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intersexuationPour les personnes trans' et intersexuées, la loi bioéthique pourrait créer de nouvelles inégalités

Par Youen Tanguy le 25/09/2019
Loi bioéthique

[PREMIUM] Plusieurs associations et militant.e.s dénoncent l'absence des personnes trans' et intersexuées dans le projet de loi bioéthique. Il faut dire que pour eux, ce projet de loi pourrait créer de nouvelles discriminations...

C'est l'un des points morts du projet de loi bioéthique : la (non) inclusion des personnes transgenres et intersexuées. Le sujet a été débattu pendant une réunion le 29 août dernier à l'Assemblée, à l'initiative des députés LREM Laurence Vanceunebrock-Mialon et Raphaël Gérard et à laquelle TÊTU a pu assister. L’occasion pour les militants associatifs de partager leur expérience avec trois députés de la majorité, peu au fait de ces sujets. 

Ces dernières semaines, la commission spéciale étudiait les plus de 2 000 amendements des parlementaires, dont plusieurs concernaient ces questions. Mais rien n’y fait, ils ont tous été rejetés ou retirés. Et le sujet reste au point mort.

"Tout est manquant"

Pour Aaron de l'association OUTrans, "tout est manquant". "La première fois qu'on a lu le texte de loi, on s’est demandé si elles (les ministres Buzyn, Belloubet et Vidal, NDLR) avaient même connaissance de l'existence des personnes trans' ou si elles avaient sciemment oublié de les prendre en considération", souffle-t-il. "Non seulement il n'y a rien, mais ils n'ont même pas essayé de concerter les associations compétentes", regrette de son côté la directrice de l'association Acceptess-T Giovanna Rincon.

Un avis partagé par l’enseignant-chercheur en droit et secrétaire général de l'association GISS | Alter Corpus Benjamin Moron-Puech, pour qui le projet de loi a été "rédigé sans aucune pensée pour les personnes trans". "Sur les questions bioéthiques, ces personnes ont toujours été mises sur le bord de la route, estime-t-il. On les relègue dans des notes de bas de page comme par exemple dans l’avis 126 du CCNE, disant que ça devrait faire l’objet d’une réflexion à part entière, qui n’arrivera en fait jamais."

L'accès à la PMA pour les hommes trans

Et il y a plusieurs sujets dans le sujet. Le premier, qui a été le plus débattu lors des débats en commission : l'accès pour les hommes trans à la PMA. Il s'agit de savoir si un homme trans, qui a donc changé la mention de son "sexe" à l'état civil, peut avoir accès à cette technique, comme toutes les femmes. Sur ce point, Agnès Buzyn a été très claire : non.

"Une femme devenue un homme à l’état civil, même ayant gardé son appareil reproducteur féminin, est un homme. Par conséquent, ce sera un homme au regard de la PMA, car c’est l’état civil qui est pris en compte dans la loi", a-t-elle déclaré devant les parlementaires le 9 septembre dernier.

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Une décision que regrette Aaron : "Il serait bien plus souhaitable que ce projet de loi soit 'neutre' et qu'il ouvre la PMA non pas seulement aux 'femmes', mais à toute personne en mesure de porter un enfant ou de mener à bien une grossesse." Et Chloé, de l'association Trans Inter Action, basée à Nantes, d'abonder : "Nous étions déjà discriminés, mais là on hérite officiellement d'une discrimination que subissait les lesbiennes. L'Etat veut encore éviter que nous puissions être parents."

"Qu’on soit une femme ou un homme trans, il n’y a pas de raison de ne pas pouvoir bénéficier de la PMA, abonde de son côté le rapporteur et député LREM Jean-Louis Touraine dans une interview à TÊTU. Il demeure une discrimination à leur égard que nous devons supprimer". Il avait d'ailleurs déposé des amendements en ce sens, tous rejetés en commission.

Pour Aaron, il s'agit d'une "hypocrisie" d'autant plus criante que demain, des couples composés d'une femme cisgenre et d'une femme trans' pourront, eux, avoir accès à la PMA. "Cette loi ayant pour but d'effacer des inégalités, on voudrait qu'elle n'en créé par de nouvelles. Mais on pense que ce sera le cas", ajoute Aaron qui s'exprime au nom de l'association.

La difficile autoconservation des gamètes

Autre sujet : l'autoconservation des gamètes pour les personnes trans'. Certaines d'entre elles y ont recours avant une opération chirurgicale ou avant d'entamer un traitement hormonal, dont il est encore difficile de dire l’incidence sur l'infertilité. Problème, comme le dénoncent plusieurs associations, les centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (Cecos), chargés d'organiser les dons, n'auraient pas tous les mêmes pratiques en fonction de leur localisation géographique.

Thomas* en a fait les frais. En 2018, cet homme trans a sollicité le Cecos de l’hôpital de Marseille pour faire congeler ses ovocytes. La discussion avec la biologiste est "houleuse", à en croire Libération, qui a recueilli son témoignage. Il a finalement reçu une lettre de refus pour motif qu'il "n’y aurait pas d’altération de sa fertilité causée par le traitement hormonal". Thomas a décidé de saisir le Défenseur des droits qui s'était déjà exprimé à ce sujet en 2015. "L’article L.2141-11 du Code de la santé publique doit pouvoir être interprété comme permettant aux personnes qui s’engagent dans un parcours de transition de l’homme vers la femme, de se prévaloir de ses dispositions", assurait à l'époque l'autorité administrative indépendante.

"Ça va du mieux, comme en région parisienne où les équipes sont formées, au pire, avec des Cecos qui affichent un refus de principe, déplore Aaron. On a un peu l'impression que les Cecos n’ont pas envie de gérer ça. Il y a tout de suite une suspicion qu'il ou elle serait moins apte à être parent qu'une personne dans un 'couple traditionnel'". 

