La plus haute instance juridique française n’a pas suivi l’avis de son avocat général qui préconisait, en juin, la reconnaissance d’une femme trans comme mère sur l’acte de naissance de son enfant.
Maître Clélia Richard espérait « une audience historique ». C’est finalement en parlant de « scandale » et de « rendez-vous manqué » que l’avocate a accueilli le délibéré rendu, ce mercredi 16 septembre, par la Cour de cassation dans l’affaire de Claire. Sa cliente, transgenre, se bat depuis de longues années pour se faire reconnaître comme mère de sa fillette âgée de six ans.
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Mais la Cour de cassation a tranché : cette femme ne pourra pas figurer comme telle sur l’état civil de son enfant, sauf si elle l’adopte. L’affaire est renvoyée devant la Cour d’Appel de Toulouse. Et pourrait susciter un recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, déjà saisie d’une question similaire dans un dossier allemand.
Atteinte à l'intérêt de l'enfant
Cette nouvelle déconvenue pour les plaignantes s’inscrit dans un interminable feuilleton judiciaire… Claire épouse Marie en 1999. Le couple conçoit deux garçons. Par la suite, avec le soutien de son épouse, Claire s’engage dans un parcours de transition. En 2011, elle est officiellement reconnue comme une femme pour l’état civil, sans avoir fait d’opération de réassignation sexuelle. Deux ans plus tard, Marie tombe enceinte. Et la famille s’agrandit en 2014, avec l’arrivée d’une petite fille née par « procréation charnelle ».
L’enfant est dotée d’un lien biologique avec les deux femmes et ses grands frères, mais seule celle qui l’a portée figure sur son acte de naissance. Une atteinte à l’intérêt de l’enfant et à la vie privée de Claire selon Maître Mathieu Stoclet, son avocat devant la Cour de Cassation. « A l’école et, dans toutes les situations de son quotidien, celle-ci sera renvoyée à la transition de sa mère. Et, à chaque fois que ma cliente effectuera une démarche pour sa fille, on lui opposera qu’elle n’en est pas la mère. »
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Douche froide
La décision de la Cour de Cassation a d’autant plus produit l’effet d’une douche froide que, le 23 juin 2020, son parquet général avait émis un avis favorable à la reconnaissance de Claire comme mère de son troisième enfant.
« Cet arrêt constitue un recul considérable par rapport à une conception de la filiation que l’on croyait enterrée", a déploré Maître Bertrand Périer, qui représentait l’APGL (Association des Parents Gays et Lesbiens) et ACTHE. (Association Commune Trans et Homo pour l’Egalité.)
"Il nous parle de gamètes, de mâle, à aucun moment de souffrance et de réalité de la filiation. Tout est ramené à une conception biologiste, se désole l'avocat. Alors que les personnes trans ont obtenu la reconnaissance de leur parcours et de leur nouveau genre par la République, on les ramène de force plusieurs années en arrière vers ce qu’était un état civil de naissance qu’elles ont volontairement abandonné au terme d’un processus de transition extrêmement long.»
Brèche dans le droit ?
La Cour de Cassation a t-elle redouté qu’un arrêt favorable n’ouvre une brèche dans le droit de la filiation et que son impact ne se répercute au-delà des couples dont l’un des membres est transgenre ?
Professeur de droit au CNAM, Philippe Régnier avance une explication pour justifier sa décision. « Elle a eu peur d’entrainer un bouleversement du droit et elle considère que c’est au législateur d’opérer. Vu la teneur de l’arrêt qui est extrêmement conservateur, il y a incontestablement un message adressé au législateur pour qu’il règle la question des filiations post changement d’état civil. » Celui-ci s’en saisira t-il ? A suivre… Mais pour Claire et Marie, ce sont encore de longues années de procédures en vue.