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YouTubeFlo, youtubeur trans et bi, lit la Bible autrement sur sa chaîne "Queer Chrétien(ne)"

Par Timothée de Rauglaudre le 15/01/2020
Bible

Depuis quatre ans, Flo décrypte la Bible à travers un prisme LGBT+. Pour TÊTU, il raconte son parcours en tant que chrétien transgenre et bisexuel, et le cheminement qui l'a amené à ouvrir sa chaîne YouTube.

"Je suis queer, chrétienne croyante et pratiquante, et je réclame ma place dans la religion chrétienne." C'est par ces mots que se termine la première vidéo de Flo, 32 ans, transgenre et bisexuel - il se genrait alors au féminin. Il y explique sa démarche en tant que "Queer Chrétien(ne)" (le nom de sa chaîne YouTube), rejeté par son Église, incompris par la communauté LGBT+. C'était le 16 février 2016. Depuis, la chaîne a parcouru un chemin impressionnant. Les vidéos ont gagné en qualité, depuis les premières enregistrées à la webcam et sans micro. Sur un ton pédagogique et bienveillant, le vidéaste plonge, dans la plupart de sa soixantaine de vidéos, dans les méandres de la Bible pour y chercher des références à ce qu'il identifie comme des situations d'homosexualité, de transidentité, d'intersectionnalité. "C'était vraiment une niche qui n'existait pas dans le monde francophone", explique à TÊTU ce doctorant en biogéochimie à Nîmes - "la chimie des cailloux, on va dire" -, de passage à Paris.

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Il passe parfois des heures à éplucher les textes sacrés. Ses vidéos, qui atteignent souvent plusieurs milliers de vues, résonnent de façon frappante avec certaines actualités. En novembre 2018, alors que le projet de loi sur la bioéthique n'est pas encore arrivé au Parlement, il publie une vidéo intitulée "PMA pour tou.te.s et l'église catholique". Il y a aborde les questions que se posent de nombreux catholiques : "Est-ce qu'on ne va pas médicaliser le mystère de la vie ?" Il commence par évoquer la conception de Jésus par Marie, célibataire au moment de sa conception, et de Jean-Baptiste, dont la mère était "trop vieille pour concevoir". Une "stérilité de circonstance" qui, couplée avec la "très grande tradition médicale de l'Église catholique", devrait selon Flo pousser cette dernière à soutenir la réforme. De quoi mettre La Manif pour tous en position latérale de sécurité. Dans une autre vidéo, il prend la défense d'Olly Plum en expliquant pourquoi la Bible incite au respect des travailleurs du sexe. Une prise de position qui lui a valu 40.000 vues - son record.

"Les débuts sont très beaux"

Le youtubeur en est convaincu, ce ne sont pas les textes mais l'institution qui est homophobe et transphobe : "J’ai l'impression que dans beaucoup de mouvements religieux, pas uniquement chrétiens, les débuts sont très beaux, on a des textes fondateurs qui sont magnifiques. Les gars qui démarrent ça sont des hippies. Dès que ça devient institutionnel et massif, dès qu’il y a du fric, ça devient quelque chose de corrompu.Au fil de ses vidéos, Flo a élargi son regard et parle désormais de #MeToo trans, de PMA pour les personnes transgenres ou encore de troubles obsessionnels compulsifs, parfois sans mentionner la religion. "Il y a un moment où je me suis senti un peu limité, j'avais envie de parler d'autres sujets. Donc je m'autorise plus de choses." Il a réussi à s' "intégrer à la communauté des youtubeurs" et rêve d'une collab avec la chaîne de vulgarisation historique "Les Revues du Monde", par exemple sur "ce qui se passait dans l’Antiquité dans la zone historico-géographique de la Bible".

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Sa double identité queer et chrétienne, Flo l'a vécue dans sa chair. Il grandit dans une communauté chrétienne dont il taira le nom, un "milieu minoritaire très très dur". Interdiction de se masturber, d'avoir des relations sexuelles avant le mariage, de sortir avec des garçons avant l'âge de 16 ans, de porter des "vêtements trop impudiques". La lecture quotidienne de la Bible est obligatoire. "Moi, je l’ai bien vécu parce que j’ai grandi dedans, relativise le trentenaire. Mais, vu de l’extérieur, c’est un mouvement difficile". À l'âge de 19 ans, il rencontre son mari, issu lui du catholicisme traditionaliste, avec "messe en latin et tout ça". Depuis, il a eu deux enfants avec lui, aujourd'hui âgés de six et neuf ans.

