[Critique à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] La réalisatrice Audrey Diwan réinvente Emmanuelle, le film "érotique" de 1974 qui avait mal vieilli, avec un regard féministe et queer, ainsi que Noémie Merlant dans le rôle titre.
Ne lui dites pas que son film est un remake. En s’emparant de l’histoire d’Emmanuelle, la voluptueuse héroïne du roman éponyme d’Emmanuelle Arsan paru en 1959, la réalisatrice Audrey Diwan tenait justement à oublier – et à faire oublier – la célèbre adaptation de Just Jaeckin en 1974. “Je n’ai jamais vu ce film en entier parce que j’avais l’impression qu’il ne s’adressait pas à moi”, balaie-t-elle d’ailleurs. On devine sans mal, en effet, la cible de ce long-métrage érotique qui a secoué la France des années 1970, dans lequel une jeune épouse explore sa sexualité lors d’un voyage à Bangkok, avec l’aval de son mari… Les coucheries s’enchaînent et débordent souvent jusqu’à l’abus tant la jeune femme est un objet plus qu’un sujet.
À lire aussi : Gaël Morel : "Je voulais des personnages séropositifs héroïques, beaux, désirables"
Dans son Emmanuelle version 2024, la réalisatrice, qui a adapté il y a trois ans avec succès L’Événement d’Annie Ernaux, voulait changer la donne, loin du regard masculin. Ici, Emmanuelle est en quête d’un désir qu’elle cherche à reconquérir. Envoyée à Hong Kong dans le cadre d’une mission professionnelle au sein d’un hôtel cinq étoiles, cette trentenaire célibataire s’y ouvre à diverses rencontres.
Regard féminin sur le film érotique
En dehors des modifications apportées au personnage et au décor, c’est surtout la façon d’émoustiller le public qui varie dans cette nouvelle mouture. “Je pense qu’un film érotique ne l’est pas du tout au moment des séquences sexuelles, défend la cinéaste. C’est comme un matériau un peu étrange où l’érotisme peut se trouver partout, quand elle caresse du velours ou quand le vent de la ville lui fouette le visage. Il faut qu’il y ait un jeu entre ce qui est montré et ce qui est caché. Une part de ton imaginaire doit être convoquée, contrairement à l’image pornographique qui t’impose et te dit tout. Nous, on fixe une limite et au-delà de ça, c’est à toi d’y projeter ton désir.”
Visage familier du cinéma queer et féministe depuis Portrait de la jeune fille en feu, Noémie Merlant est captivante dans la peau de ce personnage aventureux, dont les meilleures alliées sont des femmes. Comme lorsqu’elle se rapproche d’une jeune travailleuse du sexe chinoise qui l’aide à renouer avec les joies de la masturbation. “On voit qu’elle a accès à son propre plaisir et qu’elle sait s’écouter, explique Audrey Diwan. Elle fait office de guide, et apprend à Emmanuelle à rentrer à nouveau dans son corps.” Une héroïne queer ? “Évidemment”, rétorque la réalisatrice.
À lire aussi : "Langue étrangère" : deux ados lesbiennes dans le tumulte du monde
Crédit : Chantelouve – Rectangle Productions – Goodfellas – Pathé Films et Emmanuelle Estate Inc. – Manuel Moutier