modeGus Kenworthy : "Le coming out est l’une des meilleures armes contre l’homophobie"

Par Anthony Vincent le 28/06/2019
Gus Kenworthy

A l'occasion de sa collaboration avec Polo Ralph Lauren pour la Pride 2019, le skieur Gus Kenworthy nous a accordé une interview exclusive. 

Jeudi 27 juin. Comme si la canicule ne suffisait pas, on a décroché le téléphone pour papoter avec Gus Kenworthy. Le skieur acrobatique américain de 28 ans, médaillé d’argent aux Jeux olympiques d'hiver de 2014, est l'un des sportifs ouvertement gays les plus célèbres (et sexy !) de la planète. C'est aussi l'un des plus attachants. Qu'il embrasse son boyfriend en bas des pistes de Pyeongchang ou lorsqu'il fait des blagues sur instagram, Gus semble avoir tout compris à internet.

Pour la Pride 2019, le skieur a accepté de collaborer avec Polo Ralph Lauren pour une collection spéciale. Si les collections capsules pour le mois des fiertés s’enchaînent et se ressemblent, celle de la maison américaine se démarque en reversant les bénéfices de la vente à la Stonewall Community Foundation, une association qui vient en aide aux personnes LGBT+. On a donc parlé de mode, de coming out, de fierté, et de pinkwashing avec le plus affolant des sportifs.

Comment est née cette collaboration avec Ralph Lauren ? 

J’ai commencé à travailler avec eux pour les Jeux Olympiques de 2018. Ils m’ont beaucoup soutenu en tant que membre de l’équipe américaine des JO, notamment en signant les tenues pour les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux. Ils se réjouissaient que je sois un sportif ouvertement gay ! Après PyeongChang, ils m’ont habillé pour d’autres événements et des tapis rouges. Alors quand ils m’ont proposé d’être le visage de cette collection capsule pour la Pride, c’était naturel et authentique d’accepter !

Gus Kenworthy : "Le coming out est l’une des meilleures armes contre l’homophobie"

Avant de faire ton coming-out, craignais-tu de perdre des sponsors ou au contraire de devenir ensuite l’égérie idéale pour des opérations de pinkwashing ?

Avant de sortir du placard, j'avais peur que plus aucune marque ne veuille travailler avec moi... Je pensais qu’être gay allait à l’encontre de ce qui pouvait être considéré comme "cool". Donc qu’une marque comme Ralph Lauren veuille justement célébrer cette facette de ma personnalité, c’est génial ! Il ne s’agit en aucun cas de pinkwashing puisque j’entretiens une relation sincère avec cette marque depuis longtemps, et que les bénéfices de la vente du t-shirt seront reversés à la Stonewall Community Foundation. C’était très important pour moi. 

Quelle relation as-tu avec la mode ?

C’est primordial pour l’expression de soi. Que vous soyez à fond dedans ou complètement indifférent, vous êtes toujours dans une représentation de vous-même, de ce que vous trouvez beau, confortable, ou élégant. Que vous le vouliez ou non. Personnellement, j’adore m’exprimer à travers la mode. D’ailleurs, j’achète beaucoup de mes basiques chez Ralph Lauren, et je les mixe facilement avec d’autres marques. 

Et quelle relation entretiens-tu avec ton corps ?

Comme tout le monde, j’ai mes insécurités, mes doutes, et mes complexes. Mon corps est mon outil de travail, donc j’ai intérêt à bien m’entendre avec ! Il doit être exactement là où j’ai besoin qu’il soit pour ma pratique sportive. J’ai appris à être heureux et reconnaissant qu’il ne m’ait pas abandonné. Surtout en tant qu’homme gay : la société fait peser énormément de pression sur nos corps ! On finit souvent par intérioriser cette pression, à devoir se battre contre la honte d’être soi, d’être ou ne pas être dans le placard, ou de donner une bonne image de notre communauté. 

On pourrait te prendre pour une gym queen à la masculinité menaçante mais ça n'a pas l'air d'être le cas. Comment t’entends-tu avec ton genre ? 

Déjà, rappelons que la masculinité toxique ne fait de bien à personne. J’imagine quelle image mon corps seul peut renvoyer de moi, alors que je n’ai pas l’impression d’être particulièrement masculin ou féminin. Je suis simplement moi-même et navigue aisément dans différents niveaux du spectre qu’est le genre en fonction des moments. Oui, je passe beaucoup de temps à la gym, parce que c’est mon métier, mais je ne suis pas une gym queen pour autant (rires).

