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internetPlan cam et revenge porn : faut-il avoir peur du sexe en ligne ?

Par Pauline Ferrari le 07/05/2020
plan cam gay

La pratique du sexe en ligne se banalise, avec notamment le retour en force du plan cam gay, faisant ressurgir les questions de sécurité de nos données personnelles. Alors, peut-on pratiquer le cybersexe sans risques ?

J’étais en train de sexter il y a à peine 10 minutes” lâche Gabriel, 25 ans, quand on lui demande à quoi ressemble sa vie sexuelle période de confinement. Car la distanciation sociale n’aurait pas éteint notre libido : elle l’aurait même réinventée. Les tweets contenant les termes “nudes” et “dick pics”, apposés à “coronavirus” auraient augmenté de 384% entre début mars et début avril, selon une enquête de la société Khoros. Une sexualité qui se dessine en ligne, seul ou à distance : échanges de sextos, de photos dénudées (les nudes), appels visios érotiques, et visionnage de films pornographiques. La pratique du sexe numérique interroge l’usage de nos données, et leur sécurité.

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Comment éviter que ses photos intimes, textos chauds ou historique pornographique soient la cible de hacking ou soient partagés sur le Whatsapp familial ? Doit-on sexter sur une appli qui chiffre nos données ? Faut-il cacher sa caméra quand on regarde du porno ? La navigation privée est-elle si privée que ça ? Mais surtout, est-ce qu’on ne prendrait pas le problème à l’envers ?

Précautions de base

J’ai failli envoyer une dickpic à une conversation entre amis” confesse Gabriel. Le confinement n’a pas changé les pratiques du jeune parisien en matière de sextos et d’envoi de nudes sur Grindr, “car c’est la base de Grindr”. La sécurité de ses photos et sextos, il déclare y penser tout le temps, surtout avec son utilisation de Grindr : “sûrement que les renseignements chinois ont mes nudes !” s’exclame-t-il. Il connaît néanmoins les basiques en matière de protection : utiliser une messagerie chiffrée, protéger ses comptes avec une double authentification, ne pas montrer son visage ni aucun signe distinctif (tatouages, photos en arrière plan). “Mais sur mon cloud, il y a des photos avec ma tête… parce que mon téléphone est synchronisé dessus” : Gabriel reconnaît que parfois, dans le feu de l’action, la sécurité numérique n’est pas la priorité.

Il n’existe aucune méthode infaillible pour protéger ses photos dénudées et sextos : aucun outil n’est capable de rendre le risque proche de zéro, comme l’explique Rayna Stamboliyska, auteure de La face cachée d’Internet : “la meilleure façon de se protéger, c’est de savoir ce qu’on veut éviter”. Il faudrait penser l’intimité comme un spectre et réaliser qu’aucun outil numérique n’est sûr à 100%. L’envoi de sextos et de nudes devient alors de la gestion de risque, peu importe l’application. “C’est une pratique sexuelle, et se fonde sur les mêmes bases que l’acte sexuel, sur le consentement et la confiance. D’une part, rien n’empêche de télécharger, et d’autre part, le contrôle est déplacé chez celui qui reçoit” analyse l’auteure. “Il faut bien savoir que quand on fait quelque chose sur internet, cela laisse des traces. C’est avant tout une affaire de confiance en la personne” insiste Jérôme Notin, directeur général du dispositif Cybermalveillance, un groupement public-privé d’assistance aux victimes de cybermalveillance et de cyberharcèlement.

Revenge porn

A ce titre, Rayna Stamboliyska trouve l’affaire Griveaux intéressante : “ce que ça a montré, c’est qu’en 2020, un homme blanc, cisgenre, en situation de pouvoir, a été victime de revenge porn provoqué par ce qui semble être la rupture de confiance après la fin d’une relation entre deux adultes consentants. Les gens ont découvert un cadre législatif qui sanctionne. En filigrane, on a saisi l’enjeu de cette violence dont sont victimes beaucoup de femmes depuis des années” explique-t-elle. En France, le partage non consenti de photos dénudées est passible de 2 ans de prison et de 200 000 euros d’amende.

