justiceGuets-apens sur Coco : un homme condamné à 13 ans de prison

Par Youen Tanguy le 16/09/2024
Guet-apens homophobe, notre dossier dans le magazine têtu·

Un homme de 27 ans, Iliès B., a été condamné vendredi 13 septembre à Paris à treize ans de réclusion criminelle pour plusieurs guets-apens homophobes commis fin 2022.

Vendredi 13 septembre, la cour d'assises de Paris a condamné un homme de 27 ans, Iliès B., à treize ans de réclusion criminelle pour quatre guets-apens homophobes commis entre novembre et décembre 2022 via le tchat Coco et le site de rencontres PlanSM, conformément aux réquisitions de l’avocat général. Jugé pour “extorsion avec arme” et “vol avec arme” commis en raison de l’orientation sexuelle des victimes, il encourait la perpétuité.

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Au troisième et dernier jour du procès, au moment de ses réquisitions, l’avocat général a tenu à s’adresser directement aux victimes : "Il vous a fallu du courage pour porter plainte et je vous en félicite. Je voudrais vous dire ô combien vous avez eu raison de le faire car ça permet non seulement la tenue de cette audience, mais ça envoie aussi un message aux autres victimes et aux agresseurs."

L’accusé agissait avec un mode opératoire bien rôdé : il donnait son adresse aux victimes, un immeuble du 18e arrondissement de Paris – où il vivait chez ses parents –, les emmenait dans les caves où il les menaçait avec un couteau afin de les détrousser. Certains étaient humiliés, traînés au sol et traités de "pédé". L'une de ses victimes, Marc, avait témoigné pour têtu· lors de notre dossier sur les guets-apens homophobes dans le numéro 234 : "J’avais l’impression que c’était un jeu pour lui. Il a aiguisé son couteau sur la tuyauterie et m’a expliqué en montrant mon cœur qu’il pouvait très bien le planter."

Iliès B. a été interpellé peu de temps après avoir fait une quatrième victime. Pour permettre un jugement rapide, le parquet n’avait dans un premier temps pas retenu l’usage d’un couteau, une qualification criminelle qui entrainerait le renvoi aux assises. Le dossier avait donc été présenté devant le tribunal correctionnel de Paris en février 2023, déclenchant la colère d’une partie des avocats des parties civiles : "Vous ne pouvez pas accepter cette correctionnalisation [lorsqu'une affaire est jugée comme un délit et non un crime], car les faits sont gravissimes et n’ont pas lieu d’être jugés devant vous, plaidait ainsi Me Caroline Martin-Forissier. Il serait simpliste de faire abstraction de l’arme." Et le tribunal avait alors renvoyé l'affaire à l'instruction.

L'accusé nie l'homophobie

Après l'énoncé du verdict, un an et demi plus tard, les victimes sont soulagées, malgré la souffrance d’avoir été confrontées lors du procès à leur agresseur. Un agresseur qui continue d’ailleurs de nier une partie des faits. "Alors qu’il reconnaissait avoir spécifiquement ciblé des homosexuels devant les enquêteurs, il a dit le contraire à l’audience, soupire l’une des victimes, Loïc. Comment le croire quand il change de version comme ça ? Ce n’est pas facile de tourner la page dans ces conditions."

Certains propos des avocates de la défense, Mes Maïa-Ané Joubert et Miléna Letinaud ont également irrité les parties civiles et l’avocat général. Lors de ses réquisitions, ce dernier a rappelé une question posée la veille par l’une des deux avocates à une des parties civiles : "Monsieur, vous ne pensez pas avoir pris un risque en vous rendant là-bas ?" "J’ai trouvé la question éminemment déplacée pour les victimes, assène l’avocat général. Ça m’a fait penser à la défense lors du procès des policiers du 36 quai des Orfèvres [condamnés en première instance en 2019 et acquittés en appel en 2022 définitivement] accusés de viol par une Canadienne où l’on avait demandé à la plaignante ce qu’elle portait le soir des faits – en l’occurrence jupe courte, talons hauts et bas résilles. Mais et alors, ça change quoi ?"

"J’ai parfois eu l’impression qu’on me culpabilisait, qu’on me disait que j’étais inconscient d’être allé dans cette cave, explique Loïc. C’était très dur." Car comme souvent dans les affaires de guet-apens, la défense s'est démenée pour faire tomber la circonstance aggravante d'homophobie : sans, l'accusé risquait trente ans de réclusion et non la perpétuité. "Il ne voulait pas s’en prendre aux personnes homosexuelles, a plaidé Me Maïa-Ané Joubert. Ce qui l’intéressait par-dessus tout, c'était l’argent." Il n’aurait donc pas spécifiquement ciblé des gays ? "Même si seuls des hommes homosexuels l’ont contacté, mon client cherchait des personnes intéressées par des plans de domination-soumission, a-t-elle argumenté. Son pseudo sur ces sites de rencontre était d’ailleurs ‘rebeu cherche plan soumis cave’." Et la défense de contester la constitution de partie civile de l’association Stop homophobie.

Mais pour l’avocat général, la circonstance aggravante est établie : "Où va-t-il ? Sur des sites de rencontres. Pour rechercher qui ? Exclusivement des homosexuels, rappelle-t-il. Il maîtrise parfaitement le langage et les codes de cette communauté. Il joue sur les fantasmes de ceux qui peuvent se connecter à ces sites. Il envoie des photos et échange des messages à caractère sexuel, etc." Iliès B. avait d’ailleurs reconnu au début de l’enquête avoir spécifiquement ciblé des hommes gays car il les considéraient comme "plus actifs sexuellement", donc plus enclins à se déplacer, mais surtout comme plus vulnérables.

L’avocat général souhaitait que cette peine puisse "atténuer les blessures ressenties par les victimes". "Ça nous aura au moins permis de nous rencontrer, sourit Adam. Ça fait du bien de savoir que l’on est pas seul."

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Crédit : Romain Lamy

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