Ça y est, c'est officiel : suivi par 19 millions d'internautes, Tibo Inshape est l'influenceur français le plus populaire sur YouTube, devant Squeezie. Ce qui n'est pas forcément bon signe…
Sur YouTube, il dépoussière l'image d'une musculation ringarde et associée à la contrainte. Thibaud Delapart, alias Tibo Inshape, a participé à redonner un coup de jeune à cette discipline : finie l'époque où l'on voulait ressembler à Arnold Schwarzenegger, l'ère est à l'influence cool, avec une recette mêlant humour, anecdotes perso, invités tous azimuts et slogans percutants. Avec son sourire de dix pieds de long toujours accroché au visage, le natif de Toulouse âgé de 32 ans réunit désormais 19 millions d'abonnés, qui font de lui l'influenceur français plus suivi sur la plateforme de vidéos, devant Squeezie. Pourtant, son parcours qui a démarré en 2013 est loin d'être immaculé : accusé tour à tour de grossophobie, de racisme, d'homophobie ou encore de transphobie, son succès croissant fait aussi un sacré bruit de casseroles.
Tibo Inshape n'est pas une montagne de muscles menaçante. Son rire communicatif, couplé à une naïveté enfantine soigneusement mise en scène, lui assurent une sympathie spontanée du public. Le youtubeur a toujours un petit mot pour encourager les mordus de sport, et ambitionne d'inciter les nouvelles générations à adopter les valeurs qui vont de pair avec la saine pratique d'une activité physique et sportive. Concrètement, il rend la musculation et la nutrition accessibles ; un esprit sain dans un corps sain, rien de nouveau sous le soleil de YouTube… Sauf qu'il ne se contente pas de nous donner les clés pour des abdos en béton et un meilleur cardio. Dans un kamoulox calibré pour les usages des réseaux sociaux, Tibo relève aussi des défis rigolos, tel manger 24h comme Lionel Messi, Lebron James ou encore Emmanuel Macron, ou salue la routine sportive de Vladimir Poutine, en pleine guerre en Ukraine, dans une vidéo retirée depuis lors.
Tibo Innocent
Pour toujours plus de diversité, l'influenceur multiplie les interviews de personnalités aux parcours atypiques. Entendez par là un grand brûlé, une personne atteinte de trouble dissociatif de l'identité ou de maladie génétique, mais encore des personnes trans. Et ce, sous des titres tout en subtilité, comme "Cette femme était un homme" ou "Avant, j'étais une femme", avec mégenrage et photo pré-transition au menu. Nostalgiques de C'est mon choix bonjour, les marginaux ça fait toujours buzzer. En 2021, il pense se fendre d'un "coup de gueule" bien senti d'allié en déclarant, dans un post TikTok (où il compte aujourd'hui 11 millions d'abonnés) intitulé "Respect et tolérance" : "Moi je suis pas pote avec des mecs homophobes qui critiquent les gays, les lesbiennes, les transsexuels (sic…) Laissez-les vivre, est-ce que c'est vous qui vous faites sodomiser ? Non !" Essaye encore…
@tiboinshape Respect et tolérance. Merci.
Dans ses vidéos, le youtubeur aime manifestement découvrir les sujets en même temps qu'il les tourne, ce qui occasionne des réactions déplacées, lesquelles font ensuite le tour de la toile… la machine est rodée. On se souvient ainsi de l'une de ses fameuses sorties, fort peu pédagogique concernant la santé mentale : "Réveille-toi putain de merde. Rien à foutre de ta dépression [...] Arrête d'être une merde, d'être une personne sans aucune motivation, arrête de gaspiller ta vie. Lève-toi maintenant."
En forme de mascu
À chaque polémique, même réponse : le jeune homme invoque la maladresse ou la mauvaise interprétation de ses propos "sortis de leur contexte". Il ne savait pas, ses intentions étaient bonnes, il est désolé, il ne le refera plus. L'immaturité comme ligne éditoriale, sauf que passé 30 ans, ça commence à faire. Début février, à la suite de commentaires qui l'accusent de prôner le viol conjugal, il publie une vidéo intitulée "Je ne suis pas parfait". La polémique remontait au 12 janvier, quand il avait publié "Une sexologue répond à mes questions intimes". Sauf que la sexologue en question n'est autre que Thérèse Hargot, conservatrice assumée qui dans son viseur a le porno, le néoféminisme ou encore la contraception. En 2014, elle intervenait d'ailleurs dans les causeries de La Manif pour tous. Cela, bien sûr, la vidéo ne le mentionne pas. Ce qui a choqué les internautes, c'est qu'elle affirme que la fréquence à laquelle un couple devrait avoir des rapport sexuels serait d'une fois par semaine minimum et que non, ça ne dépend pas de la libido de chacun·e.
Dans sa vidéo de mise au point, l'ange Tibo se défend d'être sexiste, misogyne, raciste, homophobe, transphobe, psychophobe et grossophobe. Dans cet ordre. "Le but, c'est de se marrer ensemble, fait-il valoir. Je n'ai pas évolué, grandi, avec tous les codes qu'on connaît aujourd'hui." Malgré sa notoriété, sa propre marque de compléments alimentaires, de vêtements, sa salle de sport et les dédicaces payantes que ses fans s'arrachaient à prix d'or à une époque, l'entrepreneur du numérique assure ne pas avoir conscience de sa notoriété, et donc de son influence. Pardonnez-lui, il ne sait pas ce qu'il fait. Mais pour autant, soyez prévenus, le jeune homme ne compte pas "laisser des trous de balle (l)'accuser de choses dont je ne suis pas" (sic). Le pire, c'est qu'à force de répéter le mot "maladresse" et qu'il aime tout le monde, il est plutôt convaincant. On garde tout de même en tête la vidéo TikTok dans laquelle il fait défiler une trentaine de pronoms différents, les yeux perdus dans le vague, en mode "pauvre France"…
@tiboinshape 😂😂
L'effort pour se construire une image de Candide faisant de son mieux pour se déconstruire est là. On lui accorderait volontiers le bénéfice du doute, mais les prises de position du jeune homme ne sont pas vraiment en adéquation avec l'innocence qu'il revendique à tout bout de champ. Les détracteurs du go muscu préféré des jeunes ont ainsi déterré des posts Facebook plutôt éloquents quant à son univers mental : "Un noir réélu, le mariage des homosexuels adopté. Ce ne sera pas une journée facile", ou encore "Des fois quand je suis très énervé je m'amuse à jeter des côtes de porc sur les musulmans quoi, c'est cool, ils brûlent". Cette dernière citation, il la justifie aujourd'hui par un égarement de jeunesse à cause d'une agression qu'il avait subie lorsqu'il avait 17 ans. Tout s'explique.
Même s'il affirme avoir évolué depuis, les contenus du youtubeur se vautrent dans les thèmes prisés par la sphère masculiniste et identitaire. On le sait, Tibo Inshape a un gros faible pour la police et l'armée, en témoignent ses 37 vidéos sur le sujet, autant d'incursions dans la marine nationale, la légion étrangère ou la gendarmerie. En 2018, il accompagne la police dans une manifestation, appelant les manifestants "Les méchants". À telle enseigne que le gouvernement se l'arrache pour faire la promotion en 2019 du service national universel (SNU), dans une vidéo intitulée "Je fais le nouveau service militaire", avec la participation de Gabriel Attal, alors secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.
"Tibo InShape parle à la jeunesse française, qui est, aujourd'hui, un peu à son image : plutôt marquée à droite, plutôt porteuse de valeurs qui sont de l'ordre de l'identitaire", analyse Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste des réseaux sociaux, auprès de Franceinfo. L'influenceur prend toutefois soin d'entretenir un savant flou quant à ses opinions politiques. Dans une interview en octobre 2023 pour Clique TV, sur Canal+, à la question "Pour qui est-ce que tu ne voterais jamais ?", il a répondu du tac au tac : "Il ne faut jamais dire jamais." Les jeunes fans du RN ont adoré.
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Crédit photo : Tibo Inshape