Coming out à l'église

À l'époque des manifestations contre l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, il est encore membre de cette communauté. L'évêque demande alors aux paroissiens de "se positionner absolument en faveur de ces mouvements homophobes". C'est en 2015, à un moment où la décision de la Cour suprême américaine décidant de légaliser le mariage pour tous à l'échelle nationale relance une vague de remarques homophobes dans son église, que Flo décide d'y faire son coming out bi. Un épisode fondateur qu'il raconte dans une de ses vidéos - sa deuxième. Un jour où les croyants doivent se lever pour prendre la parole, il se lance. "Je pleurais, j'avais hyper peur, se souvient-il. Je me suis dit que j'allais être catalogué et que les gens n'allaient plus vouloir me parler à la paroisse." Finalement, il ne reçoit que sourires et embrassades. Au pire, des silences, par exemple de la part de cet homme qu'il a vu quelques jours plus tôt gifler son jeune fils pour avoir fait un "bisou" à un autre garçon, le traitant de "tarlouze" et de "petite pédale".

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Flo a quitté cette communauté depuis trois ou quatre ans, lassé du sexisme, de l'homophobie et de la transphobie qui y règnent. "Je pensais qu'ils pouvaient évoluer, mais j'ai vu qu'ils n'avançaient pas sur ces sujets." Quand à sa transidentité, il n'a jamais pu en parler ouvertement au sein de sa religion. "J’ai d’abord évolué sur la question de la bisexualité. Plus tard, j’ai réussi à mettre le mot transidentité sur mon expérience." C'est vers l'âge de 25 ans qu'il comprend qu'il n'est "pas cis", avant de s'identifier en tant que personne transgenre il y a à peine deux ans.

Théologie queer

Au moment de lancer sa chaîne, Flo se perçoit donc toujours comme une femme bisexuelle. Et se pose un millier de questions sur sa foi. "Je n’avais pas de doute sur le fait que Dieu m’aimait. Mais régulièrement je me demandais si je n'allais pas aller en enfer.” En quête de réponses, il découvre la théologie queer. Ce courant théologique, très développé dans les pays anglo-saxons mais peu connu en France, propose une toute nouvelle lecture de la Bible, à la lumière notamment de la théorie queer, de Michel Foucault à Judith Butler. À l'époque, Flo est actif sur les blogs, "en perte de vitesse". C'est donc tout naturellement qu'il se tourne vers YouTube. Le titre lui est soufflé par la prière et par un "sentiment massif". "Ce titre m’a surpris, je ne savais pas pourquoi je le mettais." Ainsi naît "Queer Chrétien(ne)".

Si, dans un premier temps, son audience est essentiellement un public LGBT+ non religieux, de plus en plus de chrétiens s'adressent à lui, souvent par message privé. Ils lui confient leurs doutes et questionnements. "Beaucoup de gens pensent que je suis là pour convaincre les gens de droite. Mais je veux parler aux gens qui sont dans la foi, qui ont compris qu’ils étaient queers, et qui sont perdus, parce qu'ils pensent qu’ils vont aller en enfer et qu’ils doivent choisir. Mon premier objectif, c’était de dire à ces gens-là que, peut-être, ce n'est pas eux qui se sont trompés, c’est la religion. Peut-être qu’à l'origine le texte devait être lu autrement."

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Revers de la visibilité, forcément, la chaîne reçoit aussi son lot de messages de haine. "Il y a d'un côté les évangéliques qui me disent qu'ils prient pour moi et qu'ils espèrent que je serai délivré parce que je suis possédé par un démon. De l'autre, des mecs cathos de droite qui viennent m’insulter en disant que je suis moche, que je ne suis pas baisable, qui se foutent de ma gueule." Flo s'y est habitué et supprime la plupart des messages. On ne peut qu'admirer sa patience, en partie due à son mari, qu'il a vu changer sur certains points. "Il n'est pas fan de ma moustache", tempère toutefois Flo. Lui qui ne va plus à l'église depuis deux ans veut placer cette nouvelle année sous le signe de l'offensive : "L’étape suivante, ce n’est pas de rassurer les personnes individuellement, mais de se dire que maintenant, il faut que l’institution change, parce qu’elle est meurtrière."

 

Crédit photo : Timothée de Rauglaudre