A LIRE AUSSI >>>> Gus Kenworthy se confie sur son homosexualité et c’est très touchant

As-tu l’impression d’être meilleur dans ta discipline depuis que tu es out

En fait, je me sens beaucoup mieux dans tous les aspects de ma vie, y compris le sport, oui. Avant, je pouvais rarement être moi-même, je devais toujours dresser des barrières, réfléchir au masque que je me forçais à porter dans l’espoir d’être mieux accepté. Maintenant, je suis toujours moi-même, et c’est un soulagement qui m’a libéré de beaucoup de stress et d’anxiété qui nuisaient sûrement à mes performances. 

"Plus on aura d’athlètes out, plus on pourra combattre les préjugés et montrer la pluralité des réalités."

Penses-tu que le sport soit un milieu plus homophobe que d’autres ? 

Oui, sans doute un peu plus. Rien que dans le langage employé, surtout dans les vestiaires. Je pense notamment à cette expression “Boys will be boys” [qu’on pourrait traduire par “les garçons se comporteront toujours comme des garçons, ndlr] qui me dérange beaucoup car elles renforcent les stéréotypes de genre. J’ai croisé beaucoup de personnes queer qui m’ont confié avoir longtemps pratiqué du sport mais qu’ils avaient fini par abandonner à contre-coeur justement à cause de l’homophobie ambiante. J’aurais moi-même pu abandonner, mais je suis si heureux d’avoir persévéré car je peux ainsi changer les représentations. C’est l’une des meilleures armes contre l’homophobie. Plus on aura d’athlètes out, plus on pourra combattre les préjugés et montrer la pluralité des réalités. 

A LIRE AUSSI >>>> Et pour la première fois, un athlète embrasse son copain aux Jeux olympiques

Avec ta carrière sportive, ton baiser télé-diffusé en Corée du Sud en 2018 avec ton compagnon ou ta bromance avec Adam Rippon très documentée sur Instagram, tu fais beaucoup pour la visibilité ! As-tu parfois l’impression d’être hypersexualisé ?

Aux Jeux de Sotchi, je n’avais pas osé le faire, mais à l'issue de la compétition olympique de Pyeongchang, j’étais si heureux de retrouver mon compagnon Matthew Wilkas en bas de la piste que je l’ai embrassé. Le fait que ce baiser soit diffusé partout dans le monde, y compris dans des pays qui interdisent l’homosexualité, l’a rendu encore plus inestimable. Quant à Adam Rippon, notre amitié m’est très précieuse car nous avons tant d’aspects de nos vies en commun ! Quand on est ensemble, ça fait des étincelles. C’est vrai que le grand public peut avoir tendance à hypersexualiser le comportement des hommes gays, mais il n’y a vraiment rien de sexuel entre nous. Il est vraiment comme ma soeur (rires) ! 

A LIRE AUSSI >>>> Gus Kenworthy intègre le casting d’une série à succès

D’ailleurs, ça fait quoi de jouer le petit-ami de l’actrice Emma Roberts dans la série American Horror Story ? 

Ce n’est pas très commun de voir des acteurs gay et out jouer des personnages hétéros. Au contraire, les acteurs qui ont fait leur coming-out ont souvent l’impression d’avoir moins d’opportunités de rôle. Donc je me sens très heureux d’avoir cette opportunité, surtout sous l’oeil de Ryan Murphy [co-créateur de la série, ndlr] qui est un génie queer !

"Si j’avais su combien ma famille, mon équipe, et le monde m’accepterait, je serai sorti du placard plus tôt."

Si tu pouvais voyager dans le temps, quel conseil donnerais-tu au jeune Gus ? Et à un athlète encore dans le placard qui hésiterait à en sortir ? 

Je raconterais à mon "moi jeune" quel point le monde lui sera ouvert bientôt, surtout une fois qu’il aura dit sa vérité. J’ai longtemps cru que jamais personne ne pourrait m’aimer s’il savait qui j’étais au fond. Cela m’a causé beaucoup d’angoisse. Mais si j’avais su combien ma famille, mon équipe, et le monde m’accepterait, je serai sorti du placard plus tôt.

En revanche, je n’ai pas vraiment de conseil à donner à des athlètes hésitant à sortir du placard. Parce que je sais combien cela peut être difficile et effrayant et je sais combien je peux être privilégié. Or, ce n’est pas le cas de chacun qui doit prendre en considération toutes les intersectionnalités qui entrent en compte [genre, origine, famille, conditions matérielles, ndlr]. Tous les parcours sont uniques. Mais je peux affirmer combien on se sent plus heureux une fois out.

Gus Kenworthy : "Le coming out est l’une des meilleures armes contre l’homophobie"

 

Photos: Polo Ralph Lauren