Querelle, le deuxième roman de Kevin Lambert, 27 ans, a paru le 23 août aux éditions du Nouvel Attila. Une "fiction syndicale" autour d’un colosse jouisseur et ténébreux. Sauve qui peut.
Querelle est ouvrier à la scierie du Lac Saint-Jean, dans le nord canadien, où une grève éclate. Querelle est beau, comme « tous les garçons qui entrent dans la chambre de Querelle, qui font la queue pour se faire enculer, il les enfile sur un collier, le beau collier de jeunes garçons qu’il porte à son cou comme nos prêtres portent leurs chapelets ou nos patronnes leurs colliers de perles. »
Le ton est donné : il y a le sexe pour tromper l’ennui et Querelle est bien bâti, on parle de lui dans les couloirs du lycée, sur Grindr et ailleurs. Le sexe, Kevin Lambert en voulait et pas qu’un peu. « D’abord parce que je trouve qu’on élude beaucoup de questions et de problèmes lorsque l’on questionne l’homophobie ou que l’on défend la 'tolérance' sans considérer l’aspect pratique et sexuel de l’homosexualité, ou plus largement des existences queer, nous explique l’auteur. Despentes le dit bien : le porno a un potentiel politique fort, en ce que la réaction qu’il produit est viscérale, et non contrôlée par nos préconceptions rationnelles. » Le sexe comme arme de la lutte des classes. « Je me souviens que, plus jeune, je voyais ces gens fâchés, des grévistes, en allant à l’école ou aux nouvelles du soir à la télé. Je ne comprenais pas les raisons de leur colère. J’ai écrit Querelle pour tenter d’élucider cet affect brut, fort et sincère dont j’étais témoin. »
Inspiré par Genet
Quand un éditeur et même plusieurs vous parlent eux-mêmes d’un jeune écrivain, deux hypothèses : soit c’est louche (le livre est tellement nul qu’ils craignent qu’aucun critique n’en parle, si ce n’est pire), soit c’est un signe (le livre est tellement bon qu’ils craignent que l’on ne passe à côté). Vous me voyez venir : il s’agit ici de la deuxième option, formulée en termes si laudateurs que l’on aurait affaire à un prodige. Et ils n’ont pas tort, dans le fond, ces éditeurs : le texte impressionne par la qualité d’une prose pourtant si jeune.
Sélectionné pour le prix littéraire du Monde et pour le prix Sade (remis le 14 septembre), Lambert a Jean Genet derrière lui, l’auteur de Querelle de Brest, paru en 1947 chez Gallimard. Dans ce livre, un viril marin, Georges Querelle, séduisait le capitaine d’un bateau. Il se donnait à Nono, le patron d’un bordel de la ville, à un policier, à un assassin. « Je me suis aussi inspiré de la langue de Genet, de la manière qu’il a de mêler oralité et langue très écrite dans une phrase fortement ouvragée. »
"Littérature du crachat"
Le Querelle du Québec rappelle aussi les personnages d’Alain Guiraudie, le réalisateur de L’Inconnu du lac et l’auteur d’Ici commence la nuit (P.O.L), lauréat du même prix Sade en 2014. Guiraudie qui disait dans Les Inrocks cette année-là : « J’avais envie d’être poétique avec du trivial et du caca, d’aborder la dialectique des grands sentiments et des excréments, et de faire triompher l’amour. » Y avait-il plus noble dessein que de rendre à la laideur toute sa grandeur ? Invité parfois à donner des conférences, Lambert a été libraire et chroniqueur à la radio ; il est aujourd’hui doctorant en création littéraire à Montréal, diplômé d’un master de cette discipline qui n’a rien de sale au sein de l’Université anglo-saxonne où l’on pense que l’écriture n’est pas qu’un don, mais un travail aussi.
C’est au cours de ses études qu’est né Querelle, quand il travaillait sur la théorie queer et l’oeuvre de l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu, figure littéraire de l’indépendantisme québécois. Chez Lambert surtout, il y a Hervé Guibert et Christine Angot en haut de la pile, des gens « courageux » qui sont allés loin dans l’écriture du réalisme, plus loin que ce que lui estimait pouvoir faire. Lui qui aime « la littérature du crachat ». Le crachat ou la « brumisation des mots d’amour », disait Guibert.