associationAvec ce document, l'Etat entend améliorer la vie des personnes trans

Par Youen Tanguy le 19/11/2019
trans

[EXCLU TÊTU] - A l'occasion de la journée du souvenir trans, la Dilcrah publie un document institutionnel sur le respect des droits des personnes trans. Les assos se réjouissent, même s'il manque quelques éléments...

Comment bien s'adresser à une personne trans ? Que faire si l'on est témoin d'une agression transphobe ?... : la Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT) va rendre public ce mercredi 20 novembre une fiche pratique de douze pages visant à "présenter les droits des personnes trans afin de garantir leur respect", que TÊTU dévoile en exclusivité.

Ce document, réalisé en partenariat avec des associations et des chercheurs, est publié à l'occasion de la journée du souvenir trans (TDOR). Il sera destiné à "toutes les administrations ainsi qu'aux écoles de service public", peut-on lire en préambule.

Un document destiné "à tous les secteurs"

"L’objectif est d’en faire une véritable ressource pédagogique sur laquelle s’appuyer pour les écoles, les administrations...,détaille à TÊTU la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations Marlène Schiappa. C’est également un outil de sensibilisation."

Et d'ajouter : "L’idée est d’accompagner ce guide des bonnes pratiques par une véritable formation pour les agents, comme les élèves d’écoles de police et de gendarmerie ou lors de réunions de travail dans les ministères."

A LIRE AUSSI : Si vous avez un projet pour lutter contre les LGBTphobies, ceci peut vous aider

Une fiche en trois parties

La première partie du document définit la transidentité, en rappelant par exemple pourquoi il faut éviter d'utiliser le terme "transsexuel" ou la différence entre les personnes trans et travesties ou intersexes. "La transphobie (...) peut prendre de multiples formes, du mégenrage* aux violences physiques ou sexuelles voire le meurtre, en passant par les moqueries, les insultes, la diffamation, les menaces, l’outing*, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, le harcèlement ou les discriminations", peut-on notamment lire.

Des informations souvent accompagnées d'une note de bas de page afin de définir certains termes ou de rappeler les sanctions pénales encourues.

A LIRE AUSSI : « C’est une habitude de se faire insulter et frapper » : 400 personnes dénoncent la transphobie à Paris

La seconde partie explique les "difficultés rencontrées par les personnes trans", comme la transphobie, le parcours de transition ou encore le changement du prénom et du sexe à l'état civil. "La demande d'une transition sociale effective impose une période de discordance entre l’identité perçue de la personne et ses papiers, ce qui peut l’exposer à des réactions transphobes", alerte par exemple le texte.

La Dilcrah énumère ensuite des éléments pour "créer un environnement inclusif pour les personnes trans". Il y est par exemple rappelé des éléments de base sur l'utilisation du prénom d'usage ou des pronoms, la problématique des lieux non-mixtes ou encore la mention du sexe. La dernière partie du document donne les contacts des associations spécialisées.

"Ne pas être outillé peut parfois conduire à des discriminations transphobes aux conséquences gravissimes, nous ne devons rien laisser passer", estime auprès de TÊTU Marlène Schiappa.

Une bonne initiative, mais...

Mais cette fiche va-t-elle assez loin ? Pose-t-elle les bonnes questions ? Suffira-t-elle a faire bouger les choses ? TÊTU a demandé l'avis de trois associations spécialistes de ces questions : l'ANT - qui a participé à l'écriture du document -, OUTrans et Acceptess-T.

Globalement, elles ont toutes salué une bonne initiative et des points positifs. "Le document est assez clair et simple d’aspect pour des gens qui n'auraient aucune idée de ce qu’est la transidentité, reconnait Aaron de Outrans. Ça pose un certain nombre de choses très basiques, comme le fait que la civilité n’a aucune valeur légale."

Aaron se dit toutefois "sceptique" sur plusieurs passages du document. "Concernant le changement d'état civil en mairie, il est dommage de ne pas rappeler qu'il perdure de grosses disparités sur le territoire national", cite-t-il en exemple, parmi d'autres.

"Où est la lutte contre les discriminations si l'Etat ne se montre pas exemplaire par des actes ?"

Tout en se félicitant que la Dilcrah s'empare du sujet, Delphine Ravisé-Giard, présidente de l'Association nationale transgenre (ANT), regrette que certaines de ses remarques n'aient pas été prises en compte. "Quand on fait un document institutionnel, il faut éviter d’avoir des approximations, explique-t-elle à TÊTU. 

Elle a été particulièrement interpellée par un paragraphe érigeant la "bienveillance et le pragmatisme comme règle d'or (...) lorsque les conditions matérielles ne permettent pas de mettre les recommandations" de la Dilcrah. "On aurait attendu plus de directives et d'obligations concernant le respect des droits des personnes transgenres de la part d'un organisme institutionnel, souffle-t-elle. On marche à petit pas de loup pour ne pas froisser les susceptibilités".

A LIRE AUSSI : Pour les personnes trans’ et intersexuées, la loi bioéthique pourrait créer de nouvelles inégalités

Autre critique  : Aaron regrette l'absence "des personnes trans les plus précaires, comme les travailleuses et travailleurs du sexe, les détenu.e.s ou encore les personnes sans-papiers". "C'est dommage de mettre autant d'énergie dans une fiche et d'avoir des choses manquantes."

Un avis partagé par Diane, de l'association Acceptess-T, qui évoque également l'exclusion des personnes trans de la PMA. "Le document a des points positifs, mais rien n'est indiqué pour corriger ce que doit faire l'état: revoir sa législation, former le personnel... Où est la lutte contre les discriminations si l'Etat ne se montre pas exemplaire par des actes ?"

"Ce sont les pratiques qu'il faut changer"

Interrogée pour savoir s'il ne faudrait pas, par exemple, faciliter le changement de sexe à l'état civil, Marlène Schiappa rétorque à TÊTU que "ce sont les pratiques qu'il faut changer".

"Quand je tenais des bureaux de vote avec des personnes trans, je prenais soin de ne pas les appeler 'Madame ou Monsieur' en fonction du genre déclaré et avec le bon prénom, sans lire obligatoirement le prénom de naissance sur leur carte d’identité. Ce sont des petits gestes du quotidien mais qui les respectent et les considèrent pour ce qu’elles sont."

Et en réponse à ceux qui pourraient croire que ce document finira dans un tiroir, elle l'assure : "Il ne sera pas laissé dans un carton entre la photocopieuse et les vieux journaux !".

Crédit photo : Shutterstock.