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reportageJournée du souvenir trans : "Ma fille s’est suicidée à cause d’une société transphobe"

Par Elodie Hervé le 21/11/2022
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La Journée de commémoration du souvenir trans (TDoR) a réuni ce dimanche plusieurs centaines de personnes à Paris. Une édition marquée par l'inquiétude concernant la montée de la transphobie dans les milieux féministes.

Sur le fronton de la mairie du XXe arrondissement de Paris, un drapeau arc-en-ciel se bat contre la pluie. Ce dimanche 20 novembre, quelques centaines de personnes ont fait le déplacement pour le TDoR 2022 – "Transgender Day of Remembrance", la Journée de commémoration du souvenir trans – à l’appel de plusieurs associations, dont Acceptess-T et OuTrans. 

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Ces douze derniers mois, au moins 327 personnes trans sont mortes dans le monde, tuées ou poussées au suicide, selon Transgender Europe (TGEU), une association de défense des personnes trans. 95% étaient des femmes entre 31 et 40 ans, souvent racisées et travailleuses du sexe (TDS). “Ce soir, comme tous les 20 novembre, on sort des statistiques, souligne Anaïs d’OUTrans. On est là pour s’arrêter un instant et parler des personnes qui sont mortes cette année. Parce que, oui, une fois encore, on compte nos mort·es.” 

Les relais politiques de la transphobie

Une édition marquée par la colère des militant·es et des personnes concernées contre une classe politique tendant à crédibiliser certains discours considérés comme dangereux. Ainsi, l’an passé, en décembre, Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, a convié au ministère de l’Intérieur plusieurs personnalités ouvertement transphobes, parmi lesquelles Dora Moutot et Marguerite Stern, également reçues en août par Aurore Bergé – députée des Yvelines et présidente du groupe Renaissance –, qui a depuis déposé un amendement excluant les hommes trans d'une constitutionnalisation du droit à l’IVG.

À cela s’ajoutent une série d'émissions de télé et de débats publics où les propos transphobes ont, plus que jamais, libre cours. “Nous sommes en guerre, lâche Anaïs Perrin-Prevelle d’OUTrans. Nous sommes attaqué·es par des personnes qui, pour des raisons idéologiques, se battent contre notre simple existence. Les attaques sont sournoises. Elles ne viennent pas seulement de quelques franges de réactionnaires d’extrême droite. Elles viennent aussi des TERFS [féministes radicales excluant les personnes trans], qui recrutent parfois même chez les personnes LGB cis.” Autour d’elle, des bougies vacillent et se consument en souvenir des victimes. “C’est simple, depuis trois ans, j'ai plus côtoyé la mort que pendant toute ma vie”, confie la militante.

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"Des putains de résistantes"

Sur cette place étriquée, les souvenirs et les pleurs s’entrechoquent. “Moi, ça fait un an que je suis à la rue, raconte Elise*, 18 ans. J’ai subi une 'thérapie de conversion' quand j’étais mineure, j’ai fait du TDS pour survivre, et là ça fait huit jours que je suis clean. Il y a beaucoup de personnes trans qui ont aussi vécu la transphobie de l’aide de l’enfance, c’est mon cas, et après c’est très difficile d'avancer. ” À ces côtés, Mimi, une femme trans TDS membre d’Acceptess-T, acquiesce. “Nous sommes des femmes trans, des femmes pauvres, nous sommes des putains de résistantes", lance-t-elle.

Carole, elle, est venue pour honorer la mémoire de sa fille, Mathilde, une jeune femme trans de 19 ans, qui s'est suicidée. “Je ne pardonne pas, je n’oublie pas, confie-t-elle. Je n’arrive pas à accepter que ma fille se soit suicidée à cause d’une société transphobe. Je dois faire son deuil à cause de cette transphobie, que j'observe d'ailleurs chaque jour. Je ne suis pas révolutionnaire. Vraiment pas. Mais l’État et son inaction m’ont rendue révolutionnaire.” 

Des ami·es de Mathilde font aussi éclater leur colère face à ces médecins qui refusent des transitions, mais aussi face aux agresseurs qui profitent de la précarité et de l’isolement d’une partie des personnes trans pour les agresser sexuellement. “Nos mort·es ne sont pas des cas isolés, souligne Néo d’Acceptess-T. La transphobie tue, elle isole, elle empêche l’accès aux soins. Ce que l’on vit, ce n’est pas une épidémie de trans mais bien une épidémie de transphobie.”

À la mémoire de Rita Hester

Depuis 1999, la Journée du souvenir trans rappelle que des personnes de la communauté trans meurent dans l’indifférence générale. Aux États-Unis, 53% des jeunes personnes trans ont déjà “sérieusement envisagé une tentative de suicide au cours de l'année écoulée”, selon le rapport 2022 de The Trevor Project. Contre 33% pour le reste de la communauté cis. 

À l’origine, cette journée a été décidée pour honorer la mémoire de Rita Hester, une femme trans afro-américaine de 34 ans tuée de plusieurs coups de couteaux en 1998, et dont le meurtrier n'a jamais été retrouvé. L’année suivante, à travers le monde, des hommages ont été rendus à toutes les personnes trans assassinées. Plus de 24 ans après ce meurtre, les associations continuent de se rassembler tous les ans pour compter les mort·es.

“Cette nuit, une boîte de nuit LGBTQI+ aux États-Unis a été visée par une fusillade”, reprend Sasha. Cette attaque contre la communauté LGBTQI+ a fait cinq mort·es et une vingtaine de blessé·es. “Cette soirée avec un show drag était organisée pour commémorer le TDoR, poursuit-elle. Cette fusillade a été alimentée par le climat mis en place par l’extrême droite. On n'oublie pas. On ne pardonne pas. Parce que leur projet, c'est notre extermination.”

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► Si vous êtes en proie à des pensées suicidaires, ne restez pas seul·e. Des lignes d'écoute sont disponibles, comme Suicide écoute, disponible 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00, ou SOS Amitié au 09 72 39 40 50, également 24h/24 et 7 j/7. SOS homophobie dispose aussi d'un chat d'écoute en ligne et d'une ligne d'écoute anonyme au 01 48 06 42 41. D'autres ressources sont recensées sur le site de l'Assurance maladie.

Crédit photo : AFP