Pourtant, Gabriel qui estime ses nudes “plutôt réussis”, ne s'inquiète pas tant que ça : “Je me dis que je ne suis pas une personnalité publique, qu’est-ce que la personne va en faire ?”. “Nous avons davantage de demandes sur tout ce qui est cyberharcèlement” constate Jérôme Notin. Les questions de cyberharcèlement et de revenge porn sont prégnantes pour la communauté LGBT : selon une enquête de Microsoft, 11% des français auraient été harcelés en ligne en raison de leur orientation sexuelle. Le cas de la campagne d’outing non consenti de jeunes hommes gays au Maroc, qui a commencé au début du confinement, a mis de nombreux jeunes hommes en danger. Les personnes issues de la communauté LGBT auraient 8 fois plus de chances d’être victimes de revenge porn, affirme une étude américaine. Comme le rappelle Rayna Stamboliyska, l’intime est un spectre : “pour certaines et certains, donner à voir son corps, on s’en fiche, pour d’autres pas du tout. La perception et l’impact sont tout sauf numérique”.

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Rupture de confiance

Dans les cas de revenge porn, qui touchent majoritairement les femmes et les personnes issues de la communauté LGBT, la culpabilisation est souvent à l’oeuvre : “L’argument de “faut jamais en envoyer” : c’est bête, ce n’est pas la solution. Les gens ont des pratiques comme ça leur plaît, on va pas les blâmer parce que quelqu’un a choisi de leur faire du tortinsiste Rayna Stamboliyska. Bien loin de l’image du hacker à capuche, les auteurs de revenge porn sont majoritairement connus de la victime. Avec le confinement, le nombre de cas a explosé, à travers des comptes Snapchat dits “fisha”, alertant jusqu’à Marlène Schiappa. “J’avoue avoir davantage peur du revenge porn plutôt que de me faire hacker… C’est horrible de se dire que c’est quelqu’un que l’on connaît et en y on avait confiance” commente Gabriel.

Et qu’en est-il de la pornographie, souvent regardée en navigation privée ? “Quand je regarde du porno, j'ouvre la navigation privée un peu par réflexe. Je pense que c’est surtout parce que mon compte Google est le même chez moi et au travail” avoue Gabriel. Si la navigation privée agit comme une “parenthèse” en ne conservant ni les cookies ni l’historique une fois la fenêtre fermée, son utilisation laisse des traces. Les marques pages ou les fichiers téléchargés sont conservés, et certaines informations techniques continuent à être transmises et peuvent être identifiables, navigation privée ou non.

Malveillance numérique en hausse

Avec le confinement, d’autres formes de malveillance numérique sont en recrudescence, dont le chantage à la webcam piratée : ce sont des emails affirmant posséder des vidéos intimes de l’utilisateur, et qui réclament quelques centaines d’euros en bitcoins. Souvent, ces emails sont faux et envoyés à la chaîne. “Ce qui est inquiétant, c’est que hors période de confinement, ce sont plutôt des professionnels qui ont un but lucratif. Là, malheureusement, ce ne sont pas des cybercriminels, qui ne comprennent pas qu’on les paye pas” explique-t-il. 

Faut-il alors cacher sa webcam… juste au cas où ? Pour Jérôme Notin, c’est évident : “Bien sûr, un simple bout de scotch suffit. On ne doit pas faire confiance à l’informatique à 100%”. “La question n’est pas de devenir parano, mais plutôt de ne pas prêter le flanc inutilement” constate Rayna Stamboliyska. Pour autant, si des solutions existent pour protéger ses données, il ne faut pas tomber dans l’idée que la technologie peut résoudre tous les problèmes. “Il n’y a pas de solutions numériques faciles à des comportements humains complexes. Il y a des briques qui permettent de réduire certaines infos, leur détail ou leur richesse, mais pas de bouton magique” estime Rayna Stamboliyska. Sur internet comme ailleurs dans la vie, le risque zéro n’existe pas.

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