PrideEurovision : pourquoi on aime, pourquoi ils (nous) détestent

Par têtu· le 13/05/2024
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La 68e édition du concours européen de la chanson, dont la finale s'est tenue ce samedi 11 mai 2024 à Malmö en Suède, a confirmé son statut de grand-messe queer internationale. Doublement d'ailleurs, car la victoire pour la Suisse de Nemo, artiste non-binaire, a suscité les réactions queerphobes qu'on avait déjà entendues lors de précédentes victoires à l'Eurovision d'interprètes appartenant à la communauté LGBT+, comme celle de Conchita Wurst il y a dix ans.

"Ce n’était pas un concours de talent musical, mais un concours de laideur, de vulgarité, de grossièreté, d’exhibitionnisme." Les mots de Ségolène Royal après la finale de l'Eurovision 2024 résonnent comme ceux de la pétition qui avait circulé en Russie, en 2014, contre la participation de Conchita Wurst, voyant dans le concours européen de la chanson “un antre de la sodomie”. Banale comme le grommellement d'une vieille âme arrivée par accident sur France 2 le soir de la diffusion, la réaction de l'ancienne présidentiable socialiste confirme, avec toutes celles de son acabit qui ont abreuvé les réseaux sociaux tout au long du week-end, que la queerphobie n'est pas réservée aux conservateurs de droite ou d'extrême droite. Et donc que nous avons toujours besoin de l'Eurovision, l'événement queer le plus vu de la planète et aux valeurs… universelles. Retour sur cette édition haute en fiertés.

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  • Olly Alexander, fier allumeur

Le représentant du Royaume-Uni avait prévenu : il porterait à Malmö les couleurs de son pays "de la manière la plus gay possible". Dès son entrée sur la scène de l'Eurovision, le jeune chanteur gay nous a gratifiés d'un clin d'œil coquin plein de promesses… tenues : la prestation d'Olly Alexander sur "Dizzy", nous embarquant dans une backroom de kiffeurs sens dessus dessous, a dû donner de sacrés vertiges à Mme Royal.

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  • Nemo, la fierté non-binaire en étendard

Pour son entrée sur la scène de la finale, Nemo a choisi d'arborer l'étendard non seulement de la Suisse mais aussi de la fierté non-binaire. Ce n'est pas le plus connu, on salue donc l'effort de pédagogie dans une émission vue par 5,4 millions de téléspectateurs sur France 2, et plus de 160 millions à travers le monde !

D'autant plus symbolique qu'il a été rapporté que dans le public, quelqu'un avait été empêché de faire entrer le même drapeau dans la salle, l'organisation de l'événement ayant été particulièrement à cheval sur son règlement cette année, sur fond de polémique autour de la participation d'Israël au concours malgré les bombardements en cours à Gaza. Après sa victoire, l'artiste suisse a évoqué le sujet en conférence de presse : "C'est incroyable, j'ai dû passer mon drapeau en douce parce que l'Eurovision a dit non (…) Franchement, c'est clairement deux poids deux mesures ; j'ai cassé le code [référence à sa chanson] et j'ai cassé le trophée [accidentellement sur la scène], le trophée peut être réparé mais peut-être que l'Eurovision a aussi besoin d'une petite réparation de temps en temps…" La gauche de Ségolène Royal aussi, peut-être.

  • Toujours fière Ukraine face à l'adversité

C'était la troisième fois que l'Ukraine participait au concours européen depuis le début de son agression par la Russie de Vladimir Poutine en 2022, année qui lui avait donné sa troisième victoire dans le concours (avec Kalush Orchestra et leur chanson "Stefania"). Après avoir dû se résoudre, pour cause de guerre, à confier à Liverpool (Angleterre) l'organisation de l'édition 2023 qui lui revenait, l'Ukraine est venue cette année avec un duo puissant, associant la rappeuse alyona alyona et la chanteuse Jerry Heil, qui ont livré une interprétation prenante de leur chanson "Teresa & Maria". La scénographie choisie fonctionnait comme un cri de liberté entonné sous le feu des bombes. Grâce à une forte adhésion du public, qui lui a accordé 307 points, le duo a pu chiper la troisième place du concours à la France.