"Des disparités entre les Cecos"

"C’est vrai qu’il existe parfois des disparités entre les Cecos aujourd’hui, reconnaît Jean-Louis Touraine. Cela se passe bien dans certains centres, notamment à Paris, où le traitement des dossiers se fait de manière égale. Mais vous avez d’autres endroits où les demandes sont purement et simplement refusées, en particulier en raison de l’identité de genre des personnes. C’est une discrimination." Certains Cecos répondent ainsi aux personnes trans qu'il s'agit plus d'un "choix personnel" que "d'un traitement médical nécessaire."

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Autre raison parfois invoquée par les Cecos pour justifier un refus : les personnes trans' n'ayant aujourd'hui pas accès à la PMA, elles ne peuvent pas prouver un projet parental et n'auront donc pas le droit d'utiliser ensuite leurs gamètes. La PMA pour toutes devrait donc permettre, en théorie, aux couples composés de deux femmes - dont une femme trans et une femme cis' - ou aux femmes trans seules, de régler ce problème. En théorie. Les militants, eux, restent inquiets. "Il doit être clairement inscrit que le sexe ou l’identité de genre de la personne ne déterminent pas l’utilisation qui peut être faite de ses gamètes", assène Aaron.

Jean-Louis Touraine souhaite également la mise en place de garde-fous : "Nous aurons besoin d’être extrêmement vigilants pour s’assurer qu’il n’y ait pas une priorisation des couples hétérosexuels sur les couples de femmes, les femmes seules ou les personnes transgenres, aussi."

D'autres techniques, telle que le don dirigé ou la méthode ROPA (Réception d'Ovocytes de la Partenaire) posent également question, mais elles ne devraient pas figurer dans le projet de loi du tout.

La filiation en question

Un troisième point inquiète les associations et les avocats : l'établissement de la filiation. En effet, depuis la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle de 2016, le changement de la mention du « sexe » à l'état civil n'est plus conditionné à une stérilisation. Il est donc désormais possible, par exemple, pour un homme trans' de tomber enceint ou pour deux personnes ayant à l’état civil une même mention de « sexe » de concevoir un enfant ensemble.

Mais la loi reste très genrée, puisqu’elle utilise le mot « mère », de genre féminin, pour désigner la personne qui accouche (art. 311-25 du code civil), alors que celle-ci peut être d’un genre autre que féminin. Idem pour la personne procréant l’enfant avec ses propres spermatozoïdes, désignée « père » si elle est mariée, alors pourtant que cette personne peut ne pas avoir un genre masculin.

"On mélange tout : le droit, le genre, la biologie..."

En novembre 2018, la cour d'appel de Montpellier avait d'ailleurs créé de toute pièce le statut de "parent biologique" pour une femme trans mariée. Après avoir changé de sexe à l'état civil, elle avait conçu un enfant par voie naturelle avec sa compagne et demandait à être reconnue comme mère. "C'est une notion qui n'existe pas en droit français", expliquait son avocate Me Clélia Richard à notre consoeur de Mediapart.

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Pour l'avocate Caroline Mécary, la décision de la cour d'appel de Montpellier est "bancale". C'est une solution créée par le juge pour tenir compte de la réalité d’une situation, à défaut d'une règle de droit général. Magaly Lhotel, également avocate, pense qu'on "mélange tout : le droit, le genre, la biologie...". "Tant que les corps et les organes des gens seront genrés juridiquement, il y aura un problème", ajoute-t-elle.

Dans une tribune publiée sur TÊTU, les militants Sohan Pague, Blaise Druais et Tadeo Escalante rappelaient qu'en 2015, à Lorient, "une femme trans s’était vue refuser la garde de son enfant en raison de son identité de genre". "Pourtant, ce n’est pas un cas isolé et certaines personnes trans doivent se battre pendant des années pour pouvoir conserver leur droit de parentalité après leur transition."

Un silence gênant

Pour Benjamin Moron-Puech, "ce silence de la loi bioéthique sur la parenté des personnes transgenres constitue vis-à-vis de ces personnes une discrimination fondée sur l’identité de genre"." Un silence "encore plus patent" au sujet des personnes intersexuées. En effet, la question de la prise en charge médicale des enfants intersexués a fait débat en Commission, certains élus plaidant pour interdire les opérations sauf urgence ou consentement. Là aussi, les amendements de plusieurs parlementaires ont été rejetés.

Dans son rapport d'information sur la révision de la loi bioéthique, rendu public en janvier 2019, Jean-Louis Touraine avait pourtant plaidé "pour conditionner tout traitement ou toute intervention visant à altérer les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’une personne, sauf motif médical impérieux et urgent, à une consultation préalable dans l’un des centres de référence des maladies rares du développement génital ; à l’appréciation, par une équipe pluridisciplinaire, de la capacité de la personne à participer à la prise de décision, lorsqu’elle est mineure et au recueil de son consentement explicite, libre et éclairé, exprimé personnellement, y compris lorsqu’elle est mineure".

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Sans aller jusqu'à une interdiction, Agnès Buzyn a évoqué en Commission une "ouverture" pour "harmoniser les prises en charge", avec "un amendement qui actera dans la loi qu'il faut une attention ou une vigilance particulière".

"Mais loin d’assurer le respect des droits humains des personnes intersexuées, ces amendements contribueraient au contraire à légitimer encore davantage aujourd’hui la position des médecins intervenant aujourd’hui sur les corps des enfants intersexués", conclu Benjamin Moron-Puech.

Crédit photo : BORIS HORVAT / AFP.