[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'automne] Avec son look de rockeur et son cœur d'artichaut, Sébastien Delage continue de chanter les amours gays dans son dernier album, Baise platine, qu'il accompagne d'un podcast et d'un fanzine pour donner toute la voix possible à la commu.
Photographie : Yann Morrison pour têtu·
Le jour où on l'a pris en photo, Sébastien Delage avait les cheveux mouillés et s'était laissé pousser la barbe, cachant la moustache et les larges rouflaquettes qu'on lui connaît d'habitude. Sa boucle d'oreille et ses tatouages renforcent encore son côté musicien ténébreux et mélancolique qui joue du rock indé. De ce genre, Delage retient quelques inspirations très années 1990 et un modèle guitare-basse-batterie qu'il met au service d'une pop française post électro, et très gay, dont il a tiré en mai un nouvel album, Baise platine.
À lire aussi : Safia Nolin nous console de la fin du monde avec "UFO Religion"
"Quand mon groupe précédent, Hollydays, s'est séparé, je venais d'être diagnostiqué bipolaire et je me suis dit que c'était le moment où jamais de composer et surtout d'écrire en partant vraiment de moi", nous confie l'artiste de 38 ans. "J'me demande pourquoi j'raconte tout ça, cette histoire ne regarde que moi", chantait-il sur son premier album, Rien compris, sorti en 2023. Ses morceaux très personnels, "Chansons de baise", "Les Garçons de l'été" ou encore "Dale Cooper", ont vite trouvé leur public dans la communauté. "Ce sont les trois chansons dont les gens me parlent le plus, note-t-il. Avec « Rien compris » aussi, que j'ai écrite à partir des notes prises en sortant de chez le psy." Les paroles – "J'ai compris que je ne sais pas comment ne rien attendre des autres" – résonnent d'ailleurs particulièrement avec la façon de faire de la musique de Sébastien Delage : au départ un projet solo sur son propre label (Drama Queen), mais avec tellement d'apports extérieurs qu'il en devient une entreprise communautaire.
Ses chansons évoquent l'amour et le désir gay, le couple libre et les plans cul, les relations multiples, durables ou éphémères. "L'enregistrement de Baise platine était quasiment terminé, et je me suis dit que c'était vraiment trop hypocrite de parler de sexualité aujourd'hui sans aborder le chemsex", se souvient-il. Alors Sébastien Delage est allé chercher l'auteur L. Bigorra, prix du roman gay 2021 pour 28 jours : "On a travaillé ensemble sur six titres, dont « Karaokétamine ». Je suis très heureux qu'on l'ait fait, parce que je connais beaucoup de gens autour de moi qui galèrent avec le chemsex, explique le musicien. C'est important pour moi de collaborer avec des auteurs, déjà pour ne pas me répéter, et pour tout ce qu'ils peuvent apporter de leur côté. Je travaille en famille choisie, et j'ai l'impression qu'elle grandit au fil des projets. J'ai assez peu d'amis, mais j'aime travailler avec eux."
Montée d'amour
Pour accompagner la sortie de son disque, Sébastien Delage a là encore joué la carte du collectif en proposant un podcast de trois épisodes, "Désir queer et travail du sexe", "Nos premières fois et nos coming out" et "Chemsex" afin d'approfondir les thèmes de son album aux côtés de personnalités LGBTQI+ comme l'acteur porno François Sagat, l'artiste Tom de Montmartre (Lolla Wesh), la chanteuse Mélissa Laveau ou encore l'auteur et accompagnateur sexuel au Spot Beaumarchais Tim Madesclaire.
Construit autour des neuf morceaux de l'album, un fanzine en prolonge l'univers, associant les tablatures et textes des chansons avec des œuvres d'artistes de la commu : des photographies homoérotiques d'Hervé Lassïnce, de Jeytall ou de Benjamin Edeline, des séances de bondage de l'artiste brésilien Fabio Damotta, des collages de Jefferson Fouquet fantasmant un saint Sébastien-Delage…"Si je dois réfléchir à des outils promotionnels, autant faire des trucs qui m'amusent, soient pédagogiques et me fassent un peu sortir des circuits qui m'écoutent, estime-t-il. Par exemple, j'espère que le podcast sera écouté par des gens qui ne connaissent pas, voire qui n'aiment pas ma musique ! Parce que j'espère que ça va plus loin que ça."
Et c'est ce qui nous plaît aussi chez ce garçon, cette façon d'aller chercher les gens, de s'entourer d'artistes, de parler de lui et de la communauté gay à travers ses morceaux aux faux airs de Daho. Son titre "Lithium" n'est d'ailleurs que l'écho lointain et pédé de "Ma plus belle histoire d'amour" de Barbara : "Mais mon lithium c'est vous, n'aviez qu'à pas être taillés pour moi, me sortir de ma boucle, y'a que vous qui savez faire ça."
À lire aussi : "Je n'ai pas honte de ma sexualité" : le chanteur Khalid réagit à son outing