tribuneDébouté·es LGBT de l’asile : comment la France fabrique des homos sans papiers

Par Hervé Latapie le 16/05/2024
La Pride 2024 d'Angers organisée par le centre LGBTQI Quazar

Président de l'association Melting Point LGBT+, Hervé Latapie interpelle les autorités : "Aujourd’hui l’asile est refusé par la France à des personnes gays et lesbiennes fuyant leurs pays homophobes ; elles se retrouvent sans papiers, à la rue, menacées tous les jours d’être reconduites de force dans leurs pays ! Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi un pays qui se dit à la pointe des luttes LGBT rejette-t-il ces demandes d’asile ? Comment pouvons-nous aider ces personnes à sortir de ce cauchemar ?"

Armand [tous les prénoms ont été changés] s’est enfui de la République démocratique du Congo, il est passé par la Russie où il a pu être étudiant, puis en Pologne il a été arrêté et violenté en prison. Pour demander l’asile en France, il a d’abord été entendu 1h10 par un officier de protection de l’OFPRA (organisme chargé d’examiner les demandes d’asile), il était encore sous le choc de son parcours traumatisant, il s’est emmêlé dans ses propos, était gêné d’aborder les détails de sa sexualité. Il est rejeté. Il doit alors faire appel et présenter un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Il a la chance d’être suivi et aidé par le Melting Point, association organisant un réseau de solidarité pour les personnes LGBT exilées. Il s’est donc présenté à une audience de la CNDA devant une formation de trois juges, présidée ce jour-là par la juge réputée pour être non seulement systématiquement réticente à accorder l’asile, mais également notoirement homophobe. Elle lui a refusé l’asile en le reconnaissant homosexuel mais en expliquant que la vie gay à Kinshasa est aujourd’hui possible et qu’il peut donc retourner dans le pays où il a déjà subi une thérapie de reconversion, la violence de sa famille, le rejet de tout son quartier… Armand devient un débouté de la CNDA, il va recevoir une OQTF (obligation de quitter le territoire), il va être mis à la porte de son hébergement et être contraint de se cacher, il devient un homo sans papiers.

Fatou est malienne, lesbienne depuis son adolescence, elle a vécu une longue histoire d’amour avec Yasmina, son amie d’enfance. À 14 ans, elle a été surprise par sa tante alors qu’elle se câlinait avec Yasmina dans la salle de bain. Elle a alors subi une excision punitive et préventive, sort réservée aux lesbiennes pour les guérir de leur mal et leur passer définitivement le goût du plaisir sexuel. Mais cette torture ne l’a pas empêchée de continuer sa relation, astucieusement dissimulée. Elle échappe au mariage forcé en se rendant utile au foyer familial, elle gagne plutôt bien sa vie grâce à son sens du commerce, son pouvoir d’achat calme les soupçons planant sur sa sexualité. Cela dure jusqu’au jour où les deux femmes sont à nouveau surprises ensemble. C’est le scandale, un début de lynchage en pleine rue, et Fatou prend la fuite. Après un long périple à travers l’Afrique, la Tunisie, puis l’Italie, elle arrive à Paris où elle trouve tout de suite le chemin du Melting Point qu’elle ne va pas cesser de fréquenter. Elle a été entendue à l’OFPRA. Peu préparée, elle ne s’exprime pas toujours clairement, et il y a des choses dont elle n’est pas encore capable de parler, comme de son excision punitive. Comme beaucoup d’étrangers aux parcours difficiles, elle se mélange dans les dates, ce que l’OFPRA interprète toujours comme un indice de mensonge. Devant la CNDA, elle se présente à l’audience beaucoup mieux préparée et son avocate a rédigé un recours très argumenté. Tous les éléments de preuve sont réunis pour qu’elle obtienne l’asile. Mais les juges, qui visiblement n’ont pas étudié le dossier, posent des questions décalées, s’attachent à des détails saugrenus ou manifestent simplement une méconnaissance totale du contexte culturel d’une petite ville du Mali. Ainsi ils ne comprennent pas pourquoi cette femme indépendante financièrement n’a pas quitté la maison familiale pour s’installer dans son propre logement indépendant (eh bien non, messieurs, cela ne se passe pas ainsi dans la société malienne populaire !). À l’audience, il était clair (question de principe ou d’idéologie ?) qu’ils étaient hostiles à l’idée d’accorder l’asile à une simple femme lesbienne malienne. Fatou va être mise à la porte de son foyer d’hébergement, poussée vers le 115 par une association qui se nomme France terre d’asile, et condamnée à survivre sans papiers.

