"Un carnaval gay pour s'amuser comme des folles." Tel était le titre choisi par "Nice Matin" pour un article revenant sur le Lou Queernaval, premier carnaval gay de France, qui a eu lieu à Nice le 24 février. Un titre critiqué par de nombreux militants LGBT, qui révèle surtout la "follophobie" de la communauté, aux yeux d'Erwann Le Hô, président du centre LGBT Côte d'Azur. Il s'explique dans une tribune pour TÊTU.
"Lundi 25 février, au lendemain du retour de Lou Queernaval, le premier carnaval gay de France à Nice, un article de Nice Matin revient sur cette belle soirée et fait le tour du web. Ce dernier s’intitulait « Un carnaval gay pour s’amuser comme des folles ». Une polémique est née. Certains twittos ou militants associatifs, pour la plupart basés à Paris, prenant la parole pour dénoncer l’« homophobie" de ce titre.
Les discours #homophobes tenus sous couvert « dâhumour » produisent et légitiment les moqueries et la violence à lâégard des personnes #LGBT notamment quand ils sont diffusés par la presse. Comptez-vous un jour interroger vos propres préjugés @Nice_Matin @DenisCarreaux ? pic.twitter.com/pVi7kCiJPO
— Joël Deumier (@joeldeumier) February 25, 2019
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Une polémique inutile
L’impératif fait à chacun.e de devoir sur-réagir sur les réseaux sociaux le plus rapidement possible, et en 280 signes s’il vous plaît, est épuisant et rend impossible le débat d’idées apaisé. Je déplore que certain.e.s s’y engouffrent. Je refuse, pour ma part et la plupart du temps, de rentrer dans cette course sans fin.
La vérité est souvent faite de nuances. Un titre pareil est-il trop facile ? Calibré pour être accrocheur ? On a le droit de le penser, oui.
Mais si l'internaute pouvait dépasser ses habitudes, il découvrirait que derrière le titre, il y a un article. Et que cet article était bienveillant et retranscrivait assez honnêtement cette soirée. La journaliste qui l'a signé a toujours défendu la légitimité d’un carnaval queer et gay à Nice. Les médias locaux couvrent régulièrement, et avec professionnalisme, les activités et manifestations de la communauté LGBT niçoise et azuréenne.
Lou Queernaval est un bel événement familial et populaire, organisé par des bénévoles de la communauté LGBT locale. J'ajoute que le transformisme est profondément lié aux cultures LGBT : accueillir dans cet événement des artistes qui le font vivre et le popularisent, est une fierté pour les membres du comité d'organisation dont je fais partie.
Que certain.e.s qui n'ont pas en tête ces éléments, qui ne connaissent pas Nice et qui n’étaient pas au Lou Queernaval, parlent d’homophobie, me paraît donc un brin présomptueux et inutilement polémique à mon sens.
Mais l’essentiel, pour moi, n’est pas là.
Des réactions follophobes
Ce qui me questionne, et ce qui ressort à mon sens de ce moment de débat un peu vif, est la question du respect de la diversité au sein même de notre communauté LGBT. De la manière dont nous vivons publiquement notre orientation sexuelle, notre identité de genre, comment nous concilions les marqueurs habituels de la masculinité et de la féminité.
Et si le fond de cette polémique illustrait surtout à quel point les LGBT, mais surtout les gays, ont du mal à concevoir qu’il y ait de multiples façons de vivre son orientation sexuelle au quotidien ?
« Je suis gay, je ne suis pas folle », « je suis pas une femme, j’ai pas envie de leur ressembler », « je suis gay mais j’ai des couilles », « je suis un mec avant tout », « avec ça, c’est normal qu’il y ait une montée de l’homophobie », « les folles, ça donne une mauvaise image »... Voilà un florilège des réactions trouvées çà et là sous les articles et publications sur le sujet, visant les "folles" ou les artistes transformistes. Des propos qui rejoignent des formules violentes, affichées trop souvent par certains gays sur les applications de rencontres, du type « masc for masc », « folles s’abstenir »…
"Je me définis comme queer et folle"
Je suis attaché de presse de profession. C’est un travail qui me passionne. J’évolue dans la fonction publique, et notamment auprès de chefs d’entreprise, dans un univers plutôt normé. Je pense être quelqu’un de pondéré et de plutôt compétent. Je suis un garçon fluet. Au quotidien, je porte des chemises blanches, des pantalons, une moustache. Tout cela me convient bien et je suis heureux dans mon équipe.
