'aller à l'étranger

Par Nicolas Scheffer le 27/09/2022
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Depuis la révision de la loi bioéthique, les centres de PMA français ne parviennent pas à satisfaire toutes les demandes, et nombre de femmes continuent de se tourner vers l'Espagne. Un article à retrouver dans le magazine de la rentrée actuellement en kiosques.

Notre choix a été vite arrêté”, assure, depuis l’île de la Réunion, Élodie, 28 ans, enceinte de huit mois. Avec sa compagne, Keïla, elles se sont lancées dans un projet de procréation médicalement assistée (PMA) il y a un an. Alors que la loi bioéthique autorisant la pratique en France pour les couples de lesbiennes était en passe d’être votée définitivement, les deux femmes ont préféré s’envoler pour l’Espagne, où cette possibilité existe depuis 2006. “L’adoption de la loi en France n’a eu aucun impact significatif sur la fréquentation des cliniques espagnoles”, indique Adélie Michau, gynécologue à la clinique IVI de Bilbao. Ici, les Françaises représentent 12,5% des patientes, un chiffre qui ne faiblit pas.

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En attendant, en France, depuis la loi bioéthique, les secrétariats des centres de PMA ne savent plus où donner de la tête : au premier trimestre, sur les 5.126 demandes de premières consultations avec don de sperme formulées – dont 47% l’ont été par des couples de lesbiennes – seules 2.562 d’entre elles ont pu être honorées sur la même période. Certes, le ministère de la Santé a fait un effort en accordant en septembre 2021 une rallonge de 8 millions d’euros pour faire face à l’afflux de patientes, mais cela n’a manifestement pas suffi à résorber les besoins de l’hôpital public.

La PMA en Espagne

“À La Réunion, il existe bien, dans le sud de l’île, un centre de PMA. Mais il faut être particulièrement patientes pour arracher un premier rendez-vous, et encore plus pour obtenir un don”, témoigne Keïla. À l’inverse, après avoir opté pour l’Espagne, tout est allé très vite pour les deux Réunionnaises. “Notre première consultation en visio a eu lieu en juin, nous nous sommes décidées en août, et en octobre on a pu faire une insémination qui par chance a fonctionné du premier coup”, poursuit Élodie. Un parcours volontairement resserré qui permet de répondre aux demandes des patientes désireuses de se lancer au plus vite.

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Autre accélérateur, l’Espagne dispose d’une impressionnante banque de gamètes. Dans la salle d’attente de la clinique IVI de Bilbao, on est étonné de croiser plusieurs hommes, étudiants pour l’essentiel. Contrairement à la France, l’Espagne rémunère de l’ordre de 20 à 50 euros le recueil de sperme, dont une dizaine doivent être réalisés pour qu’un don soit valable, le tout étalé sur une période de six mois. “Avant chaque recueil, une période d’abstinence de trois jours est demandée, faute de quoi il ne peut avoir lieu”, souligne, un sourire en coin, Fernando Quintana, directeur du laboratoire d’andrologie, conscient du sacrifice que cette durée peut représenter pour de jeunes adultes de moins de 25 ans.

Un délai d'attente quasi nul

Fièrement, le médecin montre son trésor : des milliers d’échantillons de sperme conservés à -200 °C qu’il sort délicatement de leur hibernation, dans une épaisse fumée d’azote. “Nous sélectionnons drastiquement les donneurs. Afin d’avoir la meilleure qualité de sperme, et pour que l’insémination ait plus de chance d’aboutir, nous n’en acceptons qu’un sur cinq”, ajoute-t-il. Si, en France, l’anonymat du donneur peut être levé à la majorité de l’enfant, ce n’est pas le cas en Espagne. Un avantage, diront certaines ne souhaitant pas confondre don et paternité, mais un frein pour d’autres qui estiment que l’enfant a le droit de connaître l’intégralité de son histoire. Quoi qu’il en soit, alors qu’il faut attendre en moyenne douze mois en France pour accéder à un don, il n’y a quasiment pas de délai d’attente en Espagne. Et cela emporte l’adhésion.

"Nous envoyons aux patientes leurs ordonnances traduites pour qu'elles puissent faire les examens nécessaires en France et que ceux-ci soient pris en charge par la Sécurité sociale."

Adélie Michau, gynécologue à Bilbao

À moins de deux heures d’avion de la plupart des villes de France, facilement accessible via des compagnies low cost, l’Espagne apparaît donc comme l’un des pays privilégiés pour les femmes souhaitant avoir recours à une PMA. Les cliniques ibériques se sont d’ailleurs adaptées pour accueillir les futures mères venues de chez nous : toute la communication se fait en français et, grâce à la téléconsultation, développée depuis la pandémie de Covid-19, la distance ne se fait pas vraiment sentir – les femmes n’ont désormais besoin de se déplacer que pour la ponction ovarienne et l’insémination. “Nous envoyons aux patientes leurs ordonnances traduites pour qu’elles puissent faire les examens nécessaires en France, et que ceux-ci soient pris en charge par la Sécurité sociale”, souligne Adélie Michau.

Une décision qui a un coût

Avec son mobilier design et sa lumière tamisée, son cabinet, à la pointe de la technologie, n’a rien de l’image que l’on se fait d’une salle de consultation hospitalière. Formée à Paris, la gynécologue a été impressionnée par la qualité de la recherche en Espagne. “Ici, les cliniques privées investissent énormément dans la recherche. Et puis certaines techniques possibles ici ne le sont pas en France”, souligne-t-elle. Par exemple, la technique de la Ropa, qui, dans un couple de lesbiennes, permet à l’une d’elles de porter un enfant issu de l’ovocyte de sa partenaire, est autorisée en Espagne, mais interdite en France. Plus onéreuse, elle est plébiscitée par les couples de femmes souhaitant partager la maternité. “Il ne faut pas sous-estimer la joie que cela peut procurer d’être aussi le parent biologique”, pointe Keïla, qui, justement, a eu recours à la Ropa avec sa compagne.

Reste que cela a un coût financier qui se chiffre en plusieurs milliers d’euros par tentative. “Certes, pour nos finances, ce n’est pas anodin, mais on voulait réaliser ce projet, celui d’une vie, dans les meilleures conditions !” s’exclame Élodie. Autre épine dans le pied des futures mères françaises, la loi bioéthique prévoit que seuls les centres publics puissent gérer les dons, ce qui exclut les femmes des cliniques privées et rallonge encore les listes d’attente. “En obligeant celles qui souhaitent avoir recours au don à aller à l’hôpital, on crée artificiellement un monopole d’État ! On connaît les conséquences : plus de délais, moins de proximité”, regrette Mikaël Agopiantz, gynécologue-obstétricien et chef de service au CHU de Nancy. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron faisait dans têtu· le constat de cette attente. Et de lancer cette promesse : “Il faudra rapidement y remédier.” 

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Crédit photo : Shutterstock