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Houssein, Malien lui aussi, est né et a vécu en Côte d’Ivoire. Il a dû s’enfuir après avoir subi durant des années moqueries, vexations, agressions. Il a changé d’adresse et de ville plusieurs fois pour échapper au harcèlement du quartier. Arrivé à Paris, malgré le fait qu’il se soit très vite intégré au monde gay, il n’a pas convaincu l’OFPRA qu’il était homosexuel et a dû affronter la CNDA. Soutenu par le Melting Point, il a été malgré tout débouté : les juges ont admis qu’il était homosexuel, mais ils ont considéré qu’il avait vécu les persécutions homophobes non pas dans le pays de sa nationalité le Mali, mais en Côte d’Ivoire. Pour les juges il n’aurait donc aucune crainte de retourner au Mali, pays qui leur semble un havre de paix pour les homosexuels… Et Houssein se retrouve sans papiers, il a reçu une OQTF. Voilà comment la France, qui ne rate pas une occasion pour vanter sa politique contre la LGBTphobie, traite un homosexuel africain.

Toutes les associations LGBT qui soutiennent les personnes exilées sont régulièrement à la fois découragées et révoltées lorsque ces personnes se retrouvent ainsi injustement rejetées. Il s’agit de personnes que nous connaissons bien, que nous avons côtoyées durant des mois et parfois plusieurs années. Nous avons soutenu leur demande d’asile, nous les avons aidées à préparer leur dossier, nous avons fourni nos témoignages et nous les avons accompagnées à l’audience devant les juges.

Imaginez ce que peut ressentir une personne homosexuelle, persécutée dans son pays, à qui l’on dit : vous n’êtes pas homosexuelle, ou si vous l’êtes nous ne croyons pas que les souffrances que vous avez vécues là-bas justifient votre envie de liberté, retournez dans votre pays !

Les débouté·es de la CNDA commencent par sombrer dans une dépression profonde, certaines nationalités s’en sortent mieux car elles parviennent à bénéficier d’un soutien de leur communauté nationale, mais souvent au prix d’une nouvelle dissimulation de leur orientation sexuelle. Puis au fil des mois, ils et elles s’adaptent à la vie des sans-papiers. Cette situation est d’autant plus absurde et cruelle que dans l’immense majorité des cas ces personnes ont toutes les qualités pour trouver un travail et s’intégrer : le simple fait d’avoir engagé et réalisé leur parcours d’exil dénote une forte personnalité et des capacités de combativité et d’adaptation.

Il est temps que les institutions chargées d’examiner les demandes d’asile s’interrogent sur leurs erreurs d’appréciation. S’expliquent-elles simplement par les cadences auxquelles sont soumis officiers de protection de l’OFPRA et juges de la CNDA ? Ou sont-elles encouragées par la pression politique de l’air du temps xénophobe ? Car c’est une véritable fabrique de sans-papiers qui se met en place. Or, il est clair que les personnes LGBT déboutées de l’asile ne peuvent pas retourner dans leur pays où c’est leur propre famille qui les a rejetées et poussées dehors. En France, il ne leur reste qu’un seul espoir : pouvoir demander à l’OFPRA un réexamen de leur demande d’asile. Mais la loi exige de présenter des faits nouveaux, et à ce propos OFPRA et CNDA se montrent encore plus sévères que lors de la demande d’asile initiale. Leur vie ouvertement homosexuelle en France ne constitue-t-elle pas une raison suffisante de les laisser vivre enfin paisiblement leur orientation sexuelle ? Alors oui la France pourrait se proclamer fière de son engagement en faveur des LGBT !

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Crédit photo d'illustration : marche des Fiertés 2024 à Angers - Estelle Ruiz / Hans Lucas via AFP