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histoireLes funérailles de Cleews Vellay, dernière manif de l'iconique président d'Act Up-Paris

Par Nicolas Scheffer le 29/03/2024
Enterrement de Cleews Vellay

[Article à lire dans notre dossier spécial "40 ans de lutte anti-sida" du magazine du printemps] Le 26 octobre 1994, Act Up-Paris rend hommage à son président Cleews Vellay en portant son cercueil plombé jusqu'au crématorium du Père-Lachaise, à grand renfort de cornes de brume.

La dernière fois que Cleews Vellay prend la plume dans les colonnes d’Action, la lettre mensuelle d’Act Up-Paris, c’est en août 1994 pour rendre hommage à Marc Maryns, son “meilleur ami” et “confident”, un militant qui “avait une vraie conscience politique de ce que doit être la lutte contre le sida : “Marc a été incinéré le 17 juin, veille de la Gay Pride. Dernier clin d’œil. Et comme il le souhaitait, ses cendres ont été dispersées à Tata Beach [surnom donné au quai des Tuileries, longtemps un lieu de cruising gay]. Un enterrement politique qui nous parle de visibilité homosexuelle.” Ces mots forment son testament : quelques semaines plus tard, trop malade pour diriger l’association, un masque à oxygène lui barrant le visage, Cleews laisse la présidence à Christophe Martet avant de mourir, le 18 octobre 1994, à l’âge de 30 ans. Avec lui disparaît le président le plus charismatique de “l’association de lutte contre le sida la plus hystérique”. Alors, sans perdre une seconde et fidèle à elle-même, Act Up fait du Act Up et s’agite pour lui offrir les funérailles qu’il souhaitait : festives, folles, et surtout éminemment politiques.

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Cleews voulait être “enterré furieusement”, faire de sa mort un moment marquant, à l’image des funérailles que la branche new-yorkaise avait réservées à l’un de ses militants, Mark Fisher, en 1992 : le 2 novembre, veille de l’élection présidentielle aux États-Unis, ses amis ont formé jusqu’au siège du Parti républicain une procession autour de son cercueil ouvert. C’est un tel “enterrement fier et défiant” que désirait Cleews, parfaitement conscient de sa fin proche, comme il le dit face caméra dans Portrait d’une présidente, documentaire-mémorial de Brigitte Tijou sorti en 1995 : “Je souhaite avoir un enterrement politique, mais je ne sais pas exactement dans quel cadre. (…) C’est une manière de prolonger le combat après, c’est continuer de porter la parole de la personne qui est décédée pour dire quelque chose.” Quelques mois avant sa mort, il envisage que son corps soit découpé en morceaux pour être jeté par-dessus les grilles de l’Élysée.

Un cortège funéraire, politique et festif

Le mercredi 26 octobre, au local exigu du Centre gay et lesbien du 3 rue Keller, inauguré six mois plus tôt, des centaines de militants se pressent jusqu’à bloquer la rue. Le cercueil de Cleews y est exposé, fermé et rendu hermétique par du plomb, comme il est d’usage pour les morts du sida, de même que la loi leur interdira jusqu’en 2017 tout soin funéraire. Il est recouvert d’un grand drapeau noir doté d’un triangle rose, symbole d’Act Up.

Il est 11h lorsqu’un cortège se forme pour accompagner le cercueil jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, à un peu plus d’un kilomètre, sous une pluie fine. La police laisse faire : Line Renaud, que Cleews avait éblouie quelques mois plus tôt lors du premier Sidaction, a appelé Jacques Chirac, alors maire de Paris, pour que la préfecture ne fasse pas de zèle devant cette procession non autorisée. “La sincérité de son combat était désarmante. La puissance symbolique de cette manifestation lui ressemblait bien”, se souvient-elle aujourd’hui.

Quelque 500 personnes – certains hommes se sont maquillés, en hommage à la “présidente” disparue – marchent, en larmes, et tiennent des pancartes : “Cleews Vellay et 25.000 personnes en France sont mortes du sida. Elles ont été tuées”, “Cleews avait 30 ans. Il attendait l’allocation adulte handicapée depuis un an”. Les minutes de silence sont ponctuées de coups de sifflets et du son des cornes de brume ; des cartes postales sont distribuées avec une photo du militant et un texte adressé au Premier ministre d’alors, Édouard Balladur : “Cette mort aurait pu être évitée si des efforts avaient été entrepris dans les domaines de la prévention, de la recherche et des soins. En vous obstinant dans cette politique indigente, en ne prenant pas la mesure de l’urgence, vous êtes responsable des morts d’aujourd’hui et de celles de demain.” “La mort de Clews est arrivée dans un moment où nous étions désespérés, rappelle Joëlle Bouchet, mère de Ludovic, militant d’Act Up mort en 2019, hémophile devenu séropositif à 16 ans après une transfusion de sang contaminé. On manifestait continuellement, on s’enchaînait aux ministères, on faisait de la prévention dans le métro… mais l’État ne bougeait absolument pas.”

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Dalida résonne au crématorium

Les pompes funèbres avaient bien proposé un corbillard pour déplacer le cercueil de Cleews, mais son “mari”, Philippe Labbey, et ses amis préféraient le porter à six pour passer l’entrée du cimetière entourés d’une haie d’honneur. “Il était très lourd. Ce n’était pas par héroïsme que nous l’avons porté jusqu’au crématorium, mais pour marquer notre attachement à notre ancien président, raconte Christophe Martet. Nous voulions une démonstration publique, qu’il soit présenté, voire exhibé à la face de tous et notamment des politiques pour qu’ils voient le résultat de leur inaction.” L’incinérateur est allumé à 15h, dans un crématorium bondé. “Les gens étaient partout et assis par terre”, se souvient Emmanuelle Cosse, présidente d’Act Up entre 1999 et 2001. Trente ans après l’enterrement, elle reste marquée par la minute de silence devant le mur des Fédérés.

“À l’époque, la crémation prenait beaucoup de temps. Donc pendant deux heures, des discours poignants se sont enchaînés”, ajoute Hervé Liffran, fondateur du Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CUARH), aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. L’assistance ne peut manquer de pouffer lorsque Dalida ou Jimmy Somerville, évidemment des choix de Cleews, résonnent dans le columbarium. “Nous commencions à avoir une certaine expertise des funérailles, se souvient Lalla Kowska Régnier, militante d’Act Up de la première heure. Les organiser nous permettait de ne pas sombrer dans le chagrin, mais il y avait aussi une forme d’intuition, de spontanéité.”

Comme beaucoup d’autres morts du sida, Cleews avait donné ses cendres à Act Up, pour qu’elles soient utilisées à bon escient – dans Portrait d’une présidente, il les imagine jetées à l’Assemblée nationale. Un jour de l’été 1995, alors qu’ils déjeunent ensemble dans le quartier Saint-Lazare, Philippe Labbey donne à Alain Volny Anne, membre de la commission Traitements et recherche d’Act Up, un tupperware contenant une petite partie des cendres du défunt. Cette boîte est dans la poche d’Alain lors d’une réunion au ministère de la Santé avec l’Agence du médicament concernant le prix du 3TC, une molécule du traitement anti-VIH : “Je monte sur l’estrade et je lance les cendres en l’air, se souvient le militant. Nous ne voulions pas les jeter au visage des gens qui par ailleurs n’étaient pas des ennemis.” Après la mort de Cleews, et en quête d’apaisement, Philippe a voyagé au Laos, où il a choisi de disperser le reste des cendres de son grand amour.

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Crédits : les illustrations et documents proviennent du fonds Cleews Vellay et Philippe Labbey, préservé au Conservatoire des archives et des mémoires LGBTQI de l'Académie gay et lesbienne.

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