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famillesFemme trans, je suis la mère de mes enfants... mais pas pour l’Etat

Par Marie Sénéchal le 06/07/2020
trans

Le 23 juin, l’avocate générale de la Cour de Cassation a donné un avis favorable à la reconnaissance d’une femme trans comme mère sur l’acte de naissance de son enfant. Une lueur d'espoir pour de nombreuses mères trans, qui sont encore, au regard de la loi, "pères" de leurs enfants. Pour ces derniers, tout semble pourtant beaucoup plus simple...

C'est un parcours de combattante que de nombreuses femmes trans qui ont eu des enfants avant leur transition connaissent bien. Quand Morgane, 49 ans, obtient son changement d’état civil – prénoms et mention de genre – en janvier 2019, elle lance les démarches pour rectifier le livret de famille et les actes de naissance de ses deux enfants, Ariane et Riwal, 12 et 9 ans à l’époque. Comme ils sont mineurs, le second parent doit donner son accord pour faire ces rectifications. S’il ne le fait pas, les enfants doivent attendre leur majorité pour le donner eux-mêmes.

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Dans le cas de Morgane, dont « la famille est plus unie que jamais », les autorisations ont été données par son épouse. Sauf que quand les documents leur reviennent, Morgane constate que « la mention rectificative apposée sur les actes de naissance de mes enfants dit : “Le père de l’intéressé(e) se prénomme Morgane…”, alors que le texte original des actes ne spécifiait pas qui était le père ou la mère de l’enfant ! » En continuant de la considérer comme le père de ses enfants, Morgane estime que l’État nie sa qualité de mère et ne protège pas ses enfants. « En quoi mon fils, âgé aujourd’hui de 10 ans et qui connaît ma féminité depuis l’âge de 5 ans et m’appelle spontanément “elle” est-il “protégé” par une telle loi qui au contraire nie la réalité de sa famille et de l’une de ses deux mères ? »

Des institutions qui nient la réalité

Roxane*, 40 ans, a aussi eu la désagréable surprise de constater que les actes de naissance de deux de ses trois enfants indiquaient qu’elle était « le père de l’intéressé(e) ». Pour le dernier enfant, seuls les prénoms des deux mères figurent sur l’acte. Les trois naissances ont été déclarées dans des mairies différentes. « La mairie qui a fait l’acte de naissance fait les changements, ça dépend de l’officier sur lequel on tombe », explique l’antenne des Hauts-de-France de l’Association nationale transgenre (ANT) qui accompagne les personnes transgenres et fait des rappels à la loi au besoin. « La mention “père” est possible simplement car les agents administratifs de mairie n’ont parfois aucune connaissance des règles applicables à l’état civil des personnes trans », notent Émilie Duret et Clélia Richard, deux avocates spécialisées sur ces questions.

« Pour eux c’est simple, avant j’étais un papa, maintenant je suis une maman »

Si cette mention n’entraine pas de problèmes de filiation, elle tranche avec la réalité de ces familles dans lesquelles les enfants ont assimilé l’identité de genre de leur mère. « C'est problématique car les enfants ne me voient pas comme un père mais bien comme une mère, ils sont encore jeunes, ils ont 5, 7 et 9 ans, et tout leur environnement quotidien va en ce sens, ma dernière m'appelle maman, raconte Roxane, mais à côté de ça, les institutions vont venir les perturber en leur disant que je suis leur père. » Elle ajoute, « pour eux c'est simple, avant j'étais un papa, maintenant je suis une maman. »

Femme trans, je suis la mère de mes enfants... mais pas pour l’Etat
Morgane et toute sa famille - Crédit photo : DR

Les enfants vont bien

Chez Morgane, les choses se font progressivement. La première fois que ses enfants l’ont vue ainsi, c’était en 2014, pour Halloween. « Classique », sourit Morgane. Et puis il est devenu impossible pour elle de choisir « entre [s]a féminité et [s]a famille ». Elle se souvient des plaintes de son fils ; « tu es toujours habillée en fille ». A l’aide d’une bande dessinée, elle explique à Ariane et Riwal sa transidentité. « Le lendemain, mon fils est venu me faire un câlin en me disant qu’il avait compris et qu’il m’aimerait toujours. Ça a basculé pour lui à ce moment-là, et il se n’est jamais trompé sur les pronoms. »

"On vit même mieux, elle est plus épanouie aujourd’hui. "