Je ne sais pas ce que « faire trop gay » veut dire et je m’en moque.
Je me définis comme queer et folle. Sans me cacher, je m'autorise aussi à sortir de ces normes masculines classiques, à avoir un sac à main, à me maquiller parfois et à porter des talons, pendant le carnaval et à d’autres moments de l’année. Je sais que j’ai la possibilité de le faire, c’est une chance. Et je ne vois pas au nom de quoi je devrais étouffer ces envies qui ne dérangent et n’affectent a priori personne.
Non, je ne porte pas à moi seul l’image d’une communauté toute entière.
Non, je n’ai pas à me conformer à tout prix à une vision rassurante et confortable de l’homosexuel lisse, sortable et socialement acceptable.
Je me bats pour que chacun-e puisse être libre de sâaffranchir de ces cases et de vivre ses choix. Ne jugeons pas nos nuances. Approprions nous avec #fierté ces mots que les haineux veulent utiliser contre nous pour nous affirmer. Pédé, folle, gouine, travelo...OUI ! ET ALORS ? pic.twitter.com/bdeHUXGxIH
— Erwann LE HÃ (@erwannleho) February 26, 2019
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"Pas qu’une seule façon d’être homme"
Je suis président du centre LGBT Côte d’Azur. A Nice et dans les Alpes-Maritimes, avec les militant.e.s locaux, nous oeuvrons pour que chacun.e, dans notre communauté LGBT et surtout dans la société, puisse s’affranchir des stéréotypes de genre et disposer de son corps et de sa vie, en toute liberté et sans entrave.
Il n’y a pas qu’une seule façon d’être homme. Quand Bilal Hassani s’affiche avec perruque et rouge à lèvres et remporte un succès populaire, quand ce lycéen d’Albi va en cours les yeux maquillés, quand l’acteur noir-américain Billy Porter arrive en robe-smoking à la cérémonie des Oscars, quand votre neveu ou le fils du voisin met des paillettes ou du vernis à ongle avant de sortir s’amuser… c’est tout un étau normatif qui se desserre autour de TOUS les hommes.
"Laissez les folles être ce qu’elles sont"
Messieurs, vous ne le savez pas, mais les queers vous ouvrent les yeux sur une liberté : celle de ne plus rentrer dans des codes normés si, un jour, pour une raison ou pour une autre, vous ne le souhaitez plus ou ne le pouvez plus.
Donc les garçons, soyez ce que vous êtes et épanouissez-vous. Mais laissez donc les queers et les folles être ce qu’elles sont. Et laissez-les travailler. C'est simple : cela s'appelle la bienveillance. C'est un des plus beaux outils que je connaisse pour apaiser la société.
Il y a trop d’obscurantistes de tous poils en face de nous, pour que nous perdions de l’énergie à nous juger et nous exclure les un.e.s les autres au sein de la communauté LGBT. Au contraire, sachons habilement, et avec malice, nous approprier ces mots que les haineux veulent utiliser contre nous, comme nous avons toujours su le faire par le passé, pour mieux les contrer, désamorcer leurs attaques et affirmer que nous sommes là, dignes. Et qu’il va falloir faire avec.
Pédé, folle, tapette, tantouze, travelo, gouine... Oui ! Et alors ?"
Oui, je me définis comme #queer et comme "folle. Tous les jours, je porte chemises, pantalons, moustache. Mais je m'autorise aussi à sortir de ces normes masculines, à me maquiller et à porter des talons, pendant Carnaval et toute l'année. Viril, si je veux, quand je veux. pic.twitter.com/tBBg650QOm
— Erwann LE HÃ (@erwannleho) February 26, 2019
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Crédits photos : Stéphane Bare - Frank de Saint Claude - Tommy Domingos - Lou Queernaval.