Native du Cap, la jeune chanteuse ouvertement lesbienne Dope Saint Jude fait honneur à ses racines sud-africaines avec un album aux multiples facettes rendant hommage aux femmes de sa famille.
C'est vers la fin de l'été que Dope Saint Jude – Catherine Saint Jude Pretorius à l'état civil – arrive, solaire, en terrasse. La chanteuse profite d'une escale parisienne à l'occasion d'un concert pour explorer cette capitale qu'elle chérit tant. "J'aime la nourriture et la musique ici, lâche-t-elle avec un franc sourire. Et un détail que j'aime beaucoup avec la France, c'est que vous allez à l'extérieur pour prendre un café." Un léger contraste avec le Royaume-Uni, dont elle est désormais résidente depuis 2019.
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"Je ne sais pas si je dirais que Londres est une ville inspirante mais elle a une véritable énergie, poursuit l'artiste. Les gens là-bas ont vraiment envie de concrétiser des choses et s'en donnent les moyens. C'est enivrant." Pour autant, c'est vers l'Afrique du Sud, son territoire natal, qu'elle se tourne quand elle a besoin de stimuler sa créativité. "Les plages et la météo me manquent, souligne-t-elle avec un rire entendu. Mais surtout ma famille." C'est d'ailleurs cette dernière qui a inspiré un de ses plus récents singles, "For You", qu'elle décrit comme un morceau dédié à la mémoire de sa mère et sa grand-mère, en rapport avec les leçons de vie qu'elles lui ont inculquées et leur sens de la spiritualité.
Un album dédié à ses aînées
"C'était naturel de rendre hommage à mes aînées, explique la jeune femme. J'ai écrit mon dernier EP pendant la pandémie, qui fut pour moi un temps de réflexion. Quand je suis seule, je pense beaucoup au fait que je ne serais pas là où j'en suis aujourd'hui sans les efforts de ma mère et de ma grand-mère. Je me devais d'en parler dans mon art." Ce disque, Higher Self – qui fait suite à deux EP – fait donc référence à cette transmission intergénérationnelle, et propose une musique hip-hop moderne où sont distillées des sonorités tendant vers la pop, le gospel ainsi que la musique traditionnelle sud-africaine.
Pour autant, si elle est aujourd'hui proche de sa mère, leur relation a été ébranlée par le coming out de l'artiste vers l'âge de 15 ans. "Ça a été difficile pour moi, confie Dope Saint Jude. Ma mère a un peu pété les plombs car je suis la seule fille au milieu de ses quatre garçons. Elle s'était fait une idée de ce à quoi ma vie devait ressembler. Elle ne m'a pas facilité la vie, mais après quelques années j'ai déménagé, et la distance nous a beaucoup aidées. Puis elle est passée à autre chose."
La religion, omniprésente dans sa vie depuis l'enfance, représentait aussi une embûche à son épanouissement : "Ce fut assez facile de comprendre ma sexualité parce que j'avais accès à internet et donc aux moyens de s'éduquer. Mais j'ai grandi dans la foi catholique, où il y a toujours ce sentiment de culpabilité, à propos de tout. C'est quelque chose que j'ai vraiment dû calmer."
Queer et fière
Malgré ces obstacles, la chanteuse se réjouit d'avoir pu grandir et explorer son identité queer au Cap, qu'elle décrit sans détour comme "la capitale gay de l'Afrique". Déjà militante dans l'âme alors qu'elle n'était qu'au lycée, fervente défenseuse de l'égalité, elle se rappelle partir en douce de sa maison pour aller à la marche des Fiertés. Ou pour acheter des titres comme Gay Times, trouvables dans certains magasins de journaux, avant qu'elle ne découvre le drag, comme un coup de pouce.
Car au début de sa vingtaine, Dope Saint Jude se façonne un alter ego drag king. C'est alors un moyen pour elle de braver les frontières du genre pour mieux appréhender le sien. "Je ne l'ai fait que pendant deux ans avant d'arrêter, avoue-t-elle, sans regrets. Pour les drag-queens, c'est plus excitant parce qu'elles ont les tenues, le maquillage, le rembourrage... Cette culture n'existe pas chez les kings. Je trouvais ça hyper limitant et je ne m'y retrouvais plus du tout." Mais cette étape lui a tout de même permis de réfléchir à la question des étiquettes : "J'ai moins tendance à mettre les gens dans des cases. S'ils veulent se dire fem, butch, top ou bottom, aucun souci. Mais je ne le ferai pas à leur place. Il faut vraiment se donner la liberté d'explorer et de se comprendre."
Ce message d'ouverture, elle espère le rendre accessible par sa musique. "J'aspire vraiment à être moi-même à 100% dans mes chansons, conclut-elle. Je veux parler avec ma voix et maintenir mon intégrité et mes valeurs. Je croise les doigts pour que mon public se sente inspiré à faire de même. Je ne veux pas qu'on essaie de me copier. Je veux que chaque personne se découvre."
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Crédit photo : Jennifer Arieleno-O'Neil