Chez Gwenn, 43 ans, la situation est un peu différente. Quand elle a fait son coming out en 2018, son ex-compagne n’a pas donné son accord pour faire rectifier les actes de naissance de Luka et Norah-Louise, âgés de 18 et 14 ans à l’époque. Ce qui n’empêche pas ces derniers de soutenir leur mère. « Quand elle me l’a annoncé, ça m’a fait rire, je le savais déjà, s’amuse Luka, c’est comme si je l’avais toujours su ».  Le jeune homme ne sait d’ailleurs pas expliquer ni pourquoi ni comment il le savait. « Ils ont vécu avec ça sans que ce soit nommé », analyse aujourd’hui Gwenn. Norah-Louise de son côté craignait de perdre son père mais note que « ça n’a en fait rien changé, c’est toujours la même personne. » Son frère renchérit « On vit même mieux, elle est plus épanouie aujourd’hui. » Luka s’engage avec elle dans les démarches administratives et accepte de faire rectifier son acte de naissance. « Pour moi c’est important et normal de faire ce changement », précise-t-il. Pour Norah-Louise, aujourd’hui âgée de 16 ans, il faudra attendre la majorité.

"Maman" et "Paman"

Dans le téléphone de Luka, Gwenn s’appelle « mum ». Il l’appelle « mamoune ». Norah-Louise a pourtant conservé le « papa ». « J’ai toujours eu l’habitude de l’appeler comme ça, par contre je la genre au féminin », explique l’adolescente. Gwenn avait sollicité ses enfants pour trouver un autre terme mais ne veut pas forcer sa fille. Pour Morgane, cette appellation pose problème car elle « entraine des mégenrages. » Elle cherche une alternative avec ses enfants. « Maman c’était déjà pris, on voulait éviter la confusion. » Après avoir essayé d’autres versions de « maman » en langues régionales, Morgane lit un article où une famille utilise « maman » et « paman ». Le terme est adopté. « Ça fait un et demi et ça nous convient. Et depuis le mégenrage a disparu. »

Femme trans, je suis la mère de mes enfants... mais pas pour l’Etat
Gwenn, Luka et Norah-Louise - Crédit photo : DR

Roxane, initialement en faveur du terme « papa », a changé d’avis en constatant qu’il ne correspondait plus à sa réalité. « Avec la transition, le corps change et c’était compliqué qu’ils m’appellent papa dans l’espace public, j’étais stressée, c’était embêtant. » Ils choisissent de l’appeler par son prénom. « Le temps d’un week-end, c’était intégré ». Alors que ces familles font en sorte de supprimer le terme, les documents officiels des enfants disent le contraire et les ramènent à leur transidentité. « Un père est un homme », souligne Roxane.

« Sur un document officiel, on écrit qu’un parent est trans », dénonce Morgane. En plus de porter atteinte au droit au respect de la vie privée, « ça complique la vie des enfants. » « L’administration, les services sociaux me désignent comme le père de mes enfants », explique Roxane en précisant qu’il faudrait qu’elle adopte ses enfants pour être bien considérée comme leur mère. La situation pourrait s’avérer problématique, estime-t-elle. « Je suis entourée de personnes bienveillantes, je suis en sécurité car invisible, mais je ne suis pas sûre que ça irait si certaines personnes savaient que je suis trans, je pense notamment au centre aéré de mes enfants. »

Justifier sans cesse la filiation

Mais il y a parfois des conséquences sur la légitimité des parents trans, notamment en cas de problème. « Il reste des incertitudes sur la façon dont tel ou tel notaire considérera le lien de filiation établi à l’égard d’une personne qui a par la suite transitionné et dont l’état civil sera donc différent de celui indiqué sur l’acte de naissance de l’enfant », expliquent les avocates Émilie Duret et Clélia Richard. « Je n’ai pas de souci à l’heure actuelle, je peux prouver que je suis le parent de mes enfants, mais c’est pénible de devoir présenter cinquante documents », raconte Roxane, qui a malgré tout réussi à avoir un livret de famille à jour présentant les extraits de naissance de ses enfants et la désignant « épouse », donc femme. Gwenn, qui s’estime chanceuse dans son parcours de transition, a elle aussi réussi à s’en sortir dans les démarches administratives concernant Norah, sa fille mineure, en s’intéressant de près au droit et en utilisant « systématiquement les recommandations du défenseur des droits. »

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Elle note malgré tout devoir « toujours prouver, expliquer ». Morgane, enfin, n’a pas souvenir que ses enfants aient souffert de la situation. Le lycée français à Montréal où ils sont scolarisés a pris en compte son nouvel état civil. Elle pense en revanche à plus tard, s’ils veulent se marier par exemple. Elle conclut « mes enfants ont assimilé la situation, ce n’est pas un bout de papier qui va changer ça. Mais si l’État français reconnait que je suis une femme et un parent, je suis une mère ». Elle compte maintenant sur la loi bioéthique et la PMA pour toutes pour acter qu’un enfant puisse avoir deux mères sans passer par une adoption et faciliter le quotidien des femmes trans et de leurs enfants.