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portraitChristophe Martet, notre cricri du cœur

Par Nicolas Scheffer le 17/01/2025
Christophe Martet, une vie contre le sida.

[Portrait à retrouver dans le magazine têtu· de l'hiver] Figure de la lutte anti-sida, Christophe Martet a marqué notre histoire par ce cri du cœur lancé pour Act Up au ministre de la Santé lors du Sidaction en 1996 : "C'est quoi ce pays de merde ?!" Distingué par le prix de la mémoire LGBT+ lors de la Cérémonie des têtu· 2024, il a désormais arrêté le journalisme mais poursuit le combat pour l'éradication du VIH.

Photographie : Frankie & Nikki pour têtu·

À la fin de notre entretien, le regard de Christophe Martet se perd, sa voix se fait plus basse, introspective. "C'est drôle, je ne m'imaginais pas la vie que j'ai désormais à 65 ans. Me promener sans but un beau jour d'octobre, voir un film au cinéma, puis deux. Une vie simple, tranquille finalement. C'est drôle…" répète-t-il, méditatif. Quand il apprend, en 1985, qu'il est séropositif, il a 26 ans et aucun traitement n'existe. Cinq ans plus tard, les deux amis avec qui il avait fait son test, Laurent et Olivier, meurent du sida.

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Alors qu'il était journaliste au service économie de France 2, après un concours présenté "un peu par hasard" au Centre universitaire d'enseignement du journalisme de Strasbourg, il se met en disposition pendant près d'un an pour vivre avec une consœur à New York. "Dans cette période marquée par l'affaire du sang contaminé, j'avais besoin d'un changement radical, retrace-t-il. J'aimais déjà beaucoup New York, son énergie culturelle, notamment les théâtres de Broadway." Le trentenaire y découvre surtout Act Up et une nouvelle manière de militer à grands coups d'actions spectaculaires, les "zaps".

Zaps et coming out séropo

Comme, en plus de sa langue natale, ce Lyonnais d'origine parle couramment anglais mais aussi un peu italien et espagnol, Christophe Martet s'engage auprès de l'association dans la commission médias, où il s'occupe principalement des journalistes internationaux. Le 23 janvier 1991, Act Up organise une Journée du désespoir, avec un slogan : "De l'argent pour le sida, pas pour la guerre [du Golfe]." Après des actions dans tout New York, les militants envahissent la gare de Grand Central Terminal.

De retour à Paris, Christophe Martet se sent en décalage avec sa rédaction, focalisée sur la guerre en Irak et peu intéressée par le sida. Il rejoint la commission médias d'Act Up-Paris, fondée en 1989, pour lui donner le plus de visibilité possible. Comme lorsqu'en novembre 1991 les militants anti-sida perturbent le prêche de la cathédrale Notre-Dame pour dénoncer l'opposition de l'Église catholique au port du préservatif. "Avec ce zap, nous avions passé un cap dans la polémique et l'exposition : un sujet était prévu au Journal de 20h de France 2, la messe des Français !" se souvient-il. Il retrouve alors la même énergie militante qui l'avait tant marqué à New York.

En 1993, le journaliste réalise un documentaire sur le patchwork des noms, Nous sommes éternels, et écrit le livre de témoignages Les Combattants du sida, où les militants racontent l'incroyable nouveauté de cette épidémie : les patients deviennent acteurs de leur parcours de soin. C'est également à cette époque que, poussé par une gaffe de son petit ami, Christophe Martet trouve la force de faire son coming out séropo auprès de sa mère et de ses deux sœurs.

En 1995, fatigué par la maladie, il quitte la télévision, et peut dédier tout son temps à Act Up-Paris. L'année précédente, la mort de Cleews Vellay, figure emblématique de l'association dont Christophe était très proche – il a porté son cercueil lors de son enterrement –, le pousse à la présidence, "à un moment où l'on se demandait si Act Up ne devait pas s'éteindre".

En 1994, le témoignage de Cleews avait crevé l'écran lors du premier Sidaction. Deux ans plus tard, lors de la deuxième édition, Christophe Martet interpelle le ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy : "C'est quoi ce pays de merde ?!" s'égosille-t-il, furieux des expulsions d'étrangers atteints du VIH. La séquence, visionnée par des millions de téléspectateurs, crée des tensions entre les associations de lutte contre le VIH. "J'avais besoin d'être légitime et de montrer qu'Act Up a toujours des raisons d'être en colère, alors que le virus devenait un sujet discuté, analyse-t-il près de 30 ans plus tard. Je ne voulais pas qu'on soit une séquence émotion parmi d'autres."

Journaliste militant

En cette même année 1996, fin juillet, tous les spécialistes du sida sont à Vancouver, au Canada. L'heure est à l'euphorie : la trithérapie permet enfin de faire chuter à des taux infinitésimaux la quantité de virus dans l'organisme. Le mot de "guérison" est lâché. "On était tous perplexes, on pensait qu'on avait gagné, que six mois plus tard, on n'aurait plus besoin de traitement. Mais c'était plus compliqué que ça…" souffle Christophe Martet.

Il devient alors salarié d'Act Up, vulgarisant les articles scientifiques pour la revue Protocole. À partir de 1999, il anime le supplément de TÊTU dédié au VIH, TÊTU+, qui informe sur les traitements, les horaires de prise à respecter, les contre-indications, etc. "J'entrais dans un rôle totalement nouveau où, après leur avoir hurlé dessus, je devais collaborer avec des laboratoires qui participaient au financement du supplément", s'amuse-t-il. Il devient ensuite rédacteur en chef adjoint du magazine, avant de partir avec une partie de la rédaction créer le site communautaire Yagg en 2008. Dix ans plus tard, il prend la direction du site Komitid, qu'il quitte en mars 2024.

Dans sa jeunesse, Christophe Martet cruisait square Henri-IV, sur l'île de la Cité. En 2000, au cours d'un reportage en Afrique du Sud, il rencontre Solomon, un militant ougandais venu pour une conférence mondiale sur le sida : "L'homme de ma vie." Ce dernier lui donne envie de s'investir au sein de l'association LGBTQI+ pour la reconnaissance des droits à l'immigration et au séjour (Ardhis), où il milite depuis 2015. Il est élu en mars 2023 président de Vers Paris sans sida, qui vise l'éradication du VIH d'ici à 2030. Le combat d'une vie.

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