Le long de l'étroit passage Sainte-Anne, à Paris, de nombreux artistes queers investissent les vitrines d'anciennes échoppes et invitent à une Flânerie au passage, du nom de l'exposition de cette galerie unique en son genre.
Avis aux "observateurs passionnés", la galerie d'art Au_Passage, située au 59 de la rue Sainte-Anne, à Paris, dans le 2e arrondissement, invite à flâner à deux pas du Palais-Royal, au cœur de l'ancien quartier gay de la capitale. Pour sa Flânerie au passage, elle a convié quelques artistes, auxquels se sont joints les membres de La Collective dans une deuxième partie intitulée Passe par ici, pause par là. Cette exposition multidisciplinaire prend place dans les vitrines d'anciennes boutiques de cette voie couverte entre la rue Sainte-Anne et le très chic passage Choiseul.
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Parmi les artistes de la Collective, des garçons bien connus de la communauté gay. On retrouve ainsi Arthur Gillet, dont nous avons présenté le travail en automne dernier sur son expérience de "coda", enfant entendant de parents sourds. Cette fois, il propose La révolution de Sabrina, une nouvelle œuvre sur soie prenant la forme d'un cercle éclairé où il tisse un parallèle entre les déplacements d'une femme autiste et la loi de l'attraction. Dans une veine proche, Ralf Marsault, dont une des photos est actuellement visible au Centre Pompidou dans l'exposition de Wolfgang Tillmans, Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait. Il propose ici une photographie inscrite sur une toile vieillie et parcourue de fils, Ligne d'erre II, La Resnière 2025, concept emprunté à l'éducateur Fernand Deligny qui eut l'idée de retranscrire les déplacements des autistes dont il avait la charge. "À l’encre de Chine, la ligne d’erre inscrit, en «trajets», ce qu’il en advient d’un enfant non parlant aux prises avec ces choses et ces manières d’être qui sont les nôtres", écrivait le travailleur social en 1975 dans ses Cahiers de l'immuable. On retrouve l'esthétique punk de l'artiste qui a réalisé un travail photographique conséquent sur les wagenburgen, campements berlinois où se construit un mode de vie alternatif.
Cofondateur de la revue queer Monstre et ancien directeur artistique de têtu·, Gilles Beaujard, à qui l'on doit aussi la maquette iconique de TÊTU Madame et dont les images faites pour la soirée KABP dans les années 2000 sont visibles à l'expo Clubbing du Grand Palais immersif, signe le design de plusieurs affiches de La Collective. Inspirées de la pensée queer et féministe de la philosophe lesbienne Sara Ahmed, et plus particulièrement de son texte Vandalisme queer, ces cinq œuvres se "concentrent sur la question de l'occupation de territoires verrouillés, interdits et genrés par le capitalisme". Il expose également deux photographies d'objets du quotidien – un plumeau arc-en-ciel et des tapis en mousse – détournés de leur fonction, où "il est question de tendresse empreinte de banal, et de gravité".
Je flânais, ne vous déplaise…
L'artiste Giancarlo Pirelli propose quant à lui deux dessins, collages digitaux rehaussés au graphite issus d'un travail en cours. Plus petites que les peintures qui ornent son atelier, ces œuvres intuitives évoquent en surface le cruising, et plus particulièrement ces "non-lieux où se déploient des personnages, des avatars, des archétypes, des formes aliénées qui négocient en permanence avec un pouvoir occulte".
L'artiste Michel Bayetto, qui a signé cet hiver une des plus belles expos queers de la saison, Foule A2, A3, personne au Love Letter de Bagnolet, présente à son tour La Chute de Phaeton, réalisée à la craie. Fils ou amant d'Apollon, selon les versions, Phaeton lui demande de conduire le char du soleil. Foudroyé par Zeus, il en perd le contrôle, chute et se tue. Allégorie des "flâneurs forcés" parcourant les rues, "incapables de maîtriser leurs désirs consuméristes" selon les mots de l'artiste, le tableau propose donc une critique du capitalisme à la craie sur fond de mythologie.
Vous pourrez également découvrir un portrait et des compositions de Virginie Trastour, les cagoules sur bois de Clarisse Tranchard, une série d'œuvres sur le handicap de morgan·e, les sculptures peintes de Shanta Rao, ou encore les peintures et collages de Béatrice Lussol… "Toi qui entre ici, retrouve ton espérance…", proclame un Plaidoyer pour une errance urbaine, texte composé par La Collective pour clore cette expo passagère. À vous de voir où vous mènera votre flânerie…
>> La Flânerie au passage, passage Saint-Anne, Paris 2e, jusqu'au 4 juillet. Prochaine performance (et visite du quartier Sainte-Anne par Jean-Luc Morel à 16h30) le dimanche 22 juin.
Crédit photo : Gilles Beaujard (Collages de Béatrice Lussol et photographies de Gilles Beaujard)