Marche des fiertés« Je me disais que j’étais malade, difforme. Aujourd’hui je suis fier » : Mischa, jeune homme intersexe, témoigne

Par Marion Chatelin le 13/10/2018
Les personnes intersexes demandent l'arrêt des mutilations

Mischa est un jeune homme intersexe et militant au sein du Collectif Intersexe et Allié.e.s (C.I.A). Il a décidé de prendre la parole, il y a maintenant quatre mois, pour raconter ce qu'il vit au quotidien. Entre les opérations effectuées sans son consentement, les examens forcés et les traitements hormonaux surdosés, Mischa tire la sonnette d'alarme. À l'occasion de la Journée internationale de sensibilisation intersexe, ce 26 octobre, dans le cadre de la Quinzaine de visibilité intersexe, il accepte de revenir pour TÊTU sur son combat.

« J'ai été plutôt épargné par rapport à d'autres personnes intersexes car je n'ai pas subi beaucoup d'interventions chirurgicales. Certaines en subissent parfois jusqu'à une trentaine réparties sur plusieurs années. Ma première opération a eu lieu avant mes trois ans, mais ce n'est pas ce que j'ai le plus mal vécu. C'est tout le reste. Les injonctions de la part du corps médical à me faire prendre des traitements lourds et angoissants, pour me conformer à une norme. La stigmatisation, la sensation d'être un objet de curiosité, à la fois pour les équipes médicales et pour la société toute entière. C'est ça qui est insupportable. 

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« Je me demande si mon zizi va pousser normalement »

Enfant, je ne comprenais pas ce qu'il se passait. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours dû passer des examens. J'en avais horreur. On venait me chercher à l'école primaire, devant toute ma classe, en plein cours, pour que j'aille les passer. J'avais des problèmes aux poumons à cette époque et ma famille me disait que c'était pour ça que je devais aller voir des médecins. J'ai subi des examens génitaux, mais aussi énormément d'échographies, notamment pour voir si j'avais des traces d'utérus.

Pendant les consultations, les médecins me disaient : « On va vérifier si tout va bien », « c'est juste pour voir si tu n'es pas malade ». Bref, que des termes généraux qui ne veulent rien dire. Mais moi, ça m'angoissais, je tremblais, parfois je vomissais et j'avais des problèmes d'incontinence. Surtout, je ne comprenais pas pourquoi mon frère et ma soeur n'avaient pas à subir tout ça. Je ne savais pas pourquoi j'étais malade, pourquoi je voyais tous ces médecins et c'était particulièrement difficile à gérer pour l'enfant que j'étais.

J'avais quand même conscience que je n'étais pas comme les autres. Je me confiais beaucoup dans des carnets que j'ai retrouvés il y a peu de temps. J'écrivais par exemple : « J'espère qu'un jour je vais être normal » ou « je me demande si mon zizi va pousser normalement ».

Un traitement pour « combler le déficit hormonal »

J'ai toujours pris des hormones et je l'ai très mal vécu. Adolescent, je pensais que c'était des hormones de croissance. Les médecins me disaient qu'il s'agissait de « combler le déficit hormonal ». Mais mon traitement n'était absolument pas adapté, j'étais en perpétuel surdosage. Il y a eu des conséquences physiques assez dramatiques. Je perdais mes cheveux, mon corps gonflait, j'avais des engourdissements et des courbatures partout. Je ne dormais plus la nuit.

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J'étais évidemment suivi par un endocrinologue qui a fini par constater le surdosage. Pour autant, il n'a rien fait pour que cela change et s'est contenté de me dire : « pour l'instant on reste comme ça et on verra bien comment ça évolue ! » Il a fallu que j'insiste longuement, pour finalement faire baisser ce dosage qui me rendait complètement malade. 

Être intersexe, une « malédiction »

Adolescent, je n'avais pas encore connaissance du mot « intersexe » pour définir ce que j'étais. À l'âge de 13 ans, ma mère m'a montré un documentaire sur les personnes intersexuées qui passait sur Arte. C'était la première fois que j'étais confronté à des gens comme moi. Je me suis dit que je n'étais pas seul, mais je croyais dur comme fer qu'on était à peine une petite dizaine en France.

Je me disais que j'étais malade, handicapé, difforme. Je m'auto-stigmatisais. C'était une malédiction. Je haïssais mon corps viscéralement, et je ne me posais même pas la question de savoir pourquoi je le haïssais tant.

« Je subissais ce que les médecins me faisaient, sans broncher. »

À 18 ans, j'ai fait des recherches sur internet et j'ai fini par tomber sur des témoignages de personnes intersexes. C'est à ce moment-là que j'ai compris. J'ai enfin mis un mot sur ce que j'étais. Mais je suis resté dans le déni total, je me suis dit que si je cachais tout ça, rien n'allait m'atteindre. Je mentais à mes amis, je n'en parlais pas avec mes parents avec qui j'avais des rapports très tendus. Je sentais que je dégoutais mon père. Et le pire, c'est que je subissais ce que les médecins me faisaient, sans broncher.

Le discours oppressif des médecins

Les médecins ont une grande part de responsabilité dans le mal-être des personnes intersexes, dans mon mal-être. Le problème est simple : tout ce qui relève du médical est par définition pour notre bien. Les médecins sont là pour nous soigner et je trouve qu'il y a une dimension quasi sacrée sur ce sujet dans notre société. Tous sont en position de supériorité par rapport à nous, ils ont une autorité morale qui leur est conférée par leur statut.

C'est précisément pour cela que je n'ai pas remis en cause le corps médical et que je me suis plié à leur bon vouloir. Avec du recul, je me rend compte de leur discours oppressif et de l'impact que ça a eu sur moi. Des injonctions, prononcées sous couvert de bienveillance :

« Il faut choisir, tu ne peux pas rester entre les deux. Et puis, comment tu vas faire pour trouver un travail ? (...) Il n'y a que des hommes et des femmes, il faut choisir son camp », me disait-on.

Autant de phrases d'une violence extrême qui m'ont fait comprendre qu'il fallait que je sois « rectifié », pour rentrer dans les normes imposées par la société, pour qu'on m'accepte enfin.

« Des gens comme moi existent »

Tout a basculé lorsqu'un jour, j'ai subi une énième provocation verbale. Car à chaque fois que je rencontre quelqu'un, j'ai automatiquement des remarques sur mon âge, sur le fait que je soit menu, sur mon aspect androgyne... Je me suis rendu compte que tout cela me pesait énormément et qu'il fallait que ça sorte. Que le reste du monde soit au courant que des gens comme moi existent.

Les personnes intersexes vivent leur intersexuation dans le secret. On nous apprend à la cacher, parce que la société ne va pas comprendre, parce que la société est binaire, basée sur deux sexes : le sexe masculin et le sexe féminin.

Mais moi, je ne voulais plus me cacher. Alors je me suis inscrit sur Twitter, sans avoir l'idée de devenir militant. J'ai commencé par mettre intersexe dans ma description, avant de me rapprocher d'une association, à Tours, qui m'a proposé de participer à la Pride. C'était en juin dernier. J'étais le seul intersexe, c'était très difficile. J'ai enchaîné avec la Marche des fiertés parisienne, idem. Le choc a été dur à encaisser, je pensais sincèrement trouver des alliés.

J'ai réussi à marcher, seul, avec ma pancarte. J'entendais des propos horribles : « Mais c'est quoi ça, c'est pas LGBT ?! », ou encore « Ce sont ceux qui ont une bite et une chatte, c'est les hermaphrodites ! ». J'ai versé quelques larmes. J'étais surtout profondément en colère. 

« Je n'ai plus honte d'être intersexe »

La visibilité est venue avant mon désir d'être visible. De tweet en tweet, j'ai fini par me rendre compte que j'étais l'une des rares personnes intersexe française à en parler ouvertement, à répondre aux questions, à vouloir faire de la pédagogie. In fine, je suis devenu militant malgré moi.

« Je suis fier. Fier d'avoir un impact, à ma mesure, sur l'évolution des mentalités. Fier d'être fier. Fier de savoir me défendre. »

D'une certaine manière, cela contribue à l'humanisation de l'intersexuation. Ça a aussi beaucoup changé ma vie sociale. Je ne parlais jamais de moi et mes amis me le reprochaient souvent, ils me trouvaient trop mystérieux, secret. À partir du moment où je me suis ouvert aux gens, la honte s'est évaporée. Aujourd'hui je peux dire que je n'ai plus honte d'être intersexe.

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Je suis fier. Fier d'avoir un impact, à ma mesure, sur l'évolution des mentalités. Fier d'être fier. Fier de savoir me défendre.

Ça a été une démarche d'affirmation de soi d'abord, avant d'être collective. J'ai rejoint le Collectif Intersexe et Allié.e.s (C.I.A) il y a trois mois. Je me suis rendu compte qu'on mesurait difficilement à quel point le militantisme est un travail de l'ombre essentiel. Et il y a urgence !

À l’heure ou nous parlons, des enfants continuent d’être opérés, traités et mutilés. Pour nous, le mal a été fait. Avec le C.I.A on se bat pour les enfants qui naissent, pour les jeunes adolescents, pour ne pas qu'ils vivent ce qu'on a vécu. La priorité, et c'est la raison pour laquelle je vais marcher à l'Existrans, c'est de montrer qu'on existe. De montrer que les violences médicales et sociales, existent. Montrer que nous sommes des corps et des êtres sains qui n’ont pas besoin d’être soignés. 

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Ce témoignage, publié initialement le 13 octobre 2018 à l'occasion de l'Existrans, a été mis à jour le 26 octobre 2018 pour la Journée internationale de sensibilisation intersexe, dans le cadre de la Quinzaine de visibilité intersexe.

Crédit photo : Mischa.