hôpitalAlexandre, infirmier en réanimation : "On ne veut pas aller au front sans être armés"

Par Timothée de Rauglaudre le 20/03/2020
infirmier

Alors que l'Italie s'approche dangereusement de son pic épidémique de Covid-19, l'hôpital français est sous pression. Alexandre*, infirmier de 27 ans en réanimation dans un hôpital à Lyon, par ailleurs gay, a raconté son quotidien à TÊTU.

Je suis infirmer en réanimation depuis deux ans. À l'arrivée du Covid-19 en France, dans un premier temps, on avait tendance à être rassurés, même chez les soignants, par les propos des politiques et de nos directions. On a vu arriver notre premier cas, puis un deuxième, c'était extrêmement limité. On a isolé une partie du service pour les prendre en charge. Ça allait encore, on se disait que c'étaient des cas isolés.

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Quand il y a eu les premières mesures de restrictions, on s’est dit que ça devenait un peu plus sérieux. Dans mon service, pour l‘instant, on a des masques FFP2 en quantité suffisante. Mais on est alimentés aux compte-gouttes, on voit arriver des cartons de masques et de blouses et on a peu de messages rassurants là-dessus.

Une centaine de lits

On est prioritaires sur toutes ces livraisons, parce qu'on est en contact toute la journée avec des personnes atteintes du Covid-19. Des mesures ont été prises pour les étudiants, qu’ils soient externes ou infirmiers, ils n'ont pas pu aller au bout de leur stage. On rationalise, parce qu'on ne peut pas leur fournir à tous un masque à chaque fois qu’ils entrent dans une chambre.

Sur le service classique, en fonctionnement normal, on a une vingtaine de lits en réanimation. Actuellement, on crée des lits en réanimation dans d'autres services. Il y aurait une capacité d'une centaine de lits dans l'hôpital où je travaille. Les patients qui ne sont pas touchés, on les transfère dans d'autres services qui ne sont pas encore faits pour recevoir du Covid-19.

"On a peur d'être contaminés"

Je pense qu'à terme, tous les services de réanimation vont accueillir des cas. Pour l'instant, notre capacité d'accueil est suffisante. Ce qui nous fait peur, c'est que des gens qui bénéficient en temps normal de réanimation ne pourront plus en bénéficier quand on sera en pleine capacité. Si on suit la courbe des Italiens, on devrait se retrouver dans cette situation.

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On a peur d'être contaminés. On sait que c'est possible, que ça peut ne pas forcément venir du travail. Les enfants des soignants bénéficient toujours de crèches collectives, c'est un des modes de transmission. Il y a quand même une "psychose", au moindre symptôme on a tendance à penser qu'on l'a. Je suis allé me faire dépister dernièrement parce que j'avais été en contact avec deux personnes qui l'avaient dans mon entourage.

Pas de soutien psychologique

Quasiment 100 % de nos discussions tournent autour de ça. On ressent une atmosphère assez lourde, on a peur de l'inconnu, de comment ça va être quand il y aura le pic épidémique. On sait que ça va être dur, mais il y a aussi une forte solidarité entre soignants. Pour l'instant, c'est beaucoup de discussions internes, on n'a pas de psychologue dédié dans le service. On devrait bientôt en avoir un pour les familles qui n'ont pas droit aux visites, et qu'on devrait pouvoir consulter aussi.

Pour les heures supplémentaires, pour l'instant, les infirmiers et aides-soignants viennent en renfort pour monter des lits supplémentaires ou renforcer le service sur la base du volontariat. Rien n'est imposé. En revanche, sur le planning des mois à venir, il n'y a plus de congés, ils prévoient des infirmiers supplémentaires. Personnellement, et on est pas mal à le dire, plutôt que d'être confiné chez moi pendant que mes collègues charbonnent, je préfère venir bosser et filer un coup de main.

"Tout le monde se découvre une passion pour le footing"

On est hyper contents de voir que les Français nous soutiennent, avec les applaudissements collectifs tous les jours à 20 heures, ça nous fait vraiment chaud au cœur. En revanche, quand je rentre chez moi, je vois que tout le monde se découvre une passion pour le footing, que les gens font leurs courses en famille. Il y a encore des personnes qui n'ont pas conscience de la situation et ça se ressent directement dans notre travail. Comme le virus est invisible, les Français sont assez éloignés du principe de réalité. Si je pouvais leur montrer les images de mes patients en souffrance, je le ferais. Je ne peux pas à cause du secret médical et de l'éthique. Mais il y a vraiment des gens, et pas forcément très âgés, qui meurent de ce virus.

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De la part des pouvoirs publics, on attend une assurance que l'on aura assez de matériel pour se protéger et qu'on ne va pas aller au front sans être armés. On retient du dernier message d'Emmanuel Macron que l'État gardera en tête tout ce qu'on a fait pendant cette crise. On espère qu'à l'avenir on aura une meilleure reconnaissance de notre travail et de tous les sacrifices qu'on aura pu faire.

*Le prénom a été modifié

 

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