  • Le sens de la Pride de Silvester Belt

Reconnaissable aux bijoux de nez qu'il affectionne, le candidat queer de la Lituanie, Silvester Belt, a fait cadeau au monde d'un leitmotiv pratiqué par la commu LGBT+ depuis que la Pride est Pride : faire la fête malgré l'adversité. Son morceau pop-électro "Luktelk", chanté en lituanien, nous invite en effet à la joie malgré la peine et les épreuves : "Je ne veux plus danser, mais j'ai besoin de danser". Et le joli cœur de terminer sa prestation en nous pressant de "répandre l'amour dans le monde" : plus Eurovision, tu meurs. Ségolène n'a pas reçu le message.

  • Bambie Thug arbore la fierté trans

Le prix du reveal de l'année va à Bambie Thug, qui représentait l'Irlande. Sous la noirceur de son costume, notre adepte de la sorcellerie avait caché un ensemble sexy aux couleurs du drapeau trans. Ce n'est pas un détail pour nous, à l'heure où les personnes trans concentrent l'essentiel des offensives queerphobes dans le monde (y compris en France). Les jurys ont validé, faisant caracoler une bonne partie de la soirée l'Irlande au coude-à-coude avec la Suisse de Nemo. Deux artistes non-binaires dans le top 10 (Bambie a terminé 6e), c'est royal !

  • Slimane a capella, cocorico !

Ce n'est pas parce que Slimane est notre cover boy du printemps qu'on le dit : sa prestation avait de quoi donner des frissons. Lui qui expliquait à têtu· ne pas être "allé regarder ce qui se fait d’habitude" et n'avoir "pas envie de suivre les 'codes' de l’Eurovision mais plutôt (s)on cœur", a tapé dans le mille en faisant le choix risqué d'une séquence suspendue dans laquelle il entonnait, a capella et placé à deux mètres de son micro, la supplique désespérée de "Mon amour". La séquence a fait un pic d'audience à 7,6 millions de téléspectateurs sur la télévision française, et a largement conquis les cœurs puisque la France termine à une belle quatrième place.

  • La Finlande en mode provoc (soft)

"No Rules!", proclamait dès le titre de son morceau Windows95Man. Le DJ, représentant la Finlande, a suivi ce slogan à la lettre en se pointant sur scène, émergeant d'un œuf, simplement vêtu d'une casquette, d'un tee-shirt... et c'est tout ! En effet, Teemu Keisteri – son nom à la ville – a joué la carte de la provoc' en performant à poil, ses attributs génitaux cachés par des éléments du plateau astucieusement disposés. Malin, mais Ségo n'a pas ri.

  • Merci Chypre pour le pit crew !

Chypre a misé sur une popstar en herbe, seulement âgée de 17 ans, pour représenter ses couleurs. Si l'on a admiré l'endurance et l'énergie de Silia Kapsis pendant sa performance, on a surtout envie de la remercier pour ses quatre danseurs. Dans le dernier pan du morceau, ces apollons se sont délestés de leurs hauts blancs pour dévoiler des torses ciselés, formant derrière la chanteuse un joli "pit crew" que Nicky Doll n'aurait pas boudé… À Malmö, la salle est montée en ébullition ; Ségolène a immédiatement changé de chaîne.

  • Grey pride espagnole

Mery Bas est la chanteuse du duo Nebulossa – formé avec le claviériste Mark Dasousa. Figurez-vous qu'elle a décidé passé ses 50 ans de se lancer dans une carrière musicale, et déclare vouloir encourager les gens à se libérer des étiquettes, à célébrer leur identité, leur liberté. On valide évidemment, d'autant quand c'est dit en chantant "salope" ("Zorra", fière réappropriation du stigmate) sur de l'électropop avec une mise en scène queer as fuck.

  • Fierté queer, l'envol de Nemo

Retour enfin sur la prestation qui a raflé la victoire à l'Eurovision 2024. Nemo, le sourire jusqu'aux oreilles dans sa tenue cassant les codes genrés dans un camaïeu de rose, nous a offert un moment solaire qui a mis (presque) tout le monde d'accord. C'est bien simple : la puissante fragilité de son hymne queer contre les diktats, "The Code", n'a eu d'égale que celle de son interprétation, débordant d'une joyeuse et indestructible force queer. Une victoire méritée, et mémorable. Who oh oh !

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>> PS : mention spéciale à Loreen, la gagnante de l'édition 2023, et à Conchita Wurst, dont les performances sont à revoir sur notre compte Instagram.

Crédit photo : Eurovision - montage